Texte écrit par Leslie-Ann Boily
Comme un continent, le domaine des émotions est fascinant, vaste et rempli de sillons à explorer. C’est tout un monde: il est utile de l’apprivoiser et même de le cultiver. Nos émotions nous relient les uns aux autres plus que nous pouvons l’imaginer. Mais qu’est-ce que la science en dit?
On a longtemps pensé que le quotient intellectuel était le facteur le plus important dans le succès professionnel. Aujourd’hui, nous savons qu’il compte pour environ 20 % de la réussite. L’essentiel du succès, le 80% restant, dépendrait d’autres données, comme le niveau d’éducation, les conditions socioéconomiques, la personnalité et l’intelligence émotionnelle (Goleman, 1995, 1998; Morin et al., 2012).
Dans toute décision importante à prendre, ni les émotions ni la raison ne sont de bons guides lorsqu’elles sont dissociées. C’est la combinaison de ces deux intelligences dans la réflexion qui mènerait aux meilleures décisions.
L’intelligence émotionnelle
Concept largement popularisé depuis une vingtaine d’années par Daniel Goleman, l’intelligence émotionnelle explore le rôle clé des émotions dans notre développement personnel et spirituel, mais aussi, dans l’épanouissement de nos relations interpersonnelles.
Plus précisément, l’intelligence émotionnelle englobe:
- la connaissance de soi et de ses émotions, soit s’évaluer avec justesse, bien comprendre ses déclencheurs émotionnels, connaitre les signaux corporels qui indiquent la présence d’une émotion, etc.;
- la maitrise de soi et de ses impulsions afin de reconnaitre ce qui fait réagir sans réfléchir, et parvenir à utiliser de bonnes stratégies de gestion des émotions;
- l’intelligence interpersonnelle (l’empathie), qui consiste en la capacité de se représenter ce que l’autre vit rationnellement et de le ressentir émotionnellement;
- le leadeurship inspirant, c’est-à-dire résoudre des conflits de façon créative en utilisant ses émotions et celles des autres afin d’atteindre un but.
La bonne nouvelle, c’est que l’intelligence émotionnelle est comme un muscle que l’on peut entrainer. On ne peut jamais affirmer que l’on a une pleine intelligence émotionnelle.
La mise en pratique
Un bon départ consiste à se tourner vers son intériorité pour développer une bonne connaissance de ses émotions, et parvenir à une bonne maitrise de celles-ci.
Plusieurs outils peuvent nous y aider, comme la pratique de la spiritualité. Faire silence en soi à travers la prière, par exemple, permet de solliciter le système nerveux parasympathique et engendre un apaisement du corps. Lorsque le corps est plus calme, il devient plus facile d’observer les signaux qui indiquent la présence d’émotions. Il peut être bien de faire ces premiers scans corporels de la présence de signes émotionnels en étant accompagné d’une personne expérimentée. Par la suite, cette technique peut devenir un automatisme pour s’aider à percevoir les émotions que l’on vit au quotidien.
Des relectures régulières d’expériences vécues– dans l’ouverture sincère à une remise en question – sont aussi utiles pour identifier nos bons coups et nos moins bons coups. Également, en développant une meilleure compréhension de la vitalité de nos émotions, il est possible de mieux les accepter et de comprendre ce qu’elles veulent nous révéler.
«Émotion» (en latin: e-movere) veut dire mettre en mouvement vers l’extérieur. Nos émotions sont donc des réactions physiques et psychologiques complexes et naturelles qui ont pour fonction de changer l’équilibre du corps pour mener au mouvement. Ce mouvement est nécessaire pour s’adapter au monde toujours en changement. Les émotions nous informent de dangers, de nos besoins et peuvent nous guider vers un sain développement de nos relations interpersonnelles. Elles permettent aussi de nous motiver pour atteindre des buts significatifs pour nous.
Pour un monde meilleur
Une fois que l’on a travaillé sur soi, l’intelligence émotionnelle invite à se tourner vers l’autre. C’est logique, puisque nous sommes des êtres fondamentalement sociaux et que nous avons besoin les uns des autres. Nous savons aujourd’hui que de nourrir des relations satisfaisantes et harmonieuses est relié à la longévité, au bienêtre et à une meilleure adaptation face aux évènements stressants. Au contraire, les relations insatisfaisantes, toxiques ou violentes auraient un impact négatif sur la santé physique et psychologique: c’est comme un poison – qui tue à petit feu – pour l’âme et pour le corps.
Nous sommes dotés de neurones qui ont pour mission de réfléchir, tel un miroir, les émotions des autres dans notre psyché. Nous les appelons les neurones miroirs. Longtemps, ces neurones avaient le statut de légende urbaine, mais aujourd’hui, la science a pu démontrer leur existence. Ainsi, on peut dire que les émotions sont contagieuses: je ressens celles des autres et elles sont vécues dans mon corps. Quel cadeau de pouvoir ressentir, avec l’autre, ce qu’il ressent! Encore une fois, plus on a travaillé sur ses émotions, plus on peut être empathique à l’autre.
On dit souvent qu’une parole peut construire ou détruire les relations. C’est aussi vrai pour les émotions: elles peuvent nous amener à dire des choses, sur le coup de l’émotion, que l’on regrette amèrement ensuite. Dieu merci, il existe alors la culpabilité, cette amie qui dicte le code moral de l’âme et qui met en lumière ce qui a pu blesser l’autre. Si l’on est à l’écoute de cette culpabilité, on peut rectifier le tir et s’excuser auprès de la personne. Il est alors possible de reprendre la construction de la relation blessée et, espérons-le, la route de la confiance mutuelle.
Jésus et les émotions
Explorons la dimension humaine de Jésus. A-t-il lui-même fait preuve d’intelligence émotionnelle? On a de bonnes raisons de croire que oui.
D’abord, Jésus reconnait l’importance des émotions. Pensons à son fameux Sermon sur la montagne, où il affirme: Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés (Mt 5,4). Il est vrai qu’une fois que l’on a accueilli sincèrement l’émotion de tristesse, elle tend à laisser plus de place à l’apaisement et à des plus grands moments de joie ensuite. De plus, juste avant d’être condamné à mort, Jésus est dans l’accueil de ses émotions: mon âme est triste à en mourir (Mt 26,38), disait-il à ses apôtres. Jésus accepte d’ailleurs jusqu’au bout la souffrance physique et psychologique qui vient à lui par cette Croix.
De même, un autre très beau signe de maturité émotionnelle se retrouve dans la rencontre de Jésus avec la femme adultère et ceux qui l’accusent. Il fait alors un geste surprenant lorsque les gens lui demandent ce qu’ils doivent faire de cette femme: il se penche au sol et garde d’abord le silence devant les réactions probablement animées de la foule (Jn 8,1-11). Peut-être Jésus a-t-il voulu prendre le temps de se recueillir avant de réagir pour demeurer calme malgré l’agitation ambiante?
Pour la suite
Il y aurait encore tant à dire sur le vaste monde de l’intelligence émotionnelle, mais une chose est certaine: tendre l’oreille à ses émotions est parfois un premier pas pour faire la rencontre sincère de ce qui habite nos profondeurs. Une fois reconnues, accueillies et discernées, les émotions s’avèrent être de merveilleuses amies du quotidien qui marchent avec nous sur un chemin de Compostelle intérieur.