Étienne Finol
Photo : Judith Renauld.

La descente aux enfers d’Étienne Finol

Enfant de deux parents psychologues, catholiques pratiquants de surcroit, Étienne Finol semblait tout avoir pour grandir de manière épanouie. Le baseball qu’il pratiquait depuis sa tendre enfance lui avait ouvert les portes, bourses incluses, d’une grande école américaine. Mais la perte de cette opportunité lui a fait frapper une fausse balle, l’entrainant dans le champ de la toxicomanie jusqu’à en devenir sans-abri.

Étienne a passé les quatre premières années de sa vie adulte hors du Québec pour se reconstruire et mettre un frein à ses dépendances. À 25 ans, c’est comme s’il partait de zéro : il a dû réapprendre à aller porter des CV, obtenir son permis, son premier téléphone, se refaire des amis, etc.

« Il m’aura fallu descendre vraiment bas pour me rendre compte à quel point j’ai besoin de Dieu. »

Dans la rue, sept ans plus tôt, il s’est retrouvé quelque part entre la prison et la mort. Sa mère l’a invité à une soirée de prière, et c’est là où on lui a proposé d’aller en Floride, dans une communauté du Cenacolo, une maison d’accueil pour hommes aux prises avec des dépendances. C’était ça ou rester sans-abri :

« J’avais perdu de la drogue, mon dealeur voulait me casser les deux jambes. Je n’avais plus d’argent pour consommer ; j’en étais rendu à inhaler de l’essence. J’ai même essayé de me suicider. Mon père m’a averti : “Si tu ne veux pas rester au Cenacolo, tu resteras sans-abri.” Je me disais que c’était moins pire être dans la rue en Floride que l’hiver ici, donc j’y suis allé.

« Là-bas, j’ai appris à mettre des mots sur toutes mes blessures. »

Trois prises…

De manière générale, Étienne était un enfant souriant qui semblait aller bien. Il ne croit pas avoir été malaimé par ses parents. Il affirme même avoir été saisi pour la première fois par l’amour de Dieu à sept ans. Sa foi de jeunesse ne l’a toutefois pas empêché de tomber dans la consommation excessive d’alcool et de drogues à l’adolescence, laissant ses parents abasourdis.

Il est aujourd’hui capable de nommer trois blessures bien précises qui l’ont conduit à se détruire : celle de son corps, celle de sa tête et celle de ses relations.

Comme il était toujours le plus petit de sa classe, on le choisissait constamment en dernier, même s’il excellait dans les sports, ce qui lui faisait dire que son corps était défectueux.

Vers l’âge de huit ans, il est devenu plutôt turbulent à l’école. Les adultes de son entourage ont craint pour sa réussite et, voulant l’aider, l’ont fait évaluer. Diagnostic : trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité. Le jeune sportif a commencé à prendre des psychostimulants pour se concentrer :

« Quand je prenais les médicaments, j’avais l’impression d’être un zombie, ce qui faisait que j’avais de la difficulté à entrer en relation avec les autres. On me disait : “Tu te comportes n’importe comment, as-tu pris ta médication ?” Mes parents n’étaient pas mal intentionnés, ils voulaient vraiment ma réussite à l’école. Je me disais qu’ils voulaient mon bien, donc que ce n’était pas grave ce que je vivais. Je refoulais. Je les justifiais et je n’étais pas capable d’exprimer ce que je ressentais et je ne le comprenais pas.

« Du coup, j’avais l’impression que ma tête ne fonctionnait pas quand je prenais mes médicaments, mais quand je ne les prenais pas, ça ne fonctionnait pas à l’école. »

Finalement, Étienne n’a pas eu d’amis stables parce qu’il a changé trois fois d’école durant son primaire. Il vivait dans un quartier que plusieurs redoutaient ; il avait honte d’inviter des gens chez lui. Il s’isolait. Une commotion cérébrale l’a également contraint à passer plusieurs mois à la maison. Pendant ce repos forcé, l’un de ses meilleurs amis n’est jamais venu le visiter. C’était le clou final qu’il fallait pour enfoncer ce mensonge dans son esprit :

« Mon corps ne fonctionne pas, ma tête est défectueuse et je ne suis pas aimable. »

… Retiré !

Fort heureusement pour lui, il avait le baseball comme exutoire de cette réalité qui lui semblait toujours plus insupportable :

« Quand je lançais la balle, je n’avais pas besoin de penser à mon déficit d’attention, à mes relations, etc. C’était une des seules choses que je pouvais bien faire. »

Après les Jeux du Québec, il est recruté pour jouer dans la ligue AA. C’est à ce moment qu’on lui propose d’aller étudier aux États-Unis. On lui offrait l’argent pour y vivre et y pratiquer le sport, mais pas pour étudier. Il s’agissait d’une somme que ses parents étaient incapables de payer. « Tu as tout le potentiel pour y aller, mais c’est probablement la fin de la game pour toi », a dû lui faire comprendre son père.

« On m’enlevait ce qui me faisait me sentir bien, qui me permettait de respirer, c’était mon identité qui m’était volée », explique Étienne.

Dès ses 15 ans, il commencera à boire beaucoup. Au départ, c’était seulement le weekend pour éviter de nuire à ses études, mais il n’avait désormais plus de raison de ne pas boire davantage : « C’est comme ça que mon identité s’est mise à s’exprimer, en étant la personne qui boit le plus. »

« Je buvais une caisse de 24 avec six onces de rhum. J’ai fait un coma éthylique une fois. À 17 ans, la drogue est embarquée, c’était une once de pot par semaine, ensuite la coke, puis l’ecstasy tous les jours. J’ai commencé à vendre un peu, pour avoir de l’attention, pour qu’on ait besoin de moi. »

De retour au marbre

Voilà maintenant deux ans qu’Étienne a repris le cours normal de sa vie. Entre le moment où il était sans-abri et son retour au Québec, il a travaillé de ses mains, beaucoup prié et s’est laissé former par la vie communautaire. Il n’a jamais consommé à nouveau depuis. Malgré cette sobriété, il se considère toujours en rémission et affirme l’être pour la vie.

On comprend qu’on ne sort pas si facilement indemne d’une descente aussi intense et que les répercussions peuvent se faire sentir longtemps après :

« Ça n’a pas été tout beau depuis que je suis sorti. Je dirais que j’ai eu beaucoup d’embuches et de difficultés, même avec ma famille : des choses que j’ai dû confronter avec mes frères et sœurs, des ressentiments envers moi tout à fait compréhensibles. J’ai braillé plus de fois dans les deux dernières années que dans toute ma vie. »

Il reste attentif chaque jour pour ne pas retomber dans le même cycle de la honte. Il se connait assez maintenant pour savoir que certains chocs émotifs peuvent le conduire très rapidement au même point de chute. Or, il sait aussi que, désormais, ce combat, il ne le mène pas seul :

« Il m’aura fallu descendre vraiment bas pour me rendre compte à quel point j’ai besoin de Dieu. Ça m’a permis de visiter mes blessures et de vraiment leur faire face ; je ne savais même pas que ça pouvait se faire. Ç’a été la plus grande bénédiction de ma vie ! Je ne suis pas fier de ce que j’ai fait, mais si j’avais à retourner en arrière, je ne changerais absolument rien parce que je ne serais pas la même personne. »

« Mais ce n’est pas parce que c’est avec Dieu que c’est facile. En trois mois, j’ai perdu cinq amis par surdose ou par suicide. Je pourrais être porté au désespoir, mais en raison de ce que Dieu m’a fait vivre, je crois qu’Il est fidèle. J’espère que ma vie pourra être une source d’espérance pour tous ceux qui désespèrent, qui ont besoin de faire une rencontre vivante avec l’Amour. »


Pour aller plus loin :

www.comunitacenacolo.it/fr/

James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.