Une Église de lâches


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En 2017, des chrétiens coptes traversent un désert en Égypte afin de se rendre à un monastère. Des islamistes armés les arrêtent et les interrogent: croient-ils en Jésus Christ? Oui! Renieront-ils leur foi pour se convertir à l’Islam? Non! Aucun ne flanche. On en tue sept, dont deux enfants.

C’est par le récit de cet évènement que Matt Walsh commence son plus récent livre, Church of Cowards (Église de lâches). En s’incluant, il questionne: montrerions-nous le même courage?

Walsh en doute, pour lui-même et pour nombre de chrétiens en Occident. Sa thèse est implacable: nous sommes un Église de lâches et nous nous conduisons comme tels.

Qu’est-ce que la lâcheté?

À quels signes Matt Walsh reconnait-il sa lâcheté et, plus généralement, celle des chrétiens d’Occident? À notre propension à édulcorer le message du Christ pour éviter de souffrir.

C’est l’essence même de la lâcheté: fuir devant les contrariétés qu’implique un grand bien. Manquent ainsi de courage le soldat qui déserte le combat, la personnalité publique qui ment pour ne pas compromettre sa popularité, l’adolescent qui refuse les sacrifices qu’exige l’étude.

Évidemment, le courage ne nécessite pas de s’infliger volontairement des souffrances gratuites. La vie normale en présente déjà passablement, et la décision de suivre sérieusement le Christ en suscite encore davantage. Quand Jésus invite qui veut le suivre à porter sa croix, il ne s’agit pas d’une option facultative. Il ne sous-entend pas: «si vous en avez envie». Non, il le déclare sans équivoque: pour marcher à sa suite, il faut renoncer à soi-même et prendre sa croix.

Seulement croire

Que dénonce Matt Walsh comme première manière d’affadir la Parole de Dieu? Se convaincre que croire suffit. Et pour justifier cette position, isoler et interpréter certains passages bibliques, par exemple: «C’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, et par le moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu.» (Ep 2,8)

Cette parole de saint Paul n’a rien de faux. L’homme ne gagne pas lui-même son salut. Il le reçoit gratuitement, par grâce de Dieu, moyennant un acte libre de sa part, à savoir la foi. Faut-il conclure qu’il suffit d’admettre la divinité du Christ ainsi que son sacrifice et sa résurrection pour s’assurer le ciel?

Sans nécessairement l’exprimer clairement, même à soi, un chrétien y trouve facilement une excuse à sa lâcheté. Moi la première. À quoi bon jeuner, se priver, prier, donner la dime… L’important ne consiste-t-il pas à avoir la foi?

En réalité, la pratique des œuvres augmente la foi, et l’absence de pratique la diminue. Plus quelqu’un tolère le désordre moral,
plus il rejette tout ce qui prétend le corriger.

En revoyant ma conduite des dernières années, je me scandalise de devoir avouer que ce genre d’excuses plus ou moins conscientes a justifié mes petites et grandes infidélités au Christ. Exemple banal: j’ai longtemps négligé de faire une génuflexion en entrant dans une église. Ça m’ennuyait et je trouvais le geste ridicule. Pour me conforter dans ce comportement et dans bien d’autres semblables, je me félicitais de ne pas être pharisienne, de reconnaitre que le salut vient de la foi et non de certains gestes pieux.

La vérité était que je ne voulais pas souffrir, pas même du sentiment imaginaire d’apparaitre ridicule. Comme je suis lâche, quand je me compare aux chrétiens de l’Église coptes, prêts à sacrifier leur vie pour la foi!

Pour retrouver un peu de lucidité, il faut contempler le lien intrinsèque entre la foi et les œuvres. Saint Jacques met en garde: «Si quelqu’un prétend avoir la foi, sans la mettre en œuvre, à quoi cela sert-il? Sa foi peut-elle le sauver?» (Jc 2,14)

Comme le remarque Matt Walsh, croire en Jésus ne se réduit pas à donner son assentiment à un fait, comme si je prétendais croire en la solidité d’un pont tout en refusant de le traverser. Il ne suffit pas de croire à l’existence de Jésus. Il faut croire en lui et le prendre au sérieux quand il se qualifie lui-même de Chemin. Cela implique de mettre en pratique sa parole et ses commandements.

En réalité, la pratique des œuvres augmente la foi, et l’absence de pratique la diminue. Plus quelqu’un tolère le désordre moral, plus il rejette tout ce qui prétend le corriger. En particulier le Christ.

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Le péché n’existe pas

Le courage oblige à combattre le mal. Mais comment combattre un ennemi dont on nie l’existence? C’est l’impossibilité dans laquelle s’installent plusieurs chrétiens aujourd’hui, en ignorant le péché ou en diminuant son importance, écrit Matt Walsh.

Cette tendance s’inspire de l’esprit du monde et fabrique une Église de lâches. La société d’aujourd’hui nie le mal moral. Même lorsqu’elle dénonce un acte manifestement mauvais – par exemple, l’homme qui, dernièrement, a assassiné deux enfants en fonçant avec son autobus dans une garderie –, elle n’accuse jamais le vice. Immédiatement, sans aucune preuve à l’appui, les médias dénoncent «la crise de la santé mentale». Il n’y a plus de pécheurs, mais seulement des malades, jamais vraiment responsables de leurs actes.

Et pourtant, le péché existe, c’est-à-dire l’acte consciemment mauvais. Saint Augustin en a eu l’évidence lorsque, adolescent, il a volé des poires en vue de les détruire, et donc sans autre raison que l’amusement qu’il trouvait à faire du mal.

J’ai expérimenté une révélation semblable il y a quelques années: l’évidence d’avoir volontairement mal agi. Après avoir heurté une auto en me stationnant, j’ai fui lâchement. Comme cela se fait spontanément au moment de pécher, je me suis nourrie de fausses excuses: c’est l’auto d’une compagnie probablement plus riche que moi, je suis pressée, je ne suis qu’une étudiante, ce n’est qu’une petite égratignure. La vérité était que je connaissais la bonne action à accomplir: laisser un mot avec mon numéro de téléphone. Mais je ne l’ai pas fait.

Nos vies sont remplies de péchés plus ou moins graves. Le nier, c’est s’illusionner. La Bible ne nous dit-elle pas que même le juste pèche sept fois par jour?

Matt Walsh remarque que la société, et même parfois l’Église, prétend qu’il faut éviter le sentiment de culpabilité. Mais c’est un leurre. La culpabilité, quand elle suit un mal moral, est bonne, comme la douleur corporelle qui provient d’une blessure. Tout faire pour ne jamais se sentir coupable, c’est voiler ses péchés et éventuellement leur solution: le pardon et la grâce de Dieu, offerts gratuitement à travers le sacrement de la confession, notamment.

Céder à la pression du monde

Le chrétien vit dans le monde, admet le Christ. Oui, mais il ajoute aussi qu’il ne vient pas du monde, c’est-à-dire qu’il suit un Esprit différent, nouveau. Cette prescription du Christ doit nous encourager à prendre une distance par rapport au monde pour ne pas devenir une Église de lâches, argumente Matt Walsh.

Trop souvent, on accorde une importance démesurée au jugement du monde. Cette peur de ne pas être aimé rend lâche. Ma vie me l’illustre abondamment. Encore dernièrement, des mamans, durant mon cours de mise en forme, parlaient des vacances de Pâques. Elles ridiculisaient l’Église et son enseignement. J’aurais pu intervenir. L’entraineuse, après tout, avait demandé si quelqu’un pratiquait la religion chrétienne. Sauf que je n’ai rien dit, par peur de sembler ridicule. Les mamans avec qui je m’entraine sont-elles plus menaçantes que des militants islamistes?

Prendre le monde comme mesure

Une autre façon de subir la pression du monde, c’est d’en faire la mesure de nos actions, écrit Matt Walsh. Je le vois encore concrètement dans ma vie : souvent, les mœurs actuelles excusent ma paresse.

Je devrais prendre un temps pour prier ce soir? Je préfère regarder une vidéo YouTube, et je me félicite en pensant: «J’en fais déjà beaucoup, la plupart des gens aujourd’hui ne se donnent même pas la peine de prier et ne fréquentent pas régulièrement les sacrements comme moi.» Je me donne une petite tape dans le dos, parce qu’il suffirait d’en faire plus que les autres pour mériter mon «badge» de sainte.

Sauf que le Christ n’a jamais dit: «Soyez meilleurs que la moyenne!» Il demande plutôt: «Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait!» (Mt 5,48) On abaisse la barre parce que le monde l’a fait. Mais Dieu, lui, ne l’a jamais abaissée.

Le bonheur se trouve sur terre

Le dernier chapitre du livre de Matt Walsh porte sur la vie éternelle, un détour nécessaire, puisque la peur de la mort se trouve à la racine de toutes nos lâchetés.

Croire que le bonheur ultime se trouve sur terre, voilà encore un prétexte pour refuser les sacrifices et les épreuves, et produire une Église de lâches. C’est une tentation, même chez les chrétiens. À force de soutenir que le Royaume des cieux est en un sens déjà présent, on oublie que sa véritable patrie est ailleurs, on perd conscience d’être pèlerin.

Cette vie est une vallée de larmes, récite-t-on en priant le Salve Regina. C’est à prendre au sérieux. La vie présente se trouve parsemée de péchés ainsi que de souffrances et elle se termine par la mort.

Le seul motif assez puissant pour faire accepter les souffrances et les difficultés en cette vie, c’est la foi en cette promesse de vie éternelle.

Même durant les plus beaux moments terrestres, une chose manque encore: la rencontre avec notre Père céleste. Walsh reprend à son compte les paroles d’Augustin: notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose en Dieu.

Le seul motif assez puissant pour faire accepter les souffrances et les difficultés en cette vie, c’est la foi en cette promesse de vie éternelle. C’était certainement la conviction des sept martyrs coptes.

Pas une question de rigidité

En lisant mon texte, quelqu’un pensera peut-être tout de même: «C’est bien beau de dénoncer les comportements lâches dans l’Église, mais il faut éviter la rigidité.» Matt Walsh n’est après tout qu’un «conservateur américain», dont il faudrait se méfier du fait même de sa nationalité et de son allégeance politique.

Encore un prétexte pour nier l’évidence. C’est un autre travers typique d’aujourd’hui: excuser sa tiédeur par le refus de la rigidité.

Je me suis servie moi aussi de ce faux-semblant. Le Christ guérit même durant le sabbat? Alors, tout est permis! Son exception justifie mon mode de vie, mon désir de travailler même le dimanche.

On affectionne les passages bibliques où le Christ désobéit aux pharisiens. On gagnerait cependant à méditer celui où il affirme ne pas être venu pour abolir la loi, mais pour l’accomplir. «Avant que le ciel et la terre disparaissent, pas un seul iota, pas un seul trait ne disparaîtra de la Loi jusqu’à ce que tout se réalise.» (Mt 5,18)

Le Christ n’est ni rigide ni laxiste. Il n’applique pas la loi sans nuances, sans exception, car cela manquerait de zèle, d’amour pour la vérité. Il ne nie toutefois pas la loi, comme les laxistes, car la loi est juste et vraie dans la majorité des cas.

C’est à ce zèle, et non à la rigidité dont beaucoup pourraient le soupçonner, que Matt Walsh nous appelle à transformer notre Église de lâches en une Église brave et courageuse.

Laurence Godin-Tremblay

Laurence termine présentement un doctorat en philosophie. Elle enseigne également au Grand Séminaire de l’Archidiocèse de Montréal. Elle est aussi une épouse et une mère.