Après plus d’une semaine à rouler les sacs de couchage et à remplir la glacière, à faire l’inventaire des souliers d’eau, des casquettes et des maillots, viendra le moment de crier: «On part!»
Vœu pieux. On ne partira pas. Du moins, pas tout de suite. Il y a une crise. Sur la banquette arrière, madame la marquise ne veut surtout pas être assise à côté d’un spécimen aussi rustre et odorant que monsieur son grand frère, lequel lui retourne une vacherie avec un désamour réciproque.
À ce moment précis, je regrette de ne pas avoir récupéré l’un des millions de panneaux de plexiglas jetés par nos bons commerçants cette année à la fin de vous-savez-quoi. Ça aurait fait une fichue de belle frontière entre les belligérants.
Comme elle est fragile la concorde entre les sœurs et les frères, comme elle est précaire la paix entre les peuples de la terre!
Entre joie et douleur
Ma définition des vacances: dix jours de préparatifs, puis cinq jours de pluie à vivre ensemble encore plus entassés que d’habitude, suivis de dix jours à défaire les bagages. Faites le calcul. Ce sont aussi vingt-cinq jours à ne pas faire progresser mille-et-un petits projets sur la maison. Bref, tout le contraire d’un repos de qualité décente.
Sans surprise, et pour le plus grand bien de la famille, mon épouse voit les choses d’un autre œil. Parmi les beautés qu’elle sait mieux voir que mes yeux de cynique, il y aura aussi la contemplation de la nature, les soirées autour du feu avec ou sans les enfants, pas d’horaire, pas de lavage, pas d’Internet.
Nous n’irons pas très loin. Les seules frontières que nous traverserons sont celles qui séparent les régions administratives de la Capitale-Nationale et du Bas-Saint-Laurent. Voilà qui nous épargnera au moins de devoir combattre le Léviathan administratif qu’est Passeport Canada.
La charité ne prend pas de vacances
Avant de subir la Passion, le Christ a laissé à ses disciples une recette pas piquée des vers pour évangéliser le monde entier lorsqu’il serait retourné auprès de son Père. Il leur a dit, je paraphrase, que c’est à l’amour qu’ils auraient entre eux que les gens seraient attirés à Dieu, car il est la source même de cet amour.
Dans l’Église, dans le monde ou sur le siège arrière de notre vieille familiale, c’est partout le même combat.
Le plus souvent, l’amour fraternel semble être en vacances.
Bon. Je vous entends jusqu’ici me dire que ça a foiré.
Je ne vous en veux pas. Péguy faisait le même constat dans l’essai Notre jeunesse (1910). «La faiblesse croissante de l’Église dans le monde moderne vient non pas comme on le croit de ce que la Science aurait découvert contre la Religion des raisonnements censément victorieux, mais de ce que ce qui reste du monde chrétien socialement manque aujourd’hui profondément de charité. Ce n’est point du tout le raisonnement qui manque. C’est la charité» (tiré du recueil Nous sommes tous à la frontière).
Dans l’Église, dans le monde ou sur le siège arrière de notre vieille familiale, c’est partout le même combat. Le plus souvent, l’amour fraternel semble être en vacances.
Mais lorsque nous découvrons une Église qui se fait proche des travailleurs migrants, ou encore l’histoire improbable d’une Saguenéenne qui a adopté deux enfants trisomiques avant de devenir une étoile de la chanson (magazine de juillet 2023), force est d’admettre finalement que la charité ne chôme pas une seconde.