Ariane Beauféray

Les raisons de ne pas adorer

C’est l’hiver sur le volcan Osorno, au Chili. Nous descendons la montagne silencieusement, pieds dans la neige. Le ciel est d’un bleu intense; le mont, couronné d’un nuage. D’un groupe de marcheurs voisin, une voix forte s’élève: «Vous cherchez Dieu? Il n’y a pas de Dieu! La nature: voici mon Dieu!»

Je relève les yeux vers la montagne. Le silence, la grandeur, la magnificence; oui, quelque chose de divin s’imprime sur la rétine. Je réalise alors que Moïse, Élie et même Jésus ont grimpé leurs monts pour adorer. Mais l’émerveillement passif devant la création ne suffit pas. Pour adorer, il faut un acte volontaire. Vous cherchez Dieu? La nature vous tourne vers lui. Il vous reste à dire: «Me voici devant toi!»

Dans le quotidien, on peut rarement escalader des montagnes pour adorer Dieu. Bonne nouvelle: il s’est fait entièrement présent dans nos églises. Nous l’adorons à chaque messe, et nous pouvons prolonger cette adoration à tout moment devant le Saint Sacrement.

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Jésus, réellement présent, sous la forme d’un morceau de pain. Mystérieusement visible, là où la montagne suggère seulement l’invisible. Mais pourquoi adorer ce qui a tout l’air d’un simple aliment?

Le plus grand des commandements

Sur le mont Horeb, Dieu a parlé à Moïse: «Écoute, Israël: le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur» (Dt 6,4-6).

Voici le plus grand, le premier des commandements (cf. Mt 28,22): adorer Dieu, et uniquement Dieu, avec tout son être.

«Qui suis-je pour adorer? Quand je suis devant ce grand cercle blanc dans son écrin doré, il ne se passe rien. J’ai mal aux genoux au bout de deux minutes. En plus, je suis distrait par tout un tas de choses!»

Ce commandement est le premier, mais il n’est pas le plus facile; c’est même un commandement pratiquement impossible. Qui peut adorer Dieu en tout temps, en tout lieu, avec tout son cœur, son corps, son âme? Mais parce qu’il est impossible, il est révélateur: Dieu a un désir infini de notre amour, mais lui seul peut nous permettre de l’adorer correctement. Un jour, nous serons de «vrais adorateurs en esprit et vérité» (Jn 4,23). Aujourd’hui, il nous faut commencer à apprendre!

Et qui dit apprentissage dit obstacles et échecs.

De la montagne au tabernacle

«L’adoration eucharistique? Je n’ai franchement pas le temps. Je ne vis pas à côté de la chapelle comme un moine ou un prêtre; j’ai du travail, j’ai les enfants… Cela ne rentre simplement pas dans mon horaire.»

Alors, laissez-moi vous parler de quelqu’un qui avait le temps.

J’ai eu des congés de maternité tranquilles. J’ai eu des soirées d’étudiante très libres. J’ai eu des vacances estivales sans emploi. J’ai eu un appartement à quelques minutes d’une chapelle d’adoration perpétuelle. Avais-je le temps d’adorer? Non. Jamais.

Certains dimanches, j’arrivais parfois des heures avant la messe pour aider à la préparer. Je m’arrêtais cinq, dix minutes devant l’ostensoir avant la célébration… et parfois pas du tout. Il y avait toujours quelque chose de plus urgent, de plus important à faire. S’agiter, remplir l’horaire. Cette mauvaise habitude ne date pas d’hier. À douze ans, j’achetais un livre intitulé Prières pour ceux qui n’ont pas le temps. Je ne l’ai jamais terminé.


Jusqu’en 1973, Mère Teresa et ses sœurs, les Missionnaires de la Charité, adoraient une heure par semaine. Malgré le fait qu’elles sont débordées de travail, elles ont décidé d’adorer plutôt une heure par jour. Le changement? Un amour pour Jésus plus intime, et un amour pour les autres toujours plus grand.

Il ne s’agit pas d’abord de s’engager pour toute la vie. De monter l’Everest, alors qu’on sait à peine tenir debout. De se dire: «À partir de maintenant et pour toujours, je vais aller adorer toutes les semaines.» Mais pourquoi pas une fois par semaine, pendant un mois? Pour un trimestre? Ce temps devient alors une priorité. Chaque semaine, le rendez-vous est planifié, quasiment rien ne saurait le remplacer. Décider, puis tenir son engagement, tout simplement. Puis, après quelques mois, comme un sportif qui a maintenu ses efforts, on révise la fréquence, la durée, le moment. Et on s’engage à nouveau, joyeusement.

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Après l’engagement initial, les premières tentatives seront pénibles. Une fatigue soudaine, des enfants malades, une panne de chauffage à l’église… Tout sera contre votre adoration. Et c’est là que la décision deviendra bien réelle. Il faudra persévérer quand même. Pour s’aider, on peut entretenir le désir dans son cœur, se dire: «Dans quatre heures, dans deux heures, dans une heure, j’irai… Il m’a invité, il m’attend, il me désire.» Car l’adoration n’engage pas que soi, c’est une rencontre avec un autre.

Un autre qui m’attend depuis toujours.

Un autre qui sait bien que mon adoration ne sera pas parfaite.

De tout son cœur, de toute sa force, de toute son âme

Parfois, le cœur n’y est pas. Tristesse, inquiétude, colère… On ne sait plus dire «merci», encore moins «je t’aime». Adoration vient du latin ad os, soit «vers la bouche». Notre bouche, il faut l’ouvrir. Il faut tout déposer devant Jésus-Eucharistie, tout lui dire, tout lui pleurer. Pour qu’enfin notre mâchoire se desserre et que nous puissions l’embrasser et recevoir ses baisers. Nous ne pouvons rien recevoir quand notre cœur est déjà plein.

Parfois, c’est la force qui n’y est pas. Manque de sommeil, maladie, grossesse, dur labeur… On ne tient pas debout, on ne tient pas à genoux, on somnole et s’endort même sur son banc. Mais on est quand même présent, et surtout, Jésus, lui, est entièrement présent. Comme un soleil qui nous bronze la peau, Jésus nous change le cœur par sa seule présence.

D’autres fois, c’est l’âme qui n’y est pas. Le doute s’installe: «Est-ce que Dieu est vraiment là, dans ce morceau de pain? M’aime-t-il vraiment? Pourquoi?» Et puis, le bruit étouffe la prière: une porte qui claque, un souvenir qui nous revient, une culpabilité qui nous mine. Où est-il donc, ce silence paisible entre Jésus et moi? Rien ne semble se passer. Et pourtant, Jésus est bien là, même si notre âme semble aride et esseulée. Il faut alors persévérer, redemander la foi, redemander à grandir dans l’amour.

Puis viennent les moments de grâce. De ce face-à-face dans l’adoration émerge un cœur-à-cœur avec Dieu. Le temps s’arrête, le cœur est en joie. Ce qui nous semblait incompréhensible et compliqué devient évident et simple. En l’espace d’un instant, tout change dans notre vie. Nous sommes plus vivants, parce qu’il nous donne de sa vie.

Plus besoin de montagne, on ne recherche plus Dieu; il est là, je suis là, et c’est tout.

Ariane Beauféray

Ariane Beauféray est doctorante en aménagement du territoire et développement régional. Elle s’intéresse à l’écologie intégrale et met au point de nouveaux outils pour aider la prise de décision dans ce domaine. Collaboratrice de la première heure, elle est désormais membre permanente de l’équipe de journalistes du Verbe médias.