Êtes-vous coupables d’aveuglement volontaire?

Est-ce que je peux être tenu responsable du mal que je commets sans le savoir? Pour répondre à cette question, menons un exercice de pensée.

Imaginons qu’un homme veuille commettre une fraude en incendiant son commerce pour toucher une prime d’assurance. Durant la nuit, il se faufile dans l’immeuble et il aperçoit quelques signes d’activité inhabituelle. Il n’y porte pas attention et met le feu. Le lendemain, on découvre que l’un des employés se trouvait dans l’immeuble cette nuit-là, afin de terminer des tâches et qu’il a péri dans les flammes.

Cet homme est-il seulement coupable d’avoir déclenché un incendie pour commettre sa fraude ou est-ce qu’il porte aussi la culpabilité d’avoir causé la mort de l’employé?

Plusieurs considérations se cumulent pour répondre qu’il n’est pas coupable de la mort de l’employé. En effet, il n’avait aucun motif de tuer ce dernier; ses plans n’impliquaient pas de le tuer; il ne savait pas qu’il risquait de tuer l’employé. Normalement, pour être déclaré coupable d’un crime, il faut qu’une intention mauvaise soit démontrée.

L’innocence requiert la prudence

En droit, la notion qui s’applique dans un cas comme celui-ci est l’aveuglement volontaire. Notre fraudeur ne savait pas qu’il risquait de tuer l’employé, mais il aurait dû le savoir. L’innocence ne requiert pas seulement l’absence d’intention mauvaise, elle requiert aussi un certain degré de prudence. Une imprudence excessive peut devenir de la négligence criminelle.

Quand nous préférons ne pas savoir, nous sommes responsables comme si nous savions.

L’aveuglement volontaire est coupable puisqu’il est intéressé.

Si le fraudeur de mon exemple avait su qu’il risquait de tuer l’employé, il aurait dû annuler ses plans. Si l’ignorance le déresponsabilise, il avait tout intérêt à ignorer. C’est pourquoi une ignorance voulue ne déresponsabilise pas. Quand nous préférons ne pas savoir, nous sommes responsables comme si nous savions.

La primauté de la conscience

Cet exemple que je vous invite à imaginer correspond à un cas réel qui s’est présenté devant les tribunaux. L’aveuglement volontaire est une notion juridique importante, mais ses implications ne se limitent pas au droit. On en trouve aussi une application proprement morale dans les enseignements de l’Église.

On s’expose ici à un principe méconnu: la primauté de la conscience. Si notre conscience entre en conflit avec des commandements religieux, notre conscience doit primer. En aucun cas, l’Église ne nous demande de lui obéir à l’encontre de notre conscience.

Celui qui agirait délibérément contre le jugement certain de sa conscience se condamnerait lui-même. Ce sont les termes employés par le Catéchisme.

Cependant, nous sommes responsables de la formation de notre conscience. Nous devons l’éclairer en nous appuyant sur nos dispositions les plus intègres. La primauté de la conscience ne constitue pas un passe-droit qui excuserait toutes les fautes approuvées par une conscience aveugle. C’est ici qu’on trouve l’application de l’aveuglement volontaire.

En aucun cas, l’Église ne nous demande de lui obéir
à l’encontre de notre conscience.

Les exemples d’aveuglement volontaire sont presque infinis. Les mensonges récurrents qui paraissent sans conséquence. Les habitudes de consommation qui entrainent une souffrance invisible. Les lubies sexuelles qui détournent l’affection du couple. Les exigences qui reposent sur des privilèges inavoués plutôt que sur des besoins authentiques. Les vengeances qui répondent à des torts, eux-mêmes engendrés par vengeance.

Il est difficile d’illustrer l’aveuglement volontaire de façon évocatrice puisque, par définition, nous en sommes inconscients. Toutes les illustrations semblent donc concerner les autres plutôt que soi-même: on reconnait ici la paille dans l’œil de l’autre plutôt que la poutre dans son propre œil.

La racine du mal

Le remède à l’aveuglement volontaire n’est rien d’autre que l’humilité.

Nous devons être disposés à nous reconnaitre des torts que nous avons justifiés jusqu’à maintenant. Une telle reconnaissance est doublement humiliante puisque, en reconnaissant ces torts, nous admettons les avoir commis tout en admettant avoir commis une erreur en les justifiant.

Quel prix à payer pour notre orgueil!

Je suis convaincu que l’aveuglement volontaire est responsable de la plus grande partie de l’injustice humaine. En général, les abus ne découlent pas d’une méchanceté assumée: ils découlent d’un mal habituel que nous préférons ne pas reconnaitre.

Nous nous justifions par des rationalisations bancales que nous préférons ne pas examiner de façon trop attentive. Nous voulons croire que nous sommes de bonnes personnes et nous évitons les questionnements qui compromettent notre statut moral.

Ici comme partout, l’orgueil est le carburant du mal qui nous divise et nous afflige. Ici comme partout, il est primordial de trouver notre valeur ailleurs que dans notre orgueil.

Sylvain Aubé

Sylvain Aubé est fasciné par l’histoire humaine. Il aspire à éclairer notre regard en explorant les questions politiques et philosophiques. Avocat pratiquant le droit de la famille, son travail l’amène à côtoyer et à comprendre les épreuves qui affligent les familles d’aujourd’hui.