En visitant cet été un musée (dont je tairai le nom), cela m’a frappé : mais où est passée la beauté ? Espèce en voie de disparitions dans les expositions d’art et les défilés de mode, elle ne semble survivre que dans les œuvres de la nature et les monuments de l’histoire.
On l’oublie trop souvent, mais la beauté est subversive. Contre le dogme du relativisme, elle dévoile la splendeur de la vérité. Contre l’empire de l’économique, elle oppose la gratuité. Contre le culte de la vitesse, elle objecte la contemplation. Impossible de ne pas s’arrêter devant un coucher de soleil, un tableau de Rembrandt, une mélodie de Mozart ou une cathédrale gothique. Sa principale force est de nous freiner dans notre course folle à produire toujours plus.
Le pouvoir de la beauté
Cette pause qu’appelle toute beauté révèle son pouvoir de nous reconnecter au présent et au réel. «Il y a un seul cas, écrit Simon Weil, où la nature humaine supporte que le désir de l’âme porte non pas vers ce qui pourrait être ou ce qui sera, mais vers ce qui existe. Ce cas, c’est la beauté. Tout ce qui est beau est objet de désir, mais on ne désire pas que cela soit autre, on ne désire rien y changer, on désire cela même qui est.»
La beauté éveille notre désir du réel visible, mais comme un point d’appui vers l’éternel invisible. La philosophe juive y voit même une source d’énergie directement utilisable pour le progrès spirituel: «Dans tout ce qui suscite en nous le sentiment pur et authentique de la beauté, il y a réellement la présence de Dieu. Il y a presque une incarnation de Dieu dans le monde, dont la beauté est le signe.»
Remède à la désespérance
Comment ne pas se rappeler ici les célèbres mots de l’écrivain russe Dostoïevski, pour qui «la beauté sauvera le monde», parce que, plus que la science et le pain, elle est indispensable à l’humanité, «car sans la beauté, il n’y aurait rien à faire dans le monde! Tout le secret, toute l’histoire est là!» Mais pourquoi et surtout quelle beauté sauvera le monde?
« La beauté, comme la vérité, c’est ce qui met la joie au cœur des hommes, c’est ce fruit précieux qui résiste à l’usure du temps, qui
unit les générations et les fait communier dans l’admiration. »
À cette question, le pape Paul VI proposait cette réponse: «Ce monde dans lequel nous vivons a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans la désespérance. La beauté, comme la vérité, c’est ce qui met la joie au cœur des hommes, c’est ce fruit précieux qui résiste à l’usure du temps, qui unit les générations et les fait communier dans l’admiration.»
Cette beauté salutaire, Simon Weil, la voyait sur le visage du crucifié: «La Beauté elle-même, c’est le Fils de Dieu. Car il est l’Image du Père, et le Beau est l’image du Bien.» Car même défiguré sur la croix, le Fils demeure «le plus beau des enfants des hommes» (Ps 44,3), puisque rien n’est plus beau que de livrer sa vie par amour.