rituels
Photo: Meo/Pexels

Les rituels : science ou superstitions?

Les rituels attirent présentement l’attention en sciences cognitives. Au contraire de ce que certains sceptiques pourraient penser, il s’avère que les rituels sont loin d’être de simples superstitions irrationnelles.

En fait, on s’intéresse aux rituels précisément parce qu’ils peuvent nous rendre plus rationnels.

Le psychologue Hal Hershfield a étudié un problème précis : épargner pour la retraite. La plupart d’entre nous sont d’accord pour dire que c’est important, mais les statistiques démontrent que peu épargnent réellement. Nous paraissons ainsi irrationnels, d’autant plus que les arguments soutenant la nécessité de l’épargne ne semblent pas vraiment nous affecter.

Imagination

Ce que Hershfield a démontré, c’est qu’imaginer son futur soi comme un proche dont on veut prendre soin fait épargner davantage. L’explication est que, en se projetant de manière empathique dans le futur, à travers son imagination, on peut habiter cette perspective et lui donner une place aujourd’hui. Nous connectons notre présent avec notre futur, ce qui nous transforme et nous permet d’agir plus rationnellement.

Cet exemple illustre un phénomène général : l’imagination peut nous transformer profondément et pour le mieux. Après tout, si les enfants se déguisent naturellement en superhéros, c’est qu’ils sentent que ça les transforme en ces superhéros. C’est analogue chez les adultes. Quand nous imaginons suivre Jésus sur le chemin de croix, nous tentons de devenir saints.

Corporalité

Un autre aspect des rituels est la corporalité : processions, mises à genoux, chants, etc. Ces gestes ne sont pas anodins pour les scientifiques cognitifs, qui se sont rendu compte que les compétences développées au niveau corporel sont redéployées au niveau mental. Le cerveau réutilise autant de machinerie qu’il peut.

Par exemple, quand un enfant apprend à marcher, il construit des réseaux de neurones qui lui permettent le balancement gauche-droite, avant-arrière sans tomber. L’enfant réutilisera plus tard ces mêmes réseaux pour balancer mentalement des concepts, comme différentes options dans des dilemmes moraux, par exemple.

C’est l’une des raisons pour lesquelles on a tendance à gesticuler quand on parle, même au téléphone : bouger aide à penser. Il y a ainsi plusieurs études montrant l’importance des gestes dans l’apprentissage et la performance cognitive.

Le principe est le même  pour la musique. En apprenant à manipuler musicalement des notes, on s’entraine également à manipuler des structures abstraites. On pourra notamment réutiliser ces capacités en mathématiques.

Ainsi, par notre participation à des rituels où l’on fait des processions et des signes de croix, ou lorsqu’on chante en Église, on développe notre rationalité.

Cohésion

De plus, quand on s’exerce à chanter ensemble en Église, on travaille notre capacité à écouter les autres autour de nous et à coopérer avec eux, et ce, pas juste musicalement, mais en général. On améliore notre intelligence sociale.

Le rôle cohésif des rituels est bien reconnu en sciences depuis le sociologue Émile Durkheim. Toute coordination importante requiert une liturgie qui relie les membres du groupe dans un récit commun.

Durkheim étudiait principalement les cultes des sociétés primitives, mais le point tient pour les groupes en général. Même que plusieurs entreprises privées aujourd’hui organisent régulièrement des évènements festifs quasi liturgiques pour célébrer le récit de l’entreprise, soudant ainsi le lien entre les employés.

Ainsi, par notre participation à des rituels où l’on fait des processions et des signes de croix, ou lorsqu’on chante en Église, on développe notre rationalité.

C’est payant de partager une même histoire.

Exemple scientifique

On reconnait, même aujourd’hui, l’importance de la ritualité pour la recherche scientifique. Une illustration frappante en est l’exploration de Mars par des robots télécommandés. Ce projet rassemble un nombre important de scientifiques qui doivent se coordonner pour résoudre des problèmes hautement complexes.

Ces scientifiques se rencontrent chaque semaine pour se rappeler l’histoire de leur projet et s’orienter collectivement vers leur but. Ils exemplifient ainsi l’importance de l’imagination et de la corporalité de façon quasi liturgique.

Beaucoup d’imagination est nécessaire, notamment parce que le robot ne leur envoie que des photos et qu’il y a un long délai dans les transmissions. Les scientifiques doivent alors s’imaginer être le robot et bouger physiquement dans le laboratoire, pour « devenir » celui-ci et déterminer quelles instructions lui renvoyer. Imaginez la scène !

Des actions qui seraient habituellement vues comme superstitieuses et irrationnelles sont alors encouragées parce qu’elles permettent de mieux « devenir » le robot et d’accomplir la mission plus rationnellement. Par exemple, un des scientifiques dit :

«… je me suis blessé à l’épaule… et j’ai dû me faire opérer à peu près au moment où le bras [d’un des robots] a commencé à avoir des problèmes d’épaule, et je me suis cassé le gros orteil droit juste avant que la roue droite [de l’autre robot] brise, alors, je dis juste ça comme ça, mais il y a peut-être un genre de sympathie, je ne sais pas [rires], je veux dire… je ne pense pas qu’il y ait de la magie là-dedans ou quelque chose du genre, mais c’est peut-être un truc subconscient, je ne sais pas.»
– Traduction libre de Janet Vertesi

Bref, s’il faut éviter les dérapages superstitieux, on doit reconnaitre que, même dans la pratique de la science, user de notre corporalité et de notre imagination n’est pas en soi irrationnel. Ça peut, au contraire, nous ouvrir les yeux sur des réalités difficiles à percevoir autrement.

Jean-Philippe Marceau

Jean-Philippe Marceau est obtenu un baccalauréat en mathématiques et informatique à McGill et une maitrise en philosophie à l'Université Laval. Il collabore également avec Jonathan Pageau au blogue « The Symbolic World » et à sa chaine YouTube «La vie symbolique».