Un texte de Catherine Mongenais
Tout le monde connait l’histoire de Cyrano de Bergerac, le fameux personnage d’Edmond Rostand qui, à cause d’un nez qu’il avait très vilain et même gros, décida d’aimer en silence la femme de sa vie – Roxanne – et davantage encore, par amour pour elle, aida Christian (un beau gars) à la séduire en écrivant des lettres à sa place. Quelle histoire tragique que ce triangle amoureux partagé entre un jeune homme au physique admirable mais à l’esprit ordinaire et un poète doué mais laid!
Encore aujourd’hui, ce drame est plutôt connu chez les francophones. Qui n’éprouverait pas un peu de pitié pour ce personnage dont l’amour se voit condamné, étant donné le fait que son visage soit orné d’un si grand nez?
Toutefois, la société contemporaine semble nous enseigner que Cyrano n’a pas de valeur. Il a moins de beauté, il est donc moins important que Christian. Ce dernier est acclamé pour son physique remarquable.
En fait, voyez ici une métaphore et remplacez la beauté par la souffrance (ce qui d’ailleurs, n’est pas complètement faux; Cyrano devait souffrir trois fois plus que Christian dans l’histoire).
Que vaut la souffrance?
Aujourd’hui, on nous dit que la souffrance enlève la dignité, on explique que la compassion c’est d’éliminer la vie.
Et pourtant, l’histoire originale nous montre presque le contraire. Il faut préciser le « presque », puisque, dans la pièce de théâtre de Rostand, Christian n’a pas moins de valeur car il est plus beau (et souffre moins). Or, Cyrano est célébré pour sa laideur; pour son fameux défaut. On le prend en pitié, on s’identifie à lui, parce qu’il souffre plus intérieurement; parce qu’il est plus laid (son gros nez); parce qu’il est délaissé.
La souffrance, la laideur et la solitude sont trois choses qu’on craint et qu’on fuit…
Justement, la souffrance, la laideur et la solitude sont trois choses qu’on craint et qu’on souhaite fuir dans la société. Pour ce faire, on a récemment, proposé un projet de loi sur l’euthanasie. Sauf que l’euthanasie, c’est comme un masque sur un visage blessé : c’est une illusion qui couvre sans guérir.
Peut-être apaise-t-elle les gens autour; cependant, ce n’est pas une solution réelle. C’est-à-dire que l’euthanasie élimine une personne, mais n’élimine pas les problèmes que vit cette personne. C’est une façon de contourner sans les confronter, des problèmes fondamentaux tels que la douleur, l’impression de « manquer de dignité » et la solitude.
Douleur et dignité
Prenons ces deux termes de douleur et de dignité.
Il est assez ironique et surtout triste de constater qu’une des figures canadiennes la plus renommée et admirée au sein du peuple soit Terry Fox, un homme qui a connu de grandes souffrances : un homme qui avait toutes les raisons du monde de vouloir s’affaisser et s’avouer vaincu; s’abandonner dans la mort.
Pourquoi l’admirons-nous alors?
Parce que, tandis qu’il en était aux derniers milles de sa vie, il a persévéré. Il a tout donné; il a espéré en l’humanité et en la compassion; il s’est surpassé malgré les blessures, la douleur, l’humiliation, l’handicap et l’idée de n’avoir que quelques mois à vivre.
Est-ce qu’une personne atteinte d’un handicap, une personne âgée, une personne blessée ou une personne mourante a moins de dignité qu’une autre? Non.
La dignité, ou plutôt son absence, n’est pas mesurée par les souffrances, l’âge et les apparences. La dignité se trouve, tout simplement, dans la vie humaine. Il est digne de vivre de son mieux dans ses conditions données. Il est courageux et admirable de se surpasser et de devenir une source d’inspiration (comme Terry Fox). Par contre, il est déplorable d’éviter d’affronter des problèmes en terminant volontairement une vie.
Après tout, quelle vie ne contient pas de douleurs? Qui ne rencontre pas l’adversité? Qui n’a jamais eu l’impression d’être humilié et d’ainsi, perdre un peu de dignité? La beauté de la vie se voit soulignée lorsqu’on transcende ces difficultés et qu’on ose, malgré tout, rêver, espérer, aimer… vivre!
C’est semblable du côté de la solitude. La mort n’élimine pas la solitude; elle n’élimine pas le problème, elle élimine la personne. Si on cherche à faire preuve de compassion envers quelqu’un, on ne lui tire pas une cartouche dans le cœur. Au contraire! On apprend plutôt à connaitre ce cœur, on passe du temps avec la personne, on la soutient, même durant les moments difficiles.
La compassion illusoire
Voyez-vous, le prétexte de « compassion » de l’euthanasie est encore illusion. Une compassion fidèle à sa définition arriverait à guérir les cœurs blessés et, par le fait même, à soulager la solitude. La dignité n’est pas perdue par la douleur, elle est plutôt amplifiée par le fait de traverser les souffrances, même quand tout semble perdu d’avance.
La vie nous a été donnée, pourquoi ne pas profiter de chaque instant qu’elle nous offre, au lieu de vouloir la réduire, par peur de souffrir? Revenons au personnage de Cyrano et à la fin de sa vie. Alors que Christian est mort depuis déjà longtemps, Cyrano continue fidèlement de visiter Roxanne. Celle-ci ne le sait pas, mais son ami est mourant lors de sa dernière visite. Victime d’une embuscade, Cyrano est blessé et souffre énormément.
Il aurait facilement pu en terminer rapidement avec cette vie ingrate qui ne lui avait pas accordé ce qu’il voulait depuis des années… ce serait mal connaitre le « panache » et l’ardeur de ce cher personnage. Cyrano choisit de braver la douleur, d’aller voir une dernière fois celle qu’il aime et de vivre pleinement ses derniers instants.
Il ne s’agit pas forcément de vivre héroïquement, mais de vivre, simplement.
Bien entendu, il n’est pas nécessaire d’avoir la bravoure de Cyrano ou de parcourir le Canada comme Terry Fox. Il ne s’agit pas forcément de vivre héroïquement, mais de vivre, simplement. La mort est difficile à traverser, qu’elle soit naturelle ou provoquée. Néanmoins, en permettant l’euthanasie, on enseigne qu’une vie peut avoir moins de valeur qu’une autre; on décide soudainement que la vie de Cyrano est moins importante que celle de Christian.
Je ne dirai pas qu’elle porte moins de « dignité » puisque ce n’est pas la véritable définition du mot. Selon le dictionnaire Multi, la « dignité » se veut la « noblesse » ou le « respect de soi-même ».
Ce n’est pas parce que quelqu’un est plus âgé ou est doté de capacités mentales qui diffèrent de la norme que sa vie est diminuée et qu’il ne devrait plus se respecter lui-même. Ne déformons pas les mots.
Toute vie a de la dignité.
Ne manquons pas de compassion : aidons ceux qui, abaissés par ce changement de mentalité, pourraient être tentés d’imaginer que leur vie a moins de valeur.
Soyons de ceux qui, « à la fin de l’envoi », sont « touchés » par la dignité et la beauté de toute vie humaine… Qu’elle en soit au printemps ou à l’automne de ses saisons.