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Quand l’impôt s’impose

La semaine dernière, le populaire animateur de radio à Québec Sylvain Bouchard a, comme on dit, « petté sa coche » suite à la nouvelle du possible recul du gouvernement devant ce qu’il était commun d’appeler le « pacte fiscal », c’est-à-dire le transfert de certains pouvoirs de négociation du provincial vers les municipalités. Profitons-en pour regarder de plus près quelques questions soulevées par cet enjeu fiscal.

Aux dires de Bouchard, la situation politique et culturelle du Québec actuel empêcherait toute réforme digne de ce nom. L’éléphantesque État québécois aurait, d’une certaine façon, kidnappé notre démocratie au profit de sa propre logique interne.

Ainsi, il n’existerait aucune possibilité de diminuer la charge fiscale des citoyens qui devraient, une fois de plus, inévitablement payer plus de taxes et d’impôts et, donc, travailler plus ou se serrer la ceinture.

Dans les deux cas, les citoyens seront amputés d’une partie de leur liberté. Malheureusement, la teneur et la qualité des débats politiques actuels, même ceux de la course à la chefferie du PQ, où l’on se cache toujours derrière l’enfumage sociétal, ne semblent pas être sur le point de débattre sérieusement de cet enjeu majeur.

Taxer: entre mesure et démesure

On l’a souvent dit, le Québec est la province la plus taxée au Canada. Quelles sont donc les raisons invoquées pour justifier un tel prélèvement.

Les taxes et impôts ont toujours existé puisqu’ils sont le meilleur moyen pour une communauté politique de réaliser différents types de projets, de l’évacuation des égouts à la Défense nationale.

Cependant, nul besoin d’être historien pour savoir que la classe décisionnelle d’une communauté peut être tentée de prendre cela pour acquis et d’en abuser. C’est ce que l’on a vu avant la Révolution de 1789 alors que les paysans de toute la France avaient été saignés par les collecteurs d’impôts pour financer les guerres de la royauté. On a vu jusqu’où un tel mépris de la population peut mener…

Nous ne sommes évidemment pas sur le point de faire la Révolution ! La population québécoise n’étant pas encore affamée, cette génération de politiciens n’a donc rien à craindre.

Toutefois, il serait pertinent de vérifier si nous avons atteint un point de non-retour. Pour ce faire, je vous offre ces quelques réflexions qui m’apparaissent pertinentes sur l’état du droit de propriété dans cette province où règne le providentialisme étatique.

De la propriété privée

Comme l’affirme la Doctrine sociale de l’Église : « La propriété privée et les autres formes de possession privée des biens assurent à chacun une zone indispensable d’autonomie personnelle et familiale; il faut les regarder comme un prolongement de la liberté humaine. Enfin, en stimulant l’exercice de la responsabilité, ils constituent l’une des conditions des libertés civiles » (176).

En soi, ce droit à la propriété n’est pas absolu. En ce sens, chacun doit contribuer, selon ses besoins et ses capacités, au Bien commun.

La propriété privée est un droit fondamental et consubstantiel à la citoyenneté. Il doit donc être protégé et promu. En soi, ce droit à la propriété n’est pas absolu. En ce sens, chacun doit contribuer, selon ses besoins et ses capacités, au Bien commun, d’où le droit/devoir de taxation des différents paliers de gouvernement qu’ils soient municipal, provincial ou fédéral.

Devant ces deux droits que l’on pourrait appeler maladroitement « concurrentiels », comment distinguer lorsque l’un supplante injustement l’autre ? En d’autres termes, à quel moment le niveau de taxation et d’imposition devient-il si imposant que le droit de propriété devient un privilège puisqu’inaccessible pour la majorité des citoyens ?

Voilà une question complexe dont la multitude des cas rend toute réponse unilatérale imprudente. Chacun pourra examiner sa propre situation pour voir s’il subit une injustice ou pas. Toutefois, il est clair que nos institutions ne sont pas à l’abri des dérives auxquelles le jusqu’auboutisme soviétique a donné sa forme la plus caricaturale.

Je ne prétends pas apporter de solutions à ce problème millénaire. Cependant, il m’apparaît capital d’approfondir en quelques lignes un deuxième élément essentiel pour comprendre dans quelle direction se dirige le Québec si une profonde remise en question n’est pas opérée. Pour ce faire, il est de mise d’analyser brièvement la vision anthropologique sous-jacente au « modèle québécois »; à ce porte-étendard du collectif qu’est l’idéologie dite « de gauche ».

Le « modèle québécois »

Soutenue par le socle moral des vertus civiques que sont l’égalité et la destination universelle des biens, ce qu’on appelle aujourd’hui « la gauche » prône l’interventionnisme d’État. Pour ses plus fervents défenseurs, l’État est la seule institution capable d’établir un ordre social conforme à la réalisation de sa morale.

À en juger par les débats politiques actuels, nous pouvons dire qu’à ce point de vue le schéma mental québécois dans son ensemble est à gauche. Mais quelle conception de l’homme cette propension à l’interventionnisme d’État présuppose-t-elle ? Penser que l’État est le meilleur garant de la réalisation des idéaux d’une société juste repose d’abord et avant tout sur une certaine conception de l’homme.

En effet, cette idéologie appuie leur revendication sur une anthropologie fondamentale que je qualifierais de pessimiste.

Homo homini lupus est, « L’homme est un loup pour l’homme » affirmait Thomas Hobbes. Sans lois coercitives et incitatives, la paix entre les hommes n’est pas possible. Selon lui sans État fédérateur des forces vives une société tomberait automatiquement dans le chaos et le désordre.

De mon point de vue, il est naïf de croire que les hommes agiront nécessairement pour le bien de la collectivité sans menace de réprimande en cas de faux pas. Toutefois, il est également naïf de croire l’inverse purement et simplement. Pourtant, il semble que les Québécois aient choisi leur camp. La peur est devenue le moteur de notre société.

La peur comme fondement ?

De ce présupposé anthropologique découle la propension à chercher une régulation à tout prix sous prétexte de dérapage en son absence. Selon ce point de vue, liberté individuelle devient synonyme d’égoïsme ou de volonté de justification des abus.

L’idéologie de gauche se nourrit de cette peur foncière de l’autre ainsi que de sa liberté (perçue comme un éventuel danger). Les conséquences suivent immédiatement : de cette crainte fondamentale découle un accroissement des régulations, de l’appareil étatique et des coûts qui y sont reliés desquels découlent un poids fiscal plus imposant ainsi qu’une plus grande dépendance des citoyens vis-à-vis de l’État desquels découlent une déresponsabilisation généralisée de laquelle découle un effritement des familles qui a pour conséquence une plus grande peur de l’autre et encore plus d’État…

Cercle vicieux s’il en est un, tout cela semble remplir les critères d’une « structure de péché ». L’État québécois considéré dans son fonctionnement même a-t-il intérêt à voir les injustices qu’il dit combattre s’estomper ou s’aggraver ? Poser la question c’est y répondre et c’est pourquoi la politique et la société québécoises, sans changement culturel profond, ne pourront qu’aller vers le bas.

Pour une société juste

Bien sûr, j’aurais pu faire une description des tares de la droite mais, dans notre contexte, aussi bien donner un coup d’épée dans l’eau, cette dernière ayant presqu’autant de réalité et de partisans que n’en ont les Nordiques de Québec. De quelque côté du spectrum politique québécois que l’on se situe, les outils de réformes ne semblent plus être dans les mains du pouvoir politique.

Or, la faillite de la politique entraînera à plus ou moins long terme la faillite de la démocratie. Ce contre quoi nous devons nous battre. Comment donc ? Par la réflexion sans complexes ni gêne. Non pas des réflexions sur comment avoir encore plus d’intrusions de l’État dans la vie des gens (comme le faisait tout récemment Pauline Marois) mais plutôt sur les conditions de réalisation d’une société juste.

Nous devons faire face à nos propres démons.

50 ans d’État-providence nous ont porté à nous préoccuper davantage de l’accroissement et de la survie des structures que de leur bonté.

Nous ne sommes plus au temps de la réflexion sur les moyens mais sur les fins. Cinquante ans d’État-providence nous ont porté à nous préoccuper davantage de l’accroissement et de la survie des structures que de la bonté de ces dernières.

De ce point de vue, nous avons besoin de lieux d’échanges libres de la rectitude systémique et de la survivance étatique. Je donnerais cependant ce conseil à ceux qui, comme Sylvain Bouchard, seraient tentés par le découragement : la prière, spécialement l’adoration, est le meilleur moyen de garder en tête que « là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé » (Rm 5, 20).

Francis Denis

Francis Denis a étudié la philosophie et la théologie à l’Université Laval et à l'Université pontificale de la Sainte Croix à Rome. Il est réalisateur et vidéo-journaliste indépendant.