sécularisation
Illustration: Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Dieu est-il absent ou présent ?

Un texte du frère Louis Roy, o.p.

On parle beaucoup, dans le dernier siècle, de l’absence de Dieu. Ce thème est amplement justifié par bien des phénomènes : en plus des souffrances individuelles telles que la maladie et la mort, les échecs et les infidélités, mentionnons la sécularisation causée par la science et la technologie, la relativisation des croyances et des morales, le recul des Églises dans la sphère du privé, ainsi que des calamités telles que l’injustice, la criminalité, la guerre, l’holocauste de six-millions de Juifs et la pollution de notre planète.

Le processus de sécularisation en cours depuis le 17e siècle a comme conséquence principale un doute de plus en plus répandu concernant la nature de Dieu, son action dans le monde, voire son existence même. Pour beaucoup de gens, Dieu apparait comme in-signifiant ou comme absent.

On peut définir la sécularisation comme le phénomène d’après lequel des pans entiers de la culture s’interprètent eux-mêmes sans référence religieuse. De la sorte, les significations et les valeurs de nos sociétés échappent au contrôle autrefois exercé par des autorités cléricales.

C’est ainsi qu’on a assisté successivement à la sécularisation de la philosophie, de la méthode scientifique, de la morale, des lois, de l’histoire, du travail, de l’économie, de l’éducation, de la psychologie, de la spiritualité et peut-être d’autres secteurs que j’aurais oubliés.

Sécularisation et sécularisme

Dans l’ensemble, ce long processus de sécularisation a eu d’heureux effets, par exemple une forte créativité en science et en technologie, une montée de la démocratie et une plus grande marge de manœuvre en organisation politique, sociale et économique.

Ce processus a également eu des effets regrettables, par exemple un exercice arbitraire de la liberté, un individualisme destructeur des liens familiaux et des solidarités sociales, une concentration capitaliste de l’argent chez une très petite tranche de la population mondiale, un relativisme qui, la plupart du temps chez une minorité de privilégiés, finit par justifier des décisions arbitraires nuisibles au bien commun et qui, chez une majorité à la dérive, entraine une réduction des exigences éthiques1.

Il importe cependant de ne pas confondre la sécularisation avec le sécularisme.

La première est une situation dans laquelle des individus et des groupes de mentalité séculière respectent les religions et s’intéressent à un dialogue mutuellement enrichissant avec elles.

Le sécularisme est pour sa part une idéologie qui veut abolir toute contribution de la part des religions à la vie en société, parce que cette idéologie ne reconnait pas le fait que des institutions religieuses – pas toutes ces institutions, évidemment – exercent une influence bienfaisante sur l’engagement moral de nos contemporains.

Au lieu de se montrer conscient du caractère ambigu de cette influence et de la déclarer parfois positive et parfois négative, on la dénonce comme étant toujours néfaste. Ce faisant, on veut défendre non seulement une légitime autonomie du séculier par rapport au domaine religieux – autonomie qu’on appelle la sécularisation –, mais également une totale indépendance du séculier – totale indépendance qu’on appelle le sécularisme – par rapport à des motivations religieuses qui favoriseraient pourtant l’authenticité humaine du séculier.

L’amour de Dieu comme fondement de la morale

Bien des penseurs ont reproché aux hommes d’Église d’avoir centré l’attention des croyants vers l’au-delà au lieu de les avoir incités à améliorer les conditions de vie et de bonheur ici-bas.

Il faut reconnaitre honnêtement qu’il y a, hélas, beaucoup de vrai dans ce reproche. Ce n’est qu’avec l’encyclique Rerum novarum (en français : « Des nouvelles réalités ») du pape Léon XIII en 1891 que l’Église officielle s’est souciée de la possibilité d’un progrès politique, social et économique, surtout pour la classe ouvrière.

Le philosophe-théologien Bernard Lonergan se situe certainement dans la foulée de ce souci communautaire lorsqu’il souligne le fait que la conversion religieuse, si elle est authentique, influence la conversion morale. Il écrit :

« La puissance de l’amour de Dieu confère à toute bonté une énergie et une efficacité nouvelles, et l’espoir humain ne s’arrête plus au tombeau. »

Lonergan, Bernard. Pour une méthode en théologie, traduit sous la direction de Louis Roy, Montréal et Paris, Fides et Cerf, 1978, p. 139.

Il explique que la foi en l’amour favorise le progrès et contrecarre le déclin, qui est l’inverse du progrès :

Sans la foi, sans le regard de l’amour, le monde apparaît trop mauvais pour que Dieu soit bon, pour qu’un Dieu bon existe. Mais la foi reconnaît que Dieu accorde aux hommes leur liberté, qu’il les veut personnes et non simplement automates, qu’il les appelle à cette authenticité supérieure qui vainc le mal par le bien.

Ainsi, la foi est liée au progrès humain et elle doit affronter le défi du déclin humain. La foi et le progrès, en effet, prennent tous deux racines dans le dépassement de soi que l’homme réalise dans l’ordre de la connaissance et dans l’ordre moral. Promouvoir la foi, c’est favoriser indirectement le progrès et vice versa. 3

Malheureusement, sans recherche existentielle, nous restons emprisonnés dans une poursuite de désirs multiples; et ces désirs nous détournent de la possibilité d’intensifier un désir unificateur, à savoir un désir beaucoup plus fort que les désirs multiples.4Là-dessus, voir Louis Roy, Libérer le désir, Montréal, Médiaspaul, 2009.[/efn_note

Tout en acceptant la sécularisation dans son côté positif, voire libérateur par rapport aux tutelles cléricales, il importe de découvrir une présence de Dieu dans une sécularisation qui témoigne plutôt de son absence. Nous pouvons devenir de plus en plus conscients que la vraie présence de Dieu passe par notre expérience de son absence. À une condition toutefois : que cette absence de Dieu aiguillonne notre recherche.

L’essentiel, c’est d’être des chercheurs de Dieu, qu’on pense qu’il existe ou qu’on ait l’impression qu’il est totalement absent.

Une très brève conversation entre deux rabbins l’illustre bien. Le premier pose la question : « Dieu existe-t-il ? » Le second lui répond : « Le plus important, c’est Dieu, qu’il existe ou qu’il n’existe pas ! »

Le frère Louis Roy, dominicain, professeur au Collège universitaire dominicain, est l’auteur du livre Dieu absent, Dieu présent. Le présent article est tiré de quelques sections de ce livre, avec l’approbation du directeur de Novalis.

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