Depuis l’avènement de la mécanique quantique, on ne décrit plus le comportement de la matière au niveau microscopique à l’aide d’un modèle déterministe, mais plutôt d’un modèle probabiliste. En quoi ce modèle est-il compatible avec une vision chrétienne du monde? Dieu jouerait-il aux dés? Albert Einstein a répondu de manière très tranchée à cette question: «Dieu ne joue pas aux dés!»
Einstein, qui était déiste, voyait Dieu comme un grand horloger qui réglait très finement tous les détails et toutes les lois scientifiques de l’univers, mais qui ne se souciait guère de ses créatures. Cette conception de Dieu comme grand horloger est très importante pour comprendre pourquoi Einstein a prononcé cette phrase qui appartient depuis à la postérité.
Quand l’électron soulève les passions
Lors de ses cours de niveau secondaire, Einstein apprend, comme tous les élèves de la fin du 19e siècle, que la matière est composée de minuscules sphères microscopiques appelées atomes. On pensait à cette époque que les atomes étaient pleins.
Quelques années plus tard, alors qu’Einstein entame sa carrière scientifique, on s’aperçoit que les atomes sont en fait essentiellement constitués de vide. Ils contiennent un noyau central autour duquel tournent des électrons périphériques.
Ce modèle, élaboré par le physicien néozélandais Ernest Rutherford, plait alors beaucoup à Einstein. Il présente une forte analogie avec le système solaire. En effent, il est possible d’assimiler le soleil au noyau et les électrons aux planètes. Ceux-ci circulent donc sur des orbites précises à une distance précise du noyau. Il y a ainsi une grande ressemblance entre l’infiniment grand (qu’Einstein décrit avec ses nouvelles équations) et l’infiniment petit. Comme on peut prédire les trajectoires des électrons, leur position et leur vitesse, ce modèle est très déterministe, et donc en accord avec les croyances d’Einstein au sujet de Dieu.
Malheureusement, le modèle de Rutherford n’explique pas toutes les observations expérimentales. Selon les lois de la physique, les électrons devraient éventuellement perdre de l’énergie et s’écraser sur le noyau.
De plus, le physicien allemand Heisenberg démontre à cette époque qu’on ne peut pas précisément connaitre à la fois la position et la vitesse d’un électron. Soit on connait l’une, soit on connait l’autre, mais pas les deux. Il est important de noter que ce fait n’est pas lié à un manque de précision des instruments, mais bien à une formule mathématique. Cette constatation entre en contradiction avec le modèle déterministe en vigueur et contrarie fortement Einstein.
Peu après, le savant français Louis de Broglie propose que l’électron, qui était jusque-là considéré comme une particule, soit considéré comme une onde, afin de mieux expliquer les observations expérimentales. De ce fait, l’électron peut être un peu partout, comme des vagues qui se propagent à la surface de l’eau. Cette conception très contrintuitive de l’électron choque de nombreux grands savants de l’époque, à commencer par Einstein.
C’en est trop pour Einstein
Le physicien autrichien Erwin Schrödinger se base alors sur ce postulat pour proposer un nouveau modèle ondulatoire et probabiliste. On ne peut alors plus affirmer avec certitude où se trouve l’électron ni où il va, mais seulement la probabilité qu’il soit dans une région de l’espace à un moment donné.
C’en est alors trop pour Einstein qui, lors du congrès Solvay de 1927, s’exclame devant les plus grands physiciens du monde «Dieu ne joue pas aux dés!». Selon lui, en effet, la science doit absolument être déterministe, sinon Dieu ne serait pas omniscient! Pour ridiculiser le modèle quantique, il déclare également que selon ce dernier, il y aurait plus de chance d’abattre une mouche qui volerait dans une cathédrale en tirant au hasard les yeux bandés que de trouver l’électron dans un atome!
Pourtant, le modèle de Schrödinger explique beaucoup mieux les observations. Il permet à l’époque de très grandes avancées, et Einstein, avec le temps et à contrecœur, finit par s’y résoudre. On peut donc se demander si, après tout, Dieu ne jouerait pas aux dés…
Il faut cependant garder en tête que si nous ne savons pas où est l’électron, c’est parce que nous nous appuyons sur des modèles scientifiques qui, par essence, ne sont jamais parfaits. Un modèle demeure une construction humaine pour interpréter la nature. En tant que créateur, Dieu sait où est l’électron. Si une probabilité intervient, il sait laquelle va se produire, de même qu’il connait d’avance le nom du prochain gagnant de Loto-Québec.
Dieu vs l’électron
En ce qui concerne l’incertitude de Heisenberg, elle n’est pas non plus en contradiction avec l’omniscience de Dieu. En effet, elle repose sur une formule mathématique faisant intervenir des incertitudes de mesure. Si nous, en tant qu’êtres humains, prenons des mesures en science, c’est parce que nous ne connaissons pas la réalité intrinsèquement, mais seulement par le biais d’observations.
Dieu, en revanche, en tant que créateur, connait directement cette réalité, et il n’a donc pas besoin d’effectuer de mesure, de même qu’il n’a pas besoin de radar photo pour savoir si on dépasse la limite de vitesse! En résumé, la connaissance divine n’étant pas sur le même plan que la connaissance humaine, ce principe ne s’applique pas à Dieu.
Pour finir, on peut légitimement se demander pourquoi Dieu aurait créé un univers avec des probabilités. Est-ce pour éviter que l’on puisse tout savoir et tout déterminer et que l’on reste humble devant sa création? Ou serait-ce plutôt pour effectuer des miracles plus discrètement?
Si Dieu joue aux dés, il sait en effet d’avance quelle face va se retrouver au-dessus. Il pourrait d’ailleurs changer cette face sans que nous nous en rendions compte puisqu’il s’agit de probabilités et que presque tout est possible en mécanique quantique, y compris passer à travers un mur comme un fantôme (comme il faudrait une durée égale à l’âge de l’univers pour avoir une chance raisonnable d’y parvenir, je ne vous conseille pas d’essayer, cela dit!).
On peut donc conclure que la mécanique quantique n’est pas en contradiction avec l’idée d’un Dieu omniscient. Elle est plutôt en contradiction avec l’idée d’un homme omniscient!