Sébastien Doane communion exclusion exclure
Photo : avec l'aimable autorisation de Sébastien Doane.

Repenser notre soif de communion avec Sébastien Doane

« Que tous soient un » (Jn 17,21). Ce rêve de Jésus pour ses disciples n’est pas si aisé à réaliser. Loin d’être automatique et uniformisante, la koïnonia des premiers chrétiens devait assumer la diversité et les tensions. En nous initiant à sa manière fascinante de lire la Bible, Sébastien Doane, professeur adjoint à la faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, retouche notre idéal de communion en lui donnant une couleur non pas « fleur bleue », mais bien plus « rouge sang » !

À quoi avez-vous pensé premièrement quand nous vous avons proposé de parler de communion pour cette entrevue ?

Mon côté professeur s’est dit : « Ah ! tant mieux ! C’est une thématique très paulinienne et ça va me permettre de la revisiter. » Quant au côté plus personnel de ma foi, la communion est quelque chose que je trouve intrigant, mais aussi ambigu. Beaucoup de choses qui sont dites dans des réflexions spirituelles sur la communion ne me touchent pas du tout parce que c’est un petit peu trop dans les bondieuseries. Comme s’il suffisait de recevoir la communion eucharistique et puis pouf ! tout le monde devient d’accord avec tout le monde dans le meilleur des mondes. À 43 ans, je n’ai plus la naïveté que j’avais quand j’avais 20 ans, et donc je ne vois plus la communion comme quelque chose d’aussi automatique. C’est un idéal à atteindre, certes, mais un idéal qu’il faut travailler. Parce que, si nous n’y mettons pas du nôtre, la communion n’arrivera pas par elle-même.

Cet article est d’abord paru dans notre numéro spécial de mars 2022. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.
Où parle-t-on surtout de la communion dans la Bible ?

Il existe une blague de bibliste en anglais qui dit : pour la communion, c’est comme pour les Beatles, « most of the interesting stuff is about John and Paul ! » (« Les choses les plus intéressantes se trouvent du côté de Jean [John Lennon] et Paul [McCartney]. ») On trouve aussi la notion de mise en commun dans l’Ancien Testament, mais c’est très différent du Nouveau, car c’est quelque chose qui se fait à travers l’appartenance à un peuple, entre des membres d’une même ethnie. Ce peuple se reconnait surtout comme ceux qui suivent le Seigneur avec leurs règles et leurs rituels, mais l’aspect communautaire et la relation à Dieu qui nourrit cette communion sont toujours sous-jacents.

Paul, qui est juif, quand il parle de communion, essaie de voir comment on peut parler de notre relation à Dieu et aux autres autrement que biologiquement, puisque les chrétiens n’ont pas nécessairement le même « background » historique et racial. C’est tellement novateur que Paul est contesté et il doit se défendre. Et c’est entre autres au moyen du discours sur la communion qu’il va réussir à mettre des mots sur ce lien qui est en train de se créer au-delà des frontières génétiques d’un peuple.

Avez-vous un exemple où Paul élabore ce genre de discours sur la communion ?

Dans la lettre aux Galates, par exemple, Paul est vraiment fâché, car certains frères ont essayé de circoncire de force son collaborateur Barnabé. La question est de savoir s’il faut que ceux qui suivent le Christ et qui n’étaient pas juifs suivent les pratiques juives ou pas. Dans cette lutte, il y a Paul et Barnabé d’un côté, Pierre et Jacques de l’autre. On assiste au premier grand conflit en Église, et pour le résoudre, il va y avoir ce qu’on appelle aujourd’hui le concile de Jérusalem. Or, c’est précisément dans ce moment ardu qu’il est question de communion.

Dans un verset très intéressant (Ga 2,9), Paul parle d’une « main de koïnonia ». On peut traduire « une poignée de main », mais c’est plus que ça. C’est « une main de communion » qui exprime la reconnaissance de l’autre et de sa mission, malgré l’importance des différences de points de vue et de façons de faire en Église.

« Ayant reconnu la grâce qui m’a été donnée, Jacques, Pierre et Jean, qui sont considérés comme les colonnes de l’Église, nous ont tendu la main, à moi et à Barnabé, en signe de communion, montrant par là que nous sommes, nous, envoyés aux nations, et eux, aux circoncis » (Ga 2,9).

Ce que je trouve intéressant, c’est que la communion dans ce passage souligne l’unité de tous ceux qui suivent le Christ : une unité qui n’est pas dans l’aplatissement des différences, mais au contraire, au sein même de notre différence. Même si on a une façon différente d’envisager la mission, on est ensemble dans cette mission. Je pense que nous avons à apprendre de cela. Nous avons un peu trop le réflexe, aujourd’hui, de la communion où tout le monde doit penser la même chose. Paul et Pierre ne pensaient pas de la même manière du tout sur des éléments très pratiques et se reconnaissaient pourtant dans la même communion.

Pourtant, cette communion semble loin d’être évidente !

En effet, la communion ne va pas de soi chez les premiers chrétiens. Elle est dans une pluralité parce que les premiers chrétiens sont beaucoup plus pluriels que nous aujourd’hui. C’est à cause de cela qu’ils ont réfléchi sur les liens qui nous unissent entre nous et qui nous unissent aussi à Dieu. Ils ont découvert que c’est le même type de lien qui forme une communion horizontale et verticale. Mais c’est toujours en tension. Et c’est justement parce qu’il y a une tension qu’on en parle. S’il n’y avait pas de tension, il n’y aurait pas eu tous ces passages sur la communion.

« Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons à vous aussi, pour que vous aussi, vous soyez en communion avec nous. Or, nous sommes, nous aussi, en communion avec le Père et avec son Fils, Jésus Christ » (1 Jn 1,3).

La Bible s’ouvre d’ailleurs dans cette tension : avec Caïn qui tue Abel. Dès que nous sommes deux personnes ensemble, en particulier si nous sommes proches comme des frères, des tensions vont apparaitre. La personne que je ne connais pas, qui est loin de moi, je n’ai pas de tension avec elle, car je n’ai rien en commun avec elle. Mais la personne avec qui je vis au quotidien – ma blonde, mon enfant, la dame dans le conseil de pastorale qui a une vision très différente de la mienne et avec qui j’essaie de faire quelque chose –, c’est avec elle que je vais avoir des tensions, pas avec l’inconnue.

La proximité fait en sorte que, oui, nous développons des tensions, mais c’est dans ces tensions-là que peut jaillir quelque chose de spirituel, quelque chose de Dieu entre nous. C’est ce que semblent indiquer Paul et Jean dans les lettres du Nouveau Testament : dans des situations de tension, nous nous appuyons sur la communion avec Dieu pour parler de la communion qui nous unit.

C’est d’ailleurs le même mot koïnonia qui est employé pour souligner ce qu’il y a de commun entre nous et aussi ce qui est commun de par notre appartenance au Christ et à Dieu.

C’est une appartenance très forte !

Oui, et cette communion est tellement forte que c’est comme si nous étions du même corps. Nous sommes incorporés avec les autres, mais aussi au Christ, dans sa souffrance comme dans sa résurrection. Paul reprend aussi cette métaphore du corps quand il parle du partage du pain et du vin (1 Co 10,16-17). Mais ce que je trouve fascinant, c’est que cette communion dans le Nouveau Testament n’est pas juste une affaire de sacrement, de prière et d’ecclésiologie, c’est aussi l’aspect financier des choses.

« La coupe de bénédiction que nous bénissons n’est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons n’est-il pas communion au corps du Christ ? Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain » (1 Co 10,16-17).

Quel est le but de cette mise en commun des biens matériels ? Est-ce une forme de communisme ?

Il faut faire attention de comparer cela au communisme, car le communisme vient avec tout un aspect philosophique imbriqué d’athéisme. Dans les Actes des apôtres, on voit que les personnes qui se mettent ensemble pour former l’Église primitive ne font pas juste se mettre ensemble pour prier, mais ils vivent ensemble jusqu’à être économiquement liés.

L’une des richesses du christianisme naissant, c’est de vivre des relations entre des personnes très différentes de celles qu’on voyait dans l’Empire romain, où il existait des tensions sociales hiérarchiques très fortes. Cette communion-là est loin d’être fleur bleue : elle est très incarnée et est en opposition avec les valeurs de l’époque. On ne vit pas cette solidarité avec le prochain qui devrait être notre prochain. On la vit avec le prochain qui ne devrait pas être notre prochain : maitre et esclave, homme et femme, Juif et Grec ensemble. Or, c’est complètement contreculturel pour un maitre de s’assoir et de partager le pain avec un esclave, et c’est pourtant ce qui arrive !

Toutes les oppositions qu’il pourrait y avoir, on les met de côté, puis on est en communion ensemble à travers ce pain, ces prières et l’argent qu’on partage, à travers les expériences de souffrance et les difficultés de la mission qu’on vit ensemble. Les différences qu’on a ne sont rien par rapport à ce qui est mis en commun. Je pense que c’est une des choses les plus subversives des premiers chrétiens et qu’on sous-estime aujourd’hui.

« Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun » (Ac 2,42.44).

Iriez-vous jusqu’à dire que nous négligeons trop souvent l’importance du « matériel » dans notre manière de vivre la foi aujourd’hui ?

Cette opposition binaire entre matériel et spirituel, je trouve qu’elle est très moderne. Je ne vois pas pourquoi il faudrait déconnecter l’un de l’autre. Le matériel est peut-être même ce qu’il y a de plus spirituel. Si quelqu’un a faim et qu’on lui donne ce dont il a besoin pour manger, alors tout un bienêtre spirituel va jaillir là-dedans.

Un autre exemple, c’est quand Paul parle aux Corinthiens de leur générosité dans la koïnonia (2 Co 9,12-13). Ils sont généreux « en communion », pour dire qu’ils font une bonne contribution financière à ceux qui en ont besoin. Même si le mot « communion » n’y est pas, c’est la même idée que l’on trouve dans la lettre de Jacques : « La foi, si elle n’est pas mise en œuvre, est bel et bien morte »(Jc 2,15-17).

Aujourd’hui, nous sommes très prompts à catégoriser les différents comités dans une paroisse. Le comité d’action sociale n’est pas le même que celui de l’adoration eucharistique. Alors que, pour les premiers chrétiens, c’était une seule et unique chose. C’est une communion de prière et une communion sacramentelle qui relient à Dieu, mais qui relient aussi aux autres, et jusqu’à notre portefeuille.

Je pense que c’est un défi pour nous tous de nous remettre en question et de nous dire : « Peut-être que j’ai à recentrer ma communion. Peut-être que je suis trop d’un côté ou de l’autre. » Dans tous les cas, il ne faut pas lire la Bible comme un miroir. Il faut se laisser mettre au défi par les textes bibliques sur la communion, qui nous invitent à faire un pas de plus dans une direction qui ne nous est pas tout à fait aisée.

À l’inverse de la communion, il y a l’excommunication. Peut-on excommunier au nom de l’Évangile ?

Nous sommes habitués à comprendre l’excommunication comme l’exclusion de ceux qui sont en dehors de la norme. Pourtant, dans la lettre aux Galates (Ga 1,9), Paul lance l’anathème à ceux qui excluent. À cette époque, la minorité qui ne pensait pas comme la majorité, c’était Paul et sa gang. Encore une fois, Paul nous parle de l’importance de lutter contre l’uniformité. C’est comme s’il disait : « Anathème à ceux qui excluent la diversité ! » Il y a une volonté de garder une pluralité ecclésiale dans la communion. Bref, c’est l’exclusion qui est à exclure. C’est quand même intéressant de voir ce retournement !

« Nous l’avons déjà dit, et je le répète : si quelqu’un vous annonce un Évangile différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ! » (Ga 1,9).

Jésus lui-même va excommunier des excommunicateurs. Je pense au passage de l’évangile de Matthieu (Mt 23,13) où il réprimande de façon extrêmement violente ses opposants. Ce n’est pas du tout le Jésus que j’ai vu en catéchèse. Quelle est la pire violence qu’on peut imaginer ? C’est d’exclure l’autre de la vie éternelle. C’est une violence horrible. Or, on a affaire dans ces invectives à un Jésus violent envers ceux qui sont violents, à un Jésus qui exclut du Royaume ceux-là mêmes qui prétendent en exclure d’autres du Royaume.

En somme, si quelqu’un exclut et brise la communion, c’est alors lui-même qui est en train de s’exclure de la communion. Si tu as à cœur la communion, il ne faut pas que tu utilises l’anathème comme outil pour arriver à ta communion. Si tu utilises un procédé qui va contre ce que tu vises comme objectif, tu es en train de détruire ton objectif. Comme on dit, la fin ne justifie pas les moyens.

« Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous fermez à clé le royaume des Cieux devant les hommes ; vous-mêmes, en effet, n’y entrez pas, et vous ne laissez pas entrer ceux qui veulent entrer ! » (Mt 23,13).

Pourtant, n’arrive-t-il pas aussi à Jean et à Paul d’excommunier des hérétiques et des pécheurs ?

C’est vrai. Dans sa première lettre, Jean annonce au début un désir de communion, mais il va ensuite exclure des gnostiques qu’il appelle « antichrists » parce qu’ils ne croient pas en l’humanité de Jésus Christ. L’objectif est la communion, mais des divergences sur le plan de la foi l’obligent à dire ce qu’il est fondamental de croire si l’on veut être unis avec le Christ et avec Dieu. Donc oui, il y a aussi une place pour une forme d’exclusion et pour dire : « Ceci ne fonctionne pas dans notre groupe. »

Aussi, dans un passage par rapport aux mœurs sexuelles, Paul dit aux Corinthiens (1 Co 5,1-2.5) : « Il y a une situation d’inceste qui est connue et qui est très problématique. Qu’elle soit dehors, cette personne-là ! » N’est-ce pas pourtant l’inverse du message de Jésus sur la femme adultère qui est exclue de la communauté à cause de ses mœurs sexuelles ?

C’est ça la beauté de l’interprétation des textes bibliques. Il n’y a jamais que du noir ou que du blanc : on est souvent dans le gris. Quoi faire, alors, quand on est dans le gris ? C’est ce qu’on fait présentement et ce que les rabbins font. Quelqu’un pose une question, quelqu’un d’autre pose une autre question. Tu arrives avec un texte biblique, quelqu’un d’autre arrive avec un autre texte biblique. Il faut toujours être dans un dialogue et se méfier de dire : « La Bible dit que… » La Bible dit une chose, oui, mais elle dit aussi autre chose. Nous sommes obligés, comme lecteurs, de nous responsabiliser.

Enfin, il semble que l’on puisse aussi communier aux souffrances de Jésus. Quel sens cela peut-il avoir ?

Notre vie est marquée par la finitude. La vie, c’est un package deal qui vient avec la souffrance. Une souffrance injuste et inutile peut-être, une souffrance qu’on voudrait éliminer, mais avec laquelle il faut composer.

Les premiers chrétiens qui souffraient se disaient : « Nous sommes en communion avec le Christ qui souffre et nous sommes aussi en communion dans nos propres souffrances. » Pas pour glorifier la souffrance, mais parce que c’est là où Dieu ressuscite. Dieu ressuscite le crucifié ! Je pense d’ailleurs que c’est ça qui rend l’Évangile si important pour des personnes qui vivent dans des situations de maladie, de pauvreté, de violence ou d’oppression politique. Quand tu vois la crucifixion, tu espères la résurrection. Nous attendons ce renversement complet des choses au cœur de nos souffrances, au cœur de la mort.

« On entend dire partout qu’il y a chez vous un cas d’inconduite, une inconduite telle qu’on n’en voit même pas chez les païens : il s’agit d’un homme qui vit avec la femme de son père. Et malgré cela, vous êtes gonflés d’orgueil au lieu d’en pleurer et de chasser de votre communauté celui qui commet cet acte. […] Il faut livrer cet individu au pouvoir de Satan, pour la perdition de son être de chair ; ainsi, son esprit pourra être sauvé au jour du Seigneur » (1 Co 5,1-2.5).

L’Évangile, la bonne nouvelle, c’est dire que ça ne finit pas dans la mort, qu’il y a une façon de communier avec le Christ là-dedans aussi. L’expérience fondamentale du christianisme, c’est ce passage de la mort à la vie par la souffrance. Je pense que c’est ça, le génie du christianisme.

Simon Lessard

Simon aime entrer en dialogue avec les chercheurs de vérité et tirer de la culture occidentale du neuf et de l’ancien afin d’interpréter les signes de notre temps. Responsable des partenariats pour le Verbe médias, il est diplômé en philosophie et théologie.