Illustration : Émilie Dubern/Le Verbe

Rencontre avec un exorciste

La figure de l’exorciste étonne, intrigue. Les films cultes le mettent souvent en scène sous un jour sensationnel. On comprend pourquoi : il touche à une limite, se tient à la frontière entre le naturel et le surnaturel. Par de l’eau bénite, des médailles et des formules, l’exorciste entre en contact avec l’invisible, qui se rend manifeste à son action. Il déjoue l’adversaire pour redonner au possédé ses esprits. Mais plus profondément, il rend tangibles le combat spirituel et les principes qui le gouvernent.

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Le Verbe : Pour accepter de nous parler, vous avez requis l’anonymat. Pourquoi autant de discrétion entoure le ministère de l’exorciste ?

99% des gens qui pensent être possédés ne le sont pas. On aurait 99 cas à étudier avant d’en avoir un vrai. C’est pourquoi il y a tout un processus de filtrage avant qu’on vienne directement à moi. Une équipe fait le discernement avant. Les personnes ont d’abord vu leur curé ou un représentant, comme un prêtre. Ils remplissent un questionnaire qui aide à trouver les portes d’entrée possibles à l’esprit mauvais. Il y a aussi une évaluation psychiatrique. C’est là que je peux être appelé à intervenir.

Comment en êtes-vous venu à exercer ce mandat exceptionnel?

J’ai été ordonné prêtre en 1984. J’ai surtout fait du ministère en paroisse. D’abord au Québec, ensuite au Canada anglais. Je faisais partie d’une paroisse très vivante où certains paroissiens ont développé de l’intérêt pour le ministère de guérison et de délivrance. J’étais un peu sceptique. Dans les premières années de mon sacerdoce, je doutais de la réalité des anges. C’est un peu ironique, vu ma fonction aujourd’hui.

Quand j’ai rencontré le mouvement charismatique dans les années 1990, j’en ai vu la force. J’ai eu une sorte de conversion à l’Esprit Saint. C’est probablement grâce à l’influence de Jean-Paul II, mais j’ai redécouvert l’importance de l’adoration et de la confession. Notre paroisse est devenue un centre de confession. J’en faisais presque dix heures par semaine. Mon directeur spirituel était un exorciste et m’a quand même initié à ça. Quand il a dû être nommé à un autre diocèse, il a proposé mon nom à l’évêque.

« Personne ne peut légitimement prononcer des exorcismes sur les possédés, à moins d’avoir obtenu de l’Ordinaire du lieu une permission particulière et expresse. Cette permission ne sera accordée par l’Ordinaire du lieu qu’à un prêtre pieux, éclairé, prudent et de vie intègre » (Can. 1172).

Quand l’évêque vous a approché, avez-vous eu des réticences à accepter?

J’ai fini par dire oui, mais j’ai pris trois mois à répondre. Je me sentais trop pécheur pour être responsable d’un possédé. Je me disais que j’avais encore des tentations. J’avais peur de céder. Mais j’ai appris par la suite qu’on ne juge pas de la vertu par l’absence de tentation.

Lorsqu’on m’a demandé, j’ai ressenti beaucoup de paix, et aussitôt que j’ai dit oui, beaucoup de force. Après avoir été nommé, j’ai reçu une formation de 40 jours transmise par d’autres exorcistes.

Lorsque j’ai rencontré le premier possédé, je me suis rendu compte que l’esprit avait très peur. Il tremblait durant les séances. J’ai aussi constaté qu’il n’avait pas peur de moi, mais de mon lien avec le Christ à travers l’évêque. Le démon sait quand tu es exorciste. Si l’évêque n’approuve pas ton ministère, l’esprit ne t’écoutera pas. Il est très légaliste.

Tout chrétien ne peut-il pas combattre les puissances mauvaises en vertu de son baptême?

Personnellement, tu ne peux pas dire le rite de l’exorcisme, mais tu peux renoncer à l’esprit mauvais au nom de Dieu, de l’Esprit saint. Ça peut être très efficace.

On peut aussi être exorciste par un charisme exceptionnel, comme beaucoup de grands saints. Saint Jean-Marie Vianney ou sainte Catherine de Sienne l’étaient par leur sainteté. Le démon disait au curé d’Ars: « S’il y en avait trois comme toi sur la terre, mon royaume serait détruit. » Ce n’était pas officiel, mais le pape savait que sainte Catherine de Sienne faisait des ministères de guérison jusqu’à expulser des démons, par sa simple présence parfois.

« Une fois que tu t’es confessé, tes péchés sont effacés. Le démon n’y a plus accès. Il ne peut plus t’accuser. »

Un prêtre peut faire un exorcisme mineur, mais très peu le font ou savent qu’ils peuvent le faire. Souvent, pour les cas de tentation, d’obsession ou d’oppression, le ministère de délivrance ou l’exorcisme mineur conviennent. Ce n’est pas encore le grand exorcisme solennel, mais c’est tout de même puissant.

Comment se prépare-t-on pour ce ministère?

Un des signes évidents de la possession est que la personne peut recevoir des révélations d’esprits mauvais sur l’exorciste. Il faut se confesser régulièrement et juste avant de faire le ministère. Une fois que tu t’es confessé, tes péchés sont effacés. Le démon n’y a plus accès. Il ne peut plus t’accuser.

Quand j’ai un exorcisme, je vais toujours demander à une communauté religieuse de prier pour moi. Les communautés religieuses contemplatives sont très puissantes pour nous aider. Plus la communauté ecclésiale soutient le ministère, plus l’exorcisme va être facile.

Comment se déroule une séance?

Je suis avec une équipe. Parfois des prêtres, un couple dans la cinquantaine dévoué à ce ministère et des gens qui sont présents pour prier. Les sessions durent deux, trois, parfois quatre heures. Plus l’esprit est fort, plus il va dire non. Ça prend un minimum de quatre mois à voir la personne une ou deux fois par semaine. Parfois, ça s’échelonne sur des années. On en vient à bout par la patience et la persévérance.

Les esprits sont très sensibles aux sacramentaux. Ils ont une aversion pour la Sainte Vierge, pour les saints et pour toutes les reliques. Une fois, les mains d’un possédé me serraient tellement que je ne pouvais pas m’en sortir. Une personne a mis une médaille de saint Benoît sur nos mains, et tout de suite, l’esprit a relâché. Pendant ma jeunesse, je me moquais des reliques. Depuis que je suis exorciste, je me suis rendu compte de leur pouvoir réel.

Quelles sont les portes d’entrée pour les esprits mauvais? Comment se rend-on au stade de la possession?

Que tu ouvres une porte ou non, ce n’est pas clairement défini. C’est très graduel. Ça commence souvent par une extrême difficulté à se libérer d’un péché grave, qui est répété et répété et qui n’est pas confessé.

C’est le contraire de la vertu. À force de répéter des actes bons en harmonie avec Dieu, ça devient une habitude de vie. Le diable a de la difficulté à défaire ça. Quand c’est une habitude mauvaise, ça devient de plus en plus fort, jusqu’au point où l’esprit mauvais peut entrer de plus en plus profond en toi.

Aujourd’hui, il y a de plus en plus de fascination pour les forces de l’occulte. On est tenté de leur demander le bonheur, la paix, la richesse, le succès. On fait comme un contrat avec l’esprit du mal. Mais les demandes de faveurs ont un prix. On lui donne des droits sur nous.

A-t-on tendance à minimiser l’existence du démon à notre époque?

Le pape François est l’un des papes qui en a parlé le plus souvent. Il a parlé du diable comme étant un esprit personnel et non pas un symbole.

On est de plus en plus sous son emprise sans trop le savoir. Une grenouille dans un bain d’eau tiède va se sentir bien. Mais si la température augmente tranquillement, elle va rester là et probablement finir par mourir. On s’habitue à un climat d’absence de Dieu. On trouve notre joie ailleurs, dans les divertissements, l’argent, le luxe.

« Ne pensons donc pas que [le démon] c’est un mythe, une représentation, un symbole, une figure ou une idée. Cette erreur nous conduit à baisser les bras, à relâcher l’attention et à être plus exposés. Il n’a pas besoin de nous posséder. Il nous empoisonne par la haine, par la tristesse, par l’envie, par les vices. Et ainsi, alors que nous baissons la garde, il en profite pour détruire notre vie, nos familles et nos communautés, car il rôde “comme un lion rugissant cherchant qui dévorer”. »
– Pape François

Doit-on craindre les forces du mal?

Saint Augustin dit que le démon, c’est comme un chien mauvais, mais qui est enchainé. Si tu vas jouer dans le rayon de sa chaine pour l’apprivoiser et avoir de la puissance sur les autres, là, tu es en danger. Si tu ne l’approches pas, il ne peut rien faire.

Qu’est-ce que ce ministère vous a appris sur la vie spirituelle?

Ma foi me dit que Dieu donne à l’esprit du mal la permission d’agir. Le Seigneur le permet pour nous engager dans le combat spirituel. Les épreuves sont nécessaires pour notre santé spirituelle. Autrement, nous perdons nos forces. Mais Dieu ne permettra jamais des choses sans donner la grâce de résister. Le diable est une personne qui fait toujours du mal qui, en fin de compte, est toujours récupéré en bien. C’est très frustrant pour lui.

Avant d’être exorciste, j’avais une foi faible. Peut-être trop rationnelle. Je faisais confiance à Dieu, mais, sans trop le savoir, c’était une confiance limitée et conditionnelle. C’est une grâce pour moi, ce ministère, parce que le surnaturel se déroule devant mes yeux. C’est une source de foi, et avec la foi grandissent les deux autres vertus théologales, l’espérance et la charité.

Ce qui m’a aidé à accepter le ministère, c’est que mon conseiller spirituel m’a dit que ma foi deviendrait solide comme le roc. J’ai expérimenté que Dieu est infiniment plus puissant et que même quelqu’un de faible comme moi peut, au nom de Dieu, chasser le démon.

Illustration : Émilie Dubern/Le Verbe

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Sarah-Christine Bourihane

Sarah-Christine Bourihane figure parmi les plus anciennes collaboratrices du Verbe médias ! Elle est formée en théologie, en philosophie et en journalisme. En 2024, elle remporte le prix international Père-Jacques-Hamel pour son travail en faveur de la paix et du dialogue.