Béatitudes
Illustration: Émilie Dubern/Le Verbe

Claire Haffner : Imiter le Christ par les Béatitudes

D’origine alsacienne, sœur Claire Haffner a grandi dans le sud de la France. Élevée dans la foi par sa grand-mère dès la naissance, elle a suivi Jésus toute sa vie jusqu’au jour où elle a compris qu’il la voulait pour lui. Elle entre alors dans la communauté des Béatitudes en 1985. Dans sa vie consacrée, elle a eu à s’occuper des jeunes, et aussi à faire des enseignements bibliques, notamment au Québec, à Radio Galilée, et en France à Radio Espérance. Au quotidien, elle cuisine pour sa communauté de l’abbaye Saint-Martin-du-Canigou, qu’elle fait également visiter à des groupes de touristes. Elle a gracieusement accepté de répondre à nos questions sur les Béatitudes.

La tradition a nommé «Béatitudes» cette partie du sermon sur la montagne où Jésus déclare «heureux» ceux qui expérimentent certains états ou dispositions du cœur. Comment décririez-vous le bonheur auquel nous sommes invités exactement?

Je décrirais cela par deux mots: paradoxe et cheminement.

«Paradoxe» parce que nous sommes appelés à renverser totalement notre vision du bonheur et entrer progressivement dans la vision de notre Père qui veut notre bonheur.

«Cheminement» parce qu’il s’agit de la transformation progressive de notre être qui va s’ajuster peu à peu au cœur du Père et à celui de Jésus par l’action de l’Esprit Saint. «Si vous apparteniez au monde, dit Jésus à ses disciples, le monde aimerait ce qui est à lui. Mais vous n’appartenez pas au monde, puisque je vous ai choisis en vous prenant dans le monde; voilà pourquoi le monde a de la haine contre vous» (Jn 15,19).

Et le verset d’après: «Si l’on m’a persécuté, on vous persécutera, vous aussi.»

L’expérience des Béatitudes signifie que nous allons vivre sur terre l’expérience du seul qui les a vécues parfaitement, celui que nous voulons suivre: notre Seigneur Jésus, mort et ressuscité pour nous.

Cet article est tiré de notre numéro spécial BÉATITUDES. Abonnez-vous gratuitement en cliquant sur la bannière.

D’après la formulation de certaines de ces Béatitudes, on pourrait croire qu’il existe des personnes intrinsèquement douces, miséricordieuses, pauvres en esprit, etc. Est-ce le cas?

Nous l’avons dit: seul Jésus a vécu intrinsèquement les Béatitudes. Personne sur terre, sauf la Vierge Marie, ne peut vivre les Béatitudes totalement parce que notre cœur est rempli de malice(Ps 5,10). Il s’agit d’imiter Jésus, d’écouter sa Parole pour la mettre en pratique. «Ce n’est pas en me disant: “Seigneur, Seigneur!”» (Mt 7,21),mais d’«entrer par la porte étroite» (Mt 7,13) en sachant, comme Jean le Baptiste qu’«un homme ne peut rien s’attribuer, sinon ce qui lui est donné du Ciel» (Jn 3,27).

Tout nous vient du Père: la vie, l’être, le vouloir et le faire, tout ce qui nous entoure a été créé par le Père. Une fois que cela est enraciné dans notre conscience, alors nous pourrons commencer à vivre les Béatitudes.

Pour la plupart d’entre elles, on a aussi l’impression que la souffrance est une condition siné qua non du bonheur. Devrais-je donc chercher à être persécuté ou à pleurer?

Nous pouvons affirmer que Jésus est un être totalement heureux parce que sa nourriture est de faire la volonté de Celui qui l’a envoyé (Jn 4,34) et qu’il n’y a aucune faille dans la relation qui l’unit au Père. Là se trouvent son trésor, son cœur, son bonheur, sa joie et sa paix, que rien ni personne ne peut lui enlever. Dès les origines, le Verbe est auprès du Père, et le Verbe incarné n’a jamais été séparé de son Père: «Le Père et moi, nous sommes UN» (Jn 10,30). Voilà où se trouve le fondement de cette formidable confiance, voilà ce à quoi nous sommes appelés: entrer dans cette relation avec le Père, comme des frères que Jésus entraine derrière lui dans la puissance de sa résurrection, si nous voulons marcher à sa suite et ajuster notre volonté à celle du Père.

Les Béatitudes ne sont pas une «morale», «un idéal à désirer» ni «un manuel de bonheur». Elles sont le chemin que Jésus ouvre pour nous, chemin raide qui passe par une porte étroite.

Notre bonheur va résider dans le cœur du Père, mais passant par la porte étroite, nous aurons à nous dépouiller de l’accessoire pour devenir pauvres, humbles, miséricordieux, doux, purs. Nous entrerons dans le combat spirituel, car nous sommes pécheurs, et nous subirons la persécution de la part de tous ceux qui refusent la lumière. Mais la paix et la joie qui sont données à ceux qui suivent vraiment le Christ ne nous seront jamais enlevées, parce que ce bonheur est fondé dans le Père. La souffrance n’est pas une condition siné qua non, mais elle est inévitable parce que nous avons à lutter contre les forces du mal à l’œuvre en nous et au-dehors de nous.

Comment doit-on voir les Béatitudes? Un manuel de bonheur? Un bel idéal à désirer? Une morale à appliquer chaque jour?

Les Béatitudes ne sont pas une «morale», «un idéal à désirer» ni «un manuel de bonheur». Elles sont le chemin que Jésus ouvre pour nous, chemin raide qui passe par une porte étroite, dans laquelle nous devrons entrer si nous voulons suivre Jésus sur le chemin qu’il a pris lui-même vers sa Passion et sa Résurrection. Tout baptisé qui veut vivre la grâce de son baptême devra emprunter ce chemin jour après jour, plutôt que de rejoindre la foule qui s’engage sur le chemin de la perdition, qui est un chemin de concessions et de facilité (Mt 7,13).

Une Béatitude prise individuellement suffit-elle pour «être heureux», ou le chrétien est-il appelé à les vivre toutes? Quelle place prennent-elles par rapport aux dix commandements?

La Bible est un tout, et tout est important. Dans l’Ancien Testament, on trouve à plusieurs reprises des commandements sur l’amour de Dieu et du prochain: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même» (Lv 19,18); «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force…» (Dt 6,4-9); et: «Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi» (Ex 20,3) avec les dix commandements.

Remarquons que les verbes sont au futur, car il s’agit bien d’un chemin qui nous mène à l’unique but de notre vie sur terre: la sainteté. Car il est écrit: «Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint» (Lv 19,2). Voilà le but, et le verbe «soyez» est à l’impératif, tout comme dans «Écoute Israël», car rien ne peut se faire si nous n’écoutons pas la voix de l’Éternel qui nous appelle.

Les commandements dans la Bible, et en particulier les dix commandements – ils sont aussi au futur –, sont les bornes du chemin. Nous ne pouvons pas vivre les Béatitudes en servant d’autres dieux que Celui qui nous a fait sortir de l’Égypte, de l’oppression du péché, pour être notre Dieu et nous libérer de toute forme d’esclavage. Nous ne pouvons pas être son peuple si nous négligeons de sanctifier le jour du Seigneur, car alors nous n’aurons pas la force, sans les sacrements et la Parole, de le suivre et de repousser les tentations.

Nous ne pouvons «servir à la fois Dieu et l’argent» (Mt 6,24), abandonner nos parents, voler, tuer, porter de faux témoignages, répandre la médisance, la calomnie, mentir, adopter les mœurs du monde, commettre l’adultère, convoiter les biens du prochain. Tout cela est contraire à l’Esprit des Béatitudes.

Les Béatitudes sont-elles toutes aussi importantes les unes que les autres? Pourquoi? Y a-t-il une Béatitude qui vous semble particulièrement importante dans notre monde contemporain?

Toutes les Béatitudes sont importantes. Certaines peuvent correspondre à un moment de notre vie selon l’étape que nous vivons, mais toutes seront intégrées dans notre chemin, car les Béatitudes sont le but d’une vie ajustée à la volonté du Père, et ces paroles vont agir pour transformer notre être tout entier. Alors, nous allons nous confronter à tout ce que le mal a semé en nous pendant que nous «dormions», que nous nous laissions emporter dans le courant du monde. De concessions en tolérances, notre cœur s’est endormi jusqu’à perdre le sens de Dieu et de sa volonté.

Avant de préconiser une Béatitude plutôt qu’une autre dans le monde contemporain, il semble qu’il faudrait que chacun laisse résonner en lui-même la question que saint Jean-Paul II a posée à la France: «Fille ainée de l’Église, qu’as-tu fait de la grâce de ton baptême?»

Le Saint-Esprit pose cette question à chacun d’entre nous pour que nous nous engagions courageusement dans la voie du retour vers le Père, en écoutant la Parole de son Fils et en la mettant en pratique. Alors, il nous l’a promis: «Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure» (Jn 14,23); «Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite» (Jn 15,11).

Voilà où sont notre trésor et notre bonheur. Voilà où est le salut de l’humanité.

Il existe une version un peu différente du texte chez Luc et chez Matthieu. Que remarquez-vous de significatif dans les deux versions?

Chez Luc, elles sont plus courtes, mais surtout, ses quatre Béatitudes sont suivies de quatre «malédictions»… qui n’en sont pas. En effet, Jésus, étant totalement bon, ne peut maudire, et l’hébreu va employer cette locution: «Vous êtes malheureux» [NDLR: plutôt que le «Malheur à vous» que nous sommes habitués d’entendre], parce que ceux qui sont riches, rassasiés, ceux qui rient, qui ont une bonne réputation, sont des gens comblés qui n’ont soif de rien d’autre.

Dans la pensée biblique, la richesse est considérée comme une bénédiction, à condition qu’elle n’endurcisse pas le cœur. Si le riche respecte le repos du shabbat, les fêtes de pèlerinage, les lois du repos de la terre tous les sept ans et du jubilé, s’il verse sa dime au Temple et qu’il partage avec le pauvre, la veuve, l’orphelin, l’étranger, le lévite, etc. (Dt 14,28-29), alors sa richesse sera une bénédiction. Il sera heureux, car il est écrit «Heureux qui pense au pauvre et au faible: le Seigneur le sauve au jour du malheur! Il le protège et le garde en vie, heureux sur la terre» (Ps 41,2-3).

En tant que membre de la communauté des Béatitudes, êtes-vous appelée à approfondir d’une manière particulière les textes des Béatitudes?

Il est tout à fait certain que la communauté est appelée à approfondir les Béatitudes, qui forment notre charte, mais nous pourrions dire que ces versets doivent être la charte de toute l’Église de Jésus. Tout baptisé est appelé à suivre et à imiter Jésus pauvre, affligé par nos péchés, doux et humble, affamé et assoiffé de la justice de son Père, qui n’est pas celle du monde. Il est miséricordieux, pur, artisan de la vraie paix et persécuté pour la justice, lui qui a été outragé, persécuté, calomnié, car «la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises» (Jn 3,19).

James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.