[…] échafauder une suite à la mort, c’est ce que nous faisons tous les jours de notre existence. Ça s’appelle continuer à vivre. (D. Fortier)
Je referme à l’instant la plaquette que signe Dominique Fortier aux éditions Alto. Je considère la couverture nacrée de Quand viendra l’aube et j’y vois le reflet de tous ces petits trésors de l’océan parsemés au fil du livre de Fortier. Au risque de paraitre banal, j’y vois aussi et surtout la métaphore du livre lui-même qui se présente telle une sortie des profondeurs.
En effet, Stéphanie Robert, qui signe la couverture du livre, a su saisir avec finesse les enjeux de l’écriture de Fortier. Je pense au texte de la couverture qui semble avoir été découpé à la main avant d’être agencé tel un collage, à l’image du procédé d’écriture de l’écrivaine : « Mes livres m’arrivent en morceaux, qu’il faut assembler comme les pièces d’un casse-tête […].» (p. 78)
Je pense aussi à la manière dont l’artiste a utilisé l’acrylique pour créer des effets aquatiques, des jeux de transparences dans des teintes de bleu, océaniques.
« Dans les flaques luisaient des escargots délavés, des petits poissons aussi vifs que des ombres qui s’enfuyaient sur notre passage, et de fragiles coquilles de moules zébrées, si fines qu’elles paraissaient translucides, écartées comme des ailes d’ange. »
Quand viendra l’aube, p.66
Impressions en bleu
Bien qu’écrit dans le contexte de la mort du père de l’écrivaine, ce livre aborde peu l’homme qu’il fut ou encore la relation père-fille, du moins jamais de façon linéaire ou frontale. Avec pudeur, les questions existentielles affluent dans ce livre sous la forme d’impressions, des impressions dans les teintes de bleu.
Toutefois, il ne faut pas croire que le jeu des impressions est pris à la légère. Il ne s’agit pas d’un simple journal personnel. C’est avec intelligence que Fortier nous invite à la suivre sur un parcours semé de mots, des mots dont elle décortique l’étymologie avec finesse pour mieux nous conduire sur son chemin intérieur.
En ce sens, l’aube [du latin alba, blanc] revêt plutôt une couleur bleutée, de ce bleu qui éclaire de l’intérieur, pour mieux voir en soi, pour mieux saisir l’invisible. C’est le bleu du manque, de l’attente et du désir.
« Désirer, de-siderare, c’est au contraire cesser de regarder l’étoile, détacher les yeux de sa clarté, constater le trou qu’elle laisse, en disparaissant, dans le noir du ciel. […] L’étoile disparue, que nous reste-t-il à trouver dans les ténèbres, comment faire pour se guider – la lune est si peu sûre, sans parler des nuages. En nous privant de notre compas, le désir nous transforme tous en aveugles qui cherchent leur chemin à tâtons dans le mystère de la nuit. Là où la sidération nous cloue sur place, le désir nous met en mouvement, héroïques et incertains. »
Quand viendra l’aube, p. 97
Marine
Le bleu est aussi celui de la mer qui devient l’un des personnages les plus présents du livre. La mer recèle de nombreux symboles qui peuvent facilement relever du lieu commun. Dominique Fortier se les approprie toutefois avec simplicité et y fait sa récréation.
Aussi, tous ces coquillages et ces escargots qui jonchent le sol du récit me rappellent les courtepointes de La Porte du ciel (2011) ou encore les fleurs de l’herbier d’Emily Dickinson (dans Les Villes de papier, 2020, entre autres). Chaque morceau recueilli, que ce soit une retaille de tissus ou une fleur coupée, est ensuite agencé pour former une trame : récit et vestiges de ce qui n’est plus. Cependant, cette trame constitue une vie en elle-même, elle porte la vie. N’est-ce pas là le sens de la recréation?
« C’est là que l’on trouve les plus belles coquilles d’huîtres, gris perle, lilas ou vert d’eau. Zoé et moi y bricolons depuis notre arrivée de tout petits mondes, appliquant des motifs de paysages à même la voûte de nacre que nous cerclons ensuite de doré, à la manière de bijoux précieux. »
Quand viendra l’aube, p. 28
Il en va des livres comme des coquilles d’huitres
Il en va ainsi de l’écriture qui donne sens à la vie. Elle relie la vie à la mort, puis permet la renaissance, à travers l’enfant, les marées, la flore, mais aussi à travers le texte lui-même qui fait revivre sous une forme nouvelle la collecte des choses passées :
« Il s’agit d’abord d’isoler chaque fragment (parfois une scène entière, parfois deux ou trois paragraphes, voire quelques lignes seulement), de les imprimer, puis de les répandre autour de soi de façon à pouvoir les embrasser tous du regard en même temps. Ensuite, j’imagine, c’est comme pour composer un bouquet de fleurs. »
Quand viendra l’aube, p. 78
… ou encore, on peut imaginer que c’est comme pour le bricolage d’un paysage dans une coquille d’huitre. Je ne saurais mieux décrire ce livre qui ressemble à cette miniature où chaque détail, chaque mot a été choisi avec soin créant ainsi des réseaux de sens qui le dépasse et habite le lecteur d’un sentiment pénétrant, mais jamais lourd : profond et lumineux à la fois. Comme pour la musique en creux dans le pavillon d’un coquillage abandonné, l’aube se lève sur la nuit.