Déjà salué par les critiques, le film Conclave nous plonge au cœur des intrigues d’une élection papale sous haute tension. Mais comment ce suspense est-il perçu par ceux qui vivent l’Église de l’intérieur ? Pour le savoir, je suis allé voir le film avec le père assomptionniste Édouard Shatov du Centre culture et foi – Le Montmartre à Québec. Ses réflexions, au-delà des clichés, m’ont conduit des coulisses du pouvoir du Vatican jusqu’à celles de mon âme.
En route vers le cinéma, je demande à mon ami prêtre et collaborateur du Verbe pourquoi les élections des papes nous fascinent tant. Il m’explique qu’au Moyen-Âge, on se préoccupait moins de la manière dont on arrivait au pouvoir que de ce qu’on en faisait. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Nous sommes fascinés par le moyen de l’acquérir, mais nous regardons très peu ce que l’on en fait ensuite. Je me reconnais immédiatement dans ce travers moderne qui s’en donne à cœur joie en cette période d’élections américaines.
Une guerre de pouvoir
Juste avant la projection, le père Shatov, qui a lu le roman de Robert Harris à l’origine du film, me met en garde : « Il ne faut pas voir ce film comme un portrait de l’Église, mais comme une réflexion sur le pouvoir. » Et le pouvoir est partout, à Washington comme à Rome, dans nos relations de travail ou de couple.
En résumé, après la mort du pape, le cardinal britannique Lawrence se retrouve en charge d’organiser l’élection du successeur de Pierre. Il est rapidement pris entre les manigances de cardinaux pas très catholiques. Il faut l’admettre, l’avant-dernier long métrage du réalisateur allemand Edward Berger (À l’Ouest, rien de nouveau) a de quoi séduire ceux qui s’intéressent aux coulisses du pouvoir bien plus qu’au mystère de l’Église.
Conclave n’étonnera personne en présentant des hommes qui succombent aux tentations du pouvoir. Il y a ceux qui le désirent sans se l’avouer et ceux qui s’en désistent par lâcheté. « C’est une guerre ! Et vous devez prendre parti », lance un cardinal progressiste au cardinal Lawrence. Une guerre, oui, mais pas tant entre factions de gauche et de droite que dans l’âme de chacun.
Des acteurs en état de grâce
Durant la projection, père Édouard et moi sommes à la fois charmés et contrariés par ce film capable du meilleur comme du pire… Probablement à l’image des hommes qu’il dépeint.
Le meilleur se trouve sans doute du côté du jeu des acteurs. Ralph Fiennes, en doyen des cardinaux, y incarne l’un des plus grands rôles de sa carrière depuis La liste de Schindler. Même jeu de maitre pour Stanley Tucci, Lucian Msamati et Sergio Castellitto en cardinaux papables ou John Lithgow en prélat québécois dont on devine aisément l’inspiration. Isabella Rossellini est aussi remarquable dans le rôle d’une sœur qui illustre la présence discrète (mais essentielle) des femmes dans l’Église.
La direction photo est aussi splendide que symbolique, de même que la musique de Volker Bertelmann qui sert à merveille la tension narrative. Les dialogues, sans être d’une grande originalité, réussissent tout de même à soutenir notre attention durant les deux heures de cet huis clos de 108 cardinaux au Vatican. Quant au rythme plutôt lent, il épouse la marche de ces vieux hommes et de leur Église. On arrive à sentir le poids des traditions, mais aussi leur importance et leur beauté.
Un scénario vicié de clichés
Bien que captivant, le scénario est souvent prévisible. Pour un catholique, il se révèle une accumulation de lieux communs sur l’Église.
Le conclave, présenté uniquement comme un évènement politique, n’a pas la profondeur spirituelle qui aurait pu hisser l’histoire au-delà du simple suspense. On a plus d’une fois l’impression d’assister à une version ecclésiale d’House of Cards, avec des cardinaux qui excellent davantage en duplicité qu’en intériorité.
Père Édouard l’avoue : « Il faut lire le roman pour descendre dans les profondeurs psychologiques de chaque cardinal. Le film ne donne que les grandes lignes, souvent simplifiées, alors que le roman permet d’entrer dans le for interne des personnages. »
Mais le pire se trouve dans le retournement final qui, à tout le moins pour le croyant, est extrêmement décevant et subversif. Ce qui avait le potentiel d’un grand suspense psychologique se termine en ridicule propagande idéologique. On dirait presque qu’un consultant DEI (diversité, équité, inclusion) a réécrit le dernier chapitre pour obtenir une subvention fédérale. Sans divulgâcher, disons que père Édouard et moi nous sommes mis d’accord sur l’inutilité et l’improbabilité de cette dernière scène.
Le péché de certitude
À la sortie, le prêtre et critique de cinéma me fait part de ses impressions : « l’œuvre se veut un plaidoyer contre les fausses certitudes ».
Dès les premières minutes, on apprend que le défunt pape éprouvait des doutes… Non pas sur Dieu, mais sur l’Église. Puis, vient le discours d’ouverture du conclave, où le cardinal Lawrence déclare : « Il y a un péché que je crains plus que tous les autres… la certitude ».
Il ne s’agit pas ici de fidéisme, précise père Shatov en bon théologien. Cette doctrine, rejetée par les catholiques, prétend que la foi s’opposerait à la raison et demeurerait toujours incertaine. Il est plutôt question ici de certitude sur le plan pratique. « Peu importe que cette certitude s’appuie sur la science ou la religion, rappelle le prêtre d’origine russe, elle provoque souvent des violences. C’est vrai des conservateurs, mais aussi des progressistes. C’est vrai des croyants, mais aussi de certains scientistes qui ont une certitude refermée sur elle-même. L’enfermement sur soi, ou l’autoréférentialité comme dirait le pape François, est mortel aussi bien pour l’Église que pour l’État. »
Ce qui guide nos choix
La plus grande leçon de ce film pour le père assomptionniste est que dans l’Église, comme dans chaque prêtre, cohabitent le péché et la sainteté. Il y a des hommes fourbes et avides certes, mais « il y a aussi des personnes simples et intègres, comme le cardinal Lawrence, qui prennent soin de tous, qui portent attention à la parole de Dieu et qui sont capables de prêcher à partir du cœur ».
« Au fond, conclut-il avant qu’on ne se laisse, ce film invite à réfléchir sur ce qui guide et motive nos choix. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller ? Jusqu’où pensons-nous être capables d’influencer le choix des autres ? »
En chemin vers la maison, cette tirade emblématique de Spider-Man me revient : « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ». Et avec elle ces mots d’un autre superhéros, juif celui-là : « celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur; et celui qui veut être parmi vous le premier sera votre esclave » (Matthieu 20,26-27).
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Conclave est sorti le 25 octobre 2024 dans la plupart des cinémas du Québec.