C’est un espace minuscule – une famille y entre à peine –, mais l’on sent bien qu’il s’agit d’un sanctuaire, soit un lieu saint. La chapelle Saint-Antoine-de-Padoue, à l’Ermitage Saint-Antoine de Lac-Bouchette, donne en effet à ses visiteurs la douce sensation d’une proximité avec de saints personnages : le grand saint Antoine avant tout, mais aussi l’abbé Elzéar DeLamarre, fondateur du lieu dont le tombeau repose sous le sol, afin d’être « piétiné par les pèlerins » selon sa volonté.
Parmi les nombreux attraits de l’Ermitage, cette chapelle, que l’on qualifierait de demi-bâtiment, se fait toute discrète. Ses 23 tableaux réalisés par l’artiste Charles Huot et illustrant les grands moments de la vie de saint Antoine en font pourtant un lieu absolument unique au Québec.
À l’origine du sanctuaire, un homme
À quelques kilomètres du Lac-Saint-Jean, l’Ermitage Saint-Antoine est aujourd’hui un lieu de pèlerinage se classant parmi les grands sanctuaires du pays. Son origine remonte au début du 20e siècle, quand l’abbé DeLamarre, supérieur du Séminaire de Chicoutimi, bâtit une résidence d’été dans ce paysage enchanteur et y adjoint une chapelle dédiée à saint Antoine. Le prêtre nourrit une grande admiration pour ce saint. C’est à lui que l’on devrait le regain de cette dévotion au Québec à l’époque. Initiateur de la revue Le Messager de Saint-Antoine, DeLamarre a aussi fondé la congrégation des Sœurs antoniennes de Marie, un orphelinat et d’autres œuvres caritatives.
Un peu comme le frère André qui exhortait les fidèles à prier saint Joseph, mais qui était lui-même considéré comme saint, l’abbé DeLamarre dirigeait les regards vers saint Antoine et vers la Vierge Marie, tout en étant regardé comme un saint homme (bien qu’on ne lui attribue pas directement de miracles de son vivant, contrairement à saint frère André). Pour l’anecdote, un autre Delamarre bien connu lie l’abbé et le frère : Victor. Homme fort et neveu de l’abbé Delamarre, il se lie d’amitié avec le frère André pendant les quelques années où il vit à Montréal.
En 1912, DeLamarre découvre sur le site une grotte qui lui rappelle celle de Lourdes, puis y dépose une statue de la Vierge. Rapidement, on témoigne de guérisons miraculeuses et les pèlerins affluent vers le lieu. La petite chapelle Saint-Antoine devient trop exigüe; on lui annexe une chapelle mariale plus grande en 1918. Construite dans un axe perpendiculaire, elle masque la façade de la première. L’édifice miniature de 1907 et ses peintures prennent alors davantage l’aspect d’un trésor humble et caché.
Qui est Charles Huot?
L’abbé DeLamarre comptait parmi ses amis le peintre Charles Huot. Les deux hommes s’appelaient même affectueusement « cousins » dans leur correspondance, bien qu’il n’y ait aucune parenté entre eux. Grâce à cette amitié, Huot a obtenu plusieurs contrats de décoration d’églises dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Fort d’une formation de plus de douze ans à Paris – notamment chez le peintre Alexandre Cabanel, puis aux Beaux-Arts –, Charles Huot a bâti une carrière enviable, ponctuée de nombreux séjours en Europe et de commandes importantes. On lui doit, entre autres, de grandes fresques historiques ornant l’Hôtel du Parlement à Québec et plusieurs tableaux religieux exécutés pour diverses églises de la province. Considéré comme l’un des derniers représentants d’un certain classicisme, l’artiste était apprécié de ses contemporains.
Huot offre à son ami DeLamarre de décorer sa chapelle Saint-Antoine, travail qu’il effectuera bénévolement lors de ses vacances à l’Ermitage sur une période de dix ans, soit de 1908 à 1918. Pour réaliser ses œuvres, le peintre puise son inspiration dans des ouvrages d’art, dans des livres sur la vie de saint Antoine de Padoue, et aussi dans les nombreux tableaux anciens qu’il a pu voir lors de ses voyages outre-mer.
Peindre des miracles
Deux chaises, trois prie-Dieu, une boite pour y déposer les intentions de prière. Voilà tout le mobilier de cet espace réduit, avec le petit maitre-autel néogothique surmonté de la statue du saint. Tout, dans cette pièce, appelle au silence et au recueillement; son décor peint participe à cette atmosphère qui semble suspendue entre deux mondes.
De grandes toiles couvrent les murs, et des médaillons quadrilobés en bois peint décorent la voute bleu ciel. On y voit surtout représentés les nombreux miracles attribués à saint Antoine : celui, fameux, de la mule s’agenouillant devant le Saint Sacrement, la célèbre prédication aux poissons, mais aussi des apparitions et même des résurrections ! La puissance d’intercession de ce grand saint, surtout quand on l’a expérimentée dans sa vie personnelle, a de quoi nous étonner sans cesse. Eh oui, saint Antoine fait plus que retrouver nos clés ou nos lunettes perdues !
Un seul tableau (celui au-dessus de la porte) a été exécuté par un autre artiste que Charles Huot, mais ce peintre demeure inconnu à ce jour. On remarque aussi une différence entre la facture des médaillons et celle des toiles, moins précise. Serait-ce dû aux quelques restaurations qu’ont subi les œuvres au fil des années? Quoi qu’il en soit, l’ensemble demeure d’une grande homogénéité, captive les regards et nous donne envie d’approfondir notre connaissance de la vie singulière de ce franciscain faiseur de miracles. Comme l’abbé DeLamarre devait être enchanté de prier son saint favori dans ce décor inspirant, créé par son ami !
La chapelle et son décor sont classés biens patrimoniaux par le gouvernement québécois depuis 1977. Nulle part ailleurs au Québec peut-on voir un aussi vaste programme iconographique associé à un saint. L’ensemble fait un peu penser à certaines chapelles d’Italie décorées par les peintres du début de la Renaissance, bien que le style pictural soit différent.
Une visite en trois dimensions
On s’arrête à Lac-Bouchette pour trois raisons : pour l’intérêt spirituel (sépulture de l’abbé DeLamarre, dévotion à saint Antoine et à la Vierge Marie), mais aussi pour l’attrait du paysage (lacs, sentiers en forêt, belvédère) et enfin, pour la valeur culturelle de ses œuvres d’art. En plus des peintures de la chapelle Saint-Antoine, le site comprend un superbe calvaire à six personnages sculpté par Louis Jobin en 1918 (et peint à l’origine par Charles Huot), un chemin de croix, plusieurs bâtiments et un petit musée. Depuis la mort d’Elzéar DeLamarre, les Capucins sont responsables du sanctuaire. Un bel endroit pour s’aérer l’esprit, s’instruire et être édifié !
Photos : Agathe Chiasson-Leblanc