Léa Stréliski : «Dans le doute, sers l’amour» | ENTREVUE
Léa Stréliski

Léa Stréliski : «Dans le doute, sers l’amour»


Dans un petit restaurant moyen-oriental du Plateau Mont-Royal, j’attends Léa Stréliski. L’endroit bigarré et chaleureux qu’elle a choisi pour notre rendez-vous est fidèle à la femme que j’ai découverte au fil de ses deux bouquins, La vie n’est pas une course (2019) et La recette de l’amour (2023). Loin de la posture des pseudo-experts en intériorité, Léa écrit à partir de son expérience d’humoriste «sur le tard», d’épouse et de mère. Dans ses récits tout personnels se profilent des leçons plus universelles sur la vulnérabilité, l’intimité… et les saines chicanes de couple. Quinze heures tapantes. Léa arrive à ma table comme un vent de printemps, un chemisier rose à cœurs en sus.

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Quand on est déjà occupée à être humoriste et maman de trois enfants, pourquoi écrire un deuxième livre alors que le premier disait d’arrêter de courir?

J’essaie de me concentrer sur l’essentiel. Pour moi, me concentrer sur l’essentiel, c’est se demander: qu’est-ce qui est important? Quelles sont les choses qui donnent un sens à ma vie? Est-ce que je les nourris? Puis après, tu te rends compte que tu as plus de temps que tu penses. Il n’y a pas tant de choses qui sont importantes dans la vie, qui sont très importantes. Je vais mettre mon temps et mon énergie sur ces choses-là. Et en faisant ça, je pense qu’on arrive à faire énormément de choses. Maintenant, tu ne peux pas tout faire en même temps non plus. Par exemple, quand tu as des enfants et qu’ils sont petits, ils prennent énormément de place. Même si tu as un conjoint ultra impliqué [dans les soins aux enfants], maman reste la reine du domicile: «Je ne veux pas papa, je veux maman.»

Il faut accepter qu’on ne puisse pas tout avoir en même temps?

En tout cas, il faut que tu revoies tes priorités. Moi, quand les enfants étaient tout petits, j’essayais d’aller sur scène et de me consacrer au stand-up. Mais le stand-up, c’est très demandant sur ton corps. C’est un peu un sport extrême. Je sentais que j’allais devoir sacrifier quelque chose, et jamais je n’aurais sacrifié la petite enfance de mes enfants. Jamais, parce qu’après ils te le font payer (rires)! Après, tu passes à la caisse à l’adolescence, et bonne chance, quoi!

Dans ton dernier livre La recette de l’amour, tu reviens souvent à l’importance de l’humilité. Qu’est-ce que ça change d’être humble, qu’est-ce que ça amène de bon?

Le contraire de l’humilité, c’est l’égo. Et notre égo, on l’aime parce qu’il brille, parce qu’il nous protège. C’est comme la somme de tous tes mécanismes de défense. Et tu te campes dans cette espèce de «je suis seule contre le monde», tu te mets un peu au-dessus des autres. Mais tu te coupes aussi des autres. Tu es moins vulnérable, tu ne ressens pas la souffrance que tu as déjà ressentie, mais tu ne ressens pas non plus la joie, tu ne ressens pas le bonheur, tu ne ressens pas ta connexion avec les gens, avec la nature, avec tout ce qui donne un sens à ta vie. Mais revenir à cette humilité, c’est revenir à ta vulnérabilité et donc à ta connexion à toi-même et aux autres.

«Si tu es chanceux, de temps en temps, ton égo prend des claques.»

Ce n’est pas rassurant quand tu n’as pas musclé ça en toi. Au début, ça te fait peur, mais ça se muscle. On a l’impression qu’on est cette affreuse bête qui n’est pas en contrôle, alors que tous les autres savent ce qu’ils font, tu sais (rires)! Alors que non. Donc, plutôt que de te réfugier dans ton égo, tu te connectes aux autres, et c’est l’humilité qui t’amène à faire ça. Puis, tu sais, ce n’est pas un truc du genre «ça y est, je suis humble», et ça marche pour toute la vie. C’est toujours à refaire. Si tu es chanceux, de temps en temps, ton égo prend des claques, mais tu te donnes le droit de dire: «Alright, c’est parce que je n’étais plus connectée aux autres.»

Une chose m’a particulièrement étonnée: tu dis que l’amour, c’est la vérité.

Oui, ça vient de mon vieux psy. Je ne sais pas pourquoi il y a des choses en nous qui sont vraies, pourquoi on vient au monde avec une sorte de boite à lunch dans laquelle il y a certaines choses qui sont vraies. Pour moi, l’humour, c’est très important, mais ça l’est moins pour quelqu’un d’autre. Je pense que trouver tes vérités, puis mettre ton énergie à les développer, à les partager, c’est ça qui t’amène à la connexion avec l’autre, avec la vérité de l’autre. Après, concrètement dans un couple, je trouve qu’entretenir une relation, c’est être capable de partager la vérité du moment. Dans le quotidien, ça peut être de dire: «Regarde, là, ma charge mentale est trop lourde, je n’y arrive plus.»

Et il y a des vérités plus difficiles à entendre que d’autres. C’est dans ce sens-là que tu parles des vertus des chicanes de couple?

C’est ça, le travail du couple. Le travail, c’est toutes les conversations difficiles qu’il faut avoir dans un couple. Il faut que tu puisses dire les choses. Oui, il y a des chicanes. Je ne pense pas que tu puisses passer ta vie avec quelqu’un sans te chicaner, sans qu’il y ait des frustrations, sans qu’il y ait du stress, sans qu’il y ait des incompréhensions, sans qu’il y ait des erreurs de parcours. Mon mari et moi, on est dans le verbe, justement (rires), on est dans les mots tous les deux. Donc, c’est sûr qu’on a beaucoup de choses à se dire, et je savais quand je l’ai rencontré que ça ne serait pas plate, que si le décor ne changeait pas pendant quatre-vingts ans, je ne serais jamais tannée de sa version, de sa vision des choses.

Léa Stréliski

Et maintenant, tu célèbres des victoires: après dix-sept ans de vie commune, ton mari lave finalement l’évier après avoir fait la vaisselle.

Ça a pris dix-sept ans. Mais maintenant, il le fait parce qu’il sait que j’aime ça – et pas parce qu’il comprend pourquoi en soi c’est bien de le faire. Donc, tu vois les chicanes que tu répètes? Maintenant, je suis capable de lui faire comprendre: «Je ne sais pas pourquoi j’aime ça à ce point-là, mon amour, que l’évier soit propre. Je ne sais pas pourquoi je regarde un fond d’évier propre et ça me fait comme un massage intérieur. Alors, si tu veux m’offrir un bouquet de fleurs chaque fois que tu finis la vaisselle! Ouf! Je te dis, là, quand tu laves le fond de l’évier, it is hot. Je me sens aimée.» Ça aussi, c’est un langage d’amour! Mais qui va dire que son langage de l’amour c’est: «Enlève les vieilles nouilles molles dans le fond de l’évier»? On a l’air complètement cinglé de dire ça!

Tu n’as pas toujours été séduite par la vie de couple marié.

Avant de rencontrer Pierre, j’avais l’impression que contrat et amour… Je ne voyais pas comment ça fonctionnait ensemble. Parce que j’ai été avec des hommes qui n’entendaient pas ma vérité. J’avais peur du mariage parce que je me disais: imagine, tu rentres en prison, là… Tu signes un contrat: «Je ne pourrai jamais être moi-même.» C’est lourd. Mais quand j’ai rencontré mon mari – quand je l’ai re-rencontré, parce que je le connaissais quand j’avais neuf ans, mais on ne s’est pas mariés à neuf ans –, ça allait de soi.

Tu dis que l’amour est «une force qui nous veut du bien». Si cette force a une volonté, est-ce que c’est parce que c’est une personne, selon toi? Dieu?

J’ai grandi sans Dieu, parce que mes parents ne m’en parlaient pas. Jusqu’à ce que je rencontre mon mari, qui lui est catholique [maintenant agnostique]. Il est allé à l’église jusqu’à l’âge de dix-sept ans. Mes beaux-parents sont ultra-pratiquants – pas chiants du tout –, donc je suis rentrée dans l’église pour la première fois quand j’ai rencontré mon chum. Encore cette année, on est allés à la messe de minuit.

Donc, est-ce que c’est Dieu? Généralement, les grandes religions te disent que Dieu est amour. Tout ça m’a l’air assez intelligent, hein, je veux dire la lune, les marées, le soleil qui se lève, tu te dis: il y a quand même…

De l’ordre?

Oui, c’est organisé, ce n’est pas entièrement chaotique. Donc, je ne sais pas si je l’appellerais «Dieu» parce que ce n’est tout simplement pas mon éducation, mais je suis capable de dire que l’amour est définitivement mon Dieu. Dans le doute, sers l’amour, man. Dans le doute, accroche-toi à ça, il n’y a rien de mauvais qui peut venir d’aimer les gens. Rien.

Photos : Ioana Bezman

Anne-Marie Rodrigue

Embauchée à titre de journaliste, Anne-Marie s’émerveille aisément. Diplômée en philosophie, elle est animée par un désir de créer des ponts entre l’univers des grandes questions et la vie bien incarnée de tous les jours.