Il fait bon être en compagnie de Jeanne Côté, que ce soit en écoutant son album Suite pour personne dans notre salon ou en jasette pour Le Verbe. L’auteure-compositrice-interprète, fille du fondateur du Festival en chanson de Petite-Vallée, nous offre d’authentiques échanges avec son naturel attachant et ses belles boucles fouettées par le vent.
Les deux pieds dans l’eau, c’est là qu’on se retrouve en écoutant ses 10 chansons qui défilent comme un ciel au-dessus du fleuve. Elle possède une voix mature qui frappe le cœur et qu’on sent taillée par les vagues au bord du Saint-Laurent. Grande gagnante des Francouvertes 2023, Jeanne Côté, 27 ans, passe, transmet les trésors qu’elle a engrangés à force de s’ennuyer avec bonheur sur la grève, chez elle, en Gaspésie.
Tu as grandi dans le nord de la Gaspésie. Ce retrait du monde, pas dans le sens que tu étais coupée, mais disons moins «frappée» par tout ce qui se passe, t’a donné de l’espace de création?
Oui! L’ennui, c’est ben important pour moi! [Rires.] Je voulais un peu laisser passer ça dans les tounes de l’album. Ça parle de solitude. Mais la solitude, elle est le fun, elle permet de se grounder. Il n’y a rien de dramatique, finalement! Ça peut être un peu triste, ça peut nous faire sentir bien, mais c’est jamais complètement d’un bord pis de l’autre. J’aime bien explorer ces zones-là un peu grises.
Le Festival, ça dure 10 jours. Sur une année, c’est pas très long, mais c’est super important, comme un deuxième Noël: toute la famille est rassemblée. Mais le reste du temps, il ne se passe pas grand-chose en Gaspésie. Il y a eu beaucoup de temps à écouter dehors, à me laisser embrasser par les éléments, puis beaucoup de temps à penser, à laisser mon imagination aller. Chez nous, Internet haute vitesse ne se rendait pas. Je pognais l’Internet du théâtre en bas de la côte sur mon ordi.
Suite pour personne est ta première œuvre complète. Une journaliste a parlé d’une «vieille âme» en te décrivant. C’est vrai qu’il y a quelque chose de mature dans ton œuvre. D’où vient-elle, cette vieille âme?
C’est drôle parce que, quand j’étais petite, ça revenait tout le temps, et à un moment donné, ça me gossait. Mais en même temps, je comprends… Comme j’étais super gênée, j’étais beaucoup dans l’observation.
La musique permet d’accéder à quelque chose qui va au-delà de nous.
J’ai l’impression que le rôle de l’observateur, je l’adopte beaucoup dans ma posture créative. Je prends le temps de murir les affaires en dedans avant de les sortir. Souvent, je me mets devant une fenêtre, je regarde ce qui se passe autour et j’écris. Je laisse ça mijoter.
Comme une forme de contemplation… Est-ce que tu considères qu’il y a quelque chose de spirituel dans ta démarche artistique et personnelle?
Je ne veux pas m’enfermer dans une croyance, alors je me laisse influencer un peu par tout ce qui passe. Mais il y a quelque chose dans l’idée d’être capable de s’ouvrir pour absorber des choses qui me parlent beaucoup. Il y a quelque chose en moi qui est ouvert. Ça me rend réceptive finalement, autant à la création qu’à des rencontres. J’ai l’impression que je peux l’invoquer…
La musique permet d’accéder à quelque chose qui va au-delà de nous. Ça, j’y crois pour vrai. Que quelque chose d’aussi concret que des ondes sonores nous permettent de faire lever le poil, nous permettent de vivre des émotions aussi fortes, ça me fascine. Nous permettent de connecter aussi. Parfois, tu écoutes de la musique avec quelqu’un et tu vis une émotion.
Même sur une chanson dans ton salon…
Oui! C’est même pas obligé d’être un show. Je trouve ça fou! Je cherche cette connexion-là. J’essaye de le transposer dans ce que je fais pour les autres.
Et toi, Jeanne Côté, 27 ans, c’est quoi ton rapport à la spiritualité et à la religion? Je suis curieuse de savoir quelle audace t’a poussée à vivre cette entrevue
Ça m’a toujours intéressée. Plus particulièrement dans les dernières années, quand ça a arrêté de me gosser d’aller à l’église à Grande-Vallée chez nous, quand je me suis rendu compte du côté rassembleur. Je me suis ouverte à plein d’affaires, en me disant justement: se fermer complètement, c’est être rigide, et je ne veux pas être rigide. Alors, j’ai réouvert la porte à ce genre de discours et je vois à quel point c’est important pour les gens, peu importe la forme que ça prend. Ça sert à rien de se juger. On a trop besoin de se tenir ensemble, finalement.
C’est normal qu’il y ait quelque chose de spirituel, mais on peut s’accrocher aussi à tout ce qui est artistique. Ça se combine bien!
Quand je peux être à Petite-Vallée dans le temps des Fêtes, ma sœur joue de l’orgue à la messe de minuit et moi je chante dans la chorale. Au début, c’était une obligation parce que notre mère dirigeait la chorale, mais après c’est devenu: «Hé! On devrait ben y aller! Ne serait-ce que pour voir le monde de Grande-Vallée qu’on voit jamais.» Pour garder la communauté vivante, il y a quelque chose de ben important là-dedans. Ce sont des lieux de rencontres, peu importe qui croit à quoi finalement.
Tu veux dire que se retrouver à l’église dans les tissus de village, ça crée du lien fort entre les gens?
Oui. Et même de réutiliser ces lieux-là! Pendant le Festival, il y a des spectacles, souvent de musique classique. Ça rameute du monde qui ne viendrait pas voir le même spectacle au chapiteau.
Habiter des lieux, c’est important parce que j’ai l’impression qu’il y a une âme qui se crée. Et justement, parce que ça fait tellement longtemps que ce lieu-là existe et que cette âme-là est là, les gens reviennent!
Écoute… C’est drôle, mais – c’est pas par croyances ou par dévotion – j’écoute des messes de Bach! Il y a beaucoup de musique qui a été écrite par la religion ou par demande de la religion, et c’est pas parce que je n’y crois pas que je n’ai pas accès à quelque chose, à une expérience spirituelle.
Il y a une chanson qui m’a bien marquée dans ton album: «Réveil d’oiseau». C’est la première fois que j’entendais un artisan de la chanson parler de la joie! Parce qu’on parle beaucoup de plaisir, de bonheur, de bienêtre, mais le mot «joie»… Je me suis dit: «Hein! C’est spécial!» «La joie emplit, la joie surgit…» D’où ça t’est venu, ça?
*
Il y a eu un moment où je n’allais vraiment pas bien. Ça a pris du temps avant que ça revienne, puis que je me rende compte que j’avais comme perdu une partie de ma joie de vivre. C’est en montant la montagne à Petite-Vallée que j’ai fait: «OK!»
Tout s’est déposé et je me suis rendu compte que j’écoutais ce qui se passait autour de moi, que je l’appréciais. C’est venu me lever le poil! Je me rendais compte de tout ce que j’avais perdu. Mais justement, ce n’était pas un moment dramatique. C’était un moment «Oh! wow! » J’avais en tête la phrase: «C’est un réveil d’oiseau», parce que c’est comme un oiseau qui ouvre les yeux: c’est tout petit, mais c’est tellement puissant. Cette phrase que j’ai gardée, je voulais que ce soit une chanson toute petite, mais que tu chéris vraiment fort.
Comme un printemps qui revenait dans ton âme…
Oui. C’est subtil, mais tu sens que quelque chose va changer pour toujours. Comme si tu avais fait une découverte et là, tu y goutes pour vrai. Un genre de révélation.
Dans ma connexion avec la nature, il y a quelque chose aussi de plus grand que moi. En Gaspésie, il vente fort! Le vent d’ouest qui souffle pendant une semaine, tu ne peux pas ne pas l’entendre. Il brasse les fenêtres, il brasse les maisons. Le fleuve, parfois ça se déchaine, et c’est tellement puissant que ça nous rappelle qu’on est tout petits. On ne peut pas contrôler ça, alors autant réussir à en faire partie, à vivre avec. Dans une époque où l’on s’en fout un peu de l’environnement, ça fait du bien de penser de même.
Pourquoi ton album s’appelle-t-il Suite pour personne? Et ça rebondit un peu sur la chanson du même titre dans laquelle tu parles des nouvelles, de cet aspect du «coupable».
J’ai l’impression qu’on veut tellement taper sur quelqu’un en particulier qu’on oublie le sujet. On cherche tellement qui est la cause première des problèmes qu’on oublie de les régler, finalement.
Il y a un message dans cette chanson: arrêtons donc de vouloir mettre la faute sur quelqu’un. Prenons nos responsabilités, faisons quelque chose. Mais pas aujourd’hui! La toune dit aussi: «Tu peux dormir aujourd’hui, tu le feras demain.»
Pourquoi pas aujourd’hui ?
Parce que j’ai l’impression qu’on se met beaucoup de pression et qu’on ne s’accorde pas ce moment de répit là. Prendre du recul, c’est super important! Pour regarder ce qui se passe et prendre le temps d’assoir tout ce qui arrive. Pour ne pas être dans l’impulsion tout le temps.
La suite du monde, elle n’est pas pour une personne en particulier, elle est pour tout le monde, finalement.
Photo de couverture : Alexya Crôteau-Grégoire | Photo du texte : Anne-Marie Garand