Villages patrimoniaux
Illustration : Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Villages patrimoniaux : des joyaux pointés vers le ciel

Beaucoup plus que des haltes bucoliques pour vacanciers et promeneurs du dimanche, nos villages patrimoniaux sont des condensés de ce à quoi pouvaient ressembler toutes les agglomérations québécoises à l’époque de la chrétienté : ils témoignent des efforts de nos ancêtres pour bâtir de petites cités de Dieu, le long du fleuve ou au cœur de l’arrière-pays.

C’est souvent durant les vacances d’été que l’on prend le temps de s’arrêter dans les beaux villages anciens du Québec. Plein de choses y attirent l’œil et l’esprit : une église monumentale en pierre, un vieux pont en fer enjambant une rivière, une croix de chemin, un ruban de jolies maisons traditionnelles… Mais il y a plus encore!

Les ensembles paroissiaux

Une promenade dans un village typique du Québec permet de comprendre, encore plus concrètement qu’avec un livre d’histoire, l’importance de la paroisse comme épicentre de la vie de ceux qui nous ont précédés. Les noyaux villageois les mieux préservés, souvent classés sites patrimoniaux, comprennent les éléments jadis essentiels à la vie paroissiale : outre l’église, on y trouve le cimetière, le presbytère, une grange à dime, un ancien couvent, un ancien collège dirigé par une communauté religieuse, une salle paroissiale (ou salle des habitants), la maison du sacristain, un monument au Sacré-Cœur, une grotte à la Vierge, etc. Quand plusieurs de ces éléments sont réunis, les professionnels du patrimoine parlent « d’ensemble institutionnel remarquable ».

Et qu’y a-t-il de remarquable, précisément ? L’organisation de l’espace autour d’un point focal, l’église, qui est le lien partagé entre toutes les composantes. Premièrement l’église, ensuite l’éducation chrétienne, les réunions de paroissiens, les rites funéraires, le logement de ceux qui occupent des fonctions paroissiales, des monuments résultant de dévotions populaires, et ainsi de suite.

Rappel d’une société christianisée

Aujourd’hui, ces bâtiments occupent pour la plupart d’autres fonctions. Un CLSC dans l’ancien collège, une résidence pour ainés dans l’ancien couvent, et bien sûr l’inévitable auberge coquette ou la chic microbrasserie dans le presbytère. Car au Québec, c’est bien connu, les brasseries artisanales (et le nom de leurs bières) ont souvent un lien avec notre passé catholique… tiens donc, un autre sujet d’article!

Mais plus sérieusement, la présence physique de ces constructions agit encore, qu’on le veuille ou non, comme un signe ou un rappel de l’univers christianisé ayant forgé le Québec (à cela, il faut ajouter nos fameux hagiotoponymes, les noms de saints de nos villages). Ces ensembles construits – qui regroupent les plus beaux bâtiments de nos municipalités – représentent ce qui était à la base des collectivités, ce qui unissait les individus au-delà des classes sociales et des groupes d’âge. La petite mission des débuts de la colonie, devenue paroisse prospère, ne lésinait pas sur les moyens quand il était temps d’ériger un temple reflétant la gloire divine, d’accueillir convenablement des religieuses pour former les enfants et soigner les démunis, de loger son prêtre résidant ou de rendre grâce à Dieu par des monuments publics.

Personnellement, je trouve ces témoins matériels plus convaincants que toutes les « valeurs » floues et les clichés qui définiraient soi-disant notre vieux fond catholique.

Pèlerinage

Le terme grec à l’origine du mot paroisse, paroikein, avait entre autres significations « séjourner en pays étranger » ou « être de passage ». Il s’agit d’un thème cher aux chrétiens, qui se considèrent comme des pèlerins sur la Terre, en route vers la patrie céleste. Toutefois, avant d’arriver à notre ultime destination, il faut bien habiter le monde – sans être du monde.  

Le milieu paroissial est donc le séjour des chrétiens dans la société, et s’affiche comme tel sur les plans architectural, urbanistique et symbolique. L’église, souvent érigée sur un promontoire naturel, agit comme point de repère et attire les regards vers le haut. On la distingue même par bateau, sur le fleuve, où elle signale la présence d’une communauté placée sous sa protection. Le regroupement des structures religieuses (église, cimetière, couvent, etc.) au même endroit incite les fidèles à s’établir à proximité, et attire les institutions civiles, les commerces et les notables. De l’église nait le village.

Au-delà des belles images de carte postale, la visite d’un ancien noyau villageois – Lotbinière, Batiscan, Champlain, Saint-Cuthbert, La Présentation, Deschambault, Saint-Didace, pour n’en nommer que quelques-uns au hasard – a certes quelque chose d’un pèlerinage pour nous, citoyens du monde sécularisé du 21e siècle. Ces promenades nous plongent dans une époque pas si lointaine, au temps où l’espace s’articulait autour de l’église, et donc autour de Jésus présent dans le tabernacle; de là rayonnait la vie. Les villages patrimoniaux, joyaux culturels, sont aussi la trace tangible d’une foi bâtisseuse de pays.

Agathe Chiasson-Leblanc

Formée en histoire de l’art, Agathe réalise une multitude de travaux sur le patrimoine culturel du Québec. Elle trouve sa joie dans tout ce qui élève l’âme : les arts, les livres, les grandes amitiés, la connaissance de la vie des saints. Mariée, elle est mère de quatre enfants.