La paix des femmes
Nathalie Séguin (gauche) et Catherine Oksana-Desjardins (droite) en répétition. Photo : Nicola-Frank Vachon.

La paix des femmes ou abolir la prostitution

Quand Véronique Côté a amorcé la création de la pièce La paix des femmes, elle ne savait rien de la prostitution. Pour préparer son écriture, elle a lu plusieurs études, elle a rencontré des survivantes et des intervenantes communautaires. Plus elle avançait dans sa démarche, plus elle devait prendre position.   

C’est pourquoi La paix des femmes est une œuvre sur l’abolition de la prostitution. 

Vous ne verrez donc aucune scène racoleuse dans les théâtres où la pièce sera jouée. Celle-ci présente plutôt des personnages qui sont confrontés, d’une façon ou d’une autre, à la marchandisation du vivant : une chroniqueuse, un humoriste de la relève et des professeurs, dont Isabelle, qui enseigne la littérature et les études féministes. Une voix introduit la pièce : « la violence est partout ». 

La paix des femmes
L’autrice et metteure en scène Véronique Côté. Photo : Nicola-Frank Vachon.

La pièce

Dans La Paix des femmes, on traite de l’exploitation du corps des femmes à travers ses différentes manifestations. Les intrigues vont se nouer autour d’un dialogue entre Isabelle et Alice, dont la sœur Léa est décédée quelques mois après son entrée dans la prostitution. Elle accuse la professeure d’avoir normalisé cette activité dans ses cours. Alice est convaincue que sa sœur, une ancienne élève d’Isabelle, n’aurait pas franchi le pas si celle-ci n’avait pas présenté le « travail du sexe » comme une option potentiellement féministe.

La voix, qu’on sait maintenant être celle de Léa, le confirme : 

Autour de moi on disait que c’était une façon 

de prendre le contrôle

de devenir le sujet

la grande idée que le corps serve à celle à qui il appartient

renverser les oppressions

mon corps mon choix

choisir, décider, être maître – maîtresse 

fière, puissante, indépendante

debout, battante

libre. (La paix des femmes, p. 63)

L’essai

Pour ceux et celles qui aimeraient approfondir leur réflexion, un essai, Faire corps, accompagne la pièce. Cette collaboration entre Véronique Côté et la chercheuse Martine B. Côté présente les arguments qui opposent les positions « abolitionnistes » et « protravail-du-sexe ».

Si on résume simplement, les abolitionnistes sont convaincues que la prostitution est une violence envers les femmes, quelles que soient les conditions de sa pratique. Ces militantes sont pour la décriminalisation des personnes prostituées et la pénalisation des proxénètes et des clients. Cette posture, incarnée dans ce qu’on appelle le modèle nordique, est fondée sur l’idée selon laquelle c’est la demande qui génère l’industrie.

Celles qui se disent protravail-du-sexe croient que la prostitution est un métier comme un autre. Elles sont pour la décriminalisation complète des industries du sexe et de tous ses acteurs. On argumente qu’en légitimant la prostitution, on enlèvera le stigmate qui entoure les femmes qui l’exercent, ce qui leur permettra d’améliorer leurs conditions de vie.

Même si les deux camps se réclament du féminisme, il leur est difficile de trouver un terrain d’entente.

Un cauchemar

En préface à La paix des femmes, Véronique Côté indique à quel point la rédaction de cette œuvre l’a fait vieillir. De fait, quand on prend conscience de ce qu’est réellement la prostitution, on se retrouve précipité loin des clichés hollywoodiens. 

Quelques faits importants : 

Au Canada, l’âge moyen d’entrée dans la prostitution est de quinze ans.

Les personnes prostituées ont un taux de mortalité quarante fois plus élevé que la moyenne nationale. La majorité d’entre elles vont subir à répétition des violences sexuelles et physiques.

Les recherches estiment à 89 % la proportion des femmes qui aimeraient quitter la prostitution.

On peut en conclure que la violence est intrinsèque aux industries du sexe. Comme l’illustre Léa :

Si y a besoin de t’étrangler 

de te donner des coups de pied dans le vendre pour venir  

y va le faire 

crois-moi, y va le faire 

pis là

féministe pas féministe 

ton choix pas ton choix 

y a rien de ça qui sera d’un grand secours 

y paye : y a le droit. (La paix des femmes, p. 64)

Le poids des idées

Là où la prostitution a été légalisée, les femmes ne sont pas mieux traitées. En Allemagne, l’industrie est toujours monopolisée par le crime organisé. La mode est aux bordel discounts, où l’on organise des soirées « à volonté ». Ces établissements sont courus des touristes du monde entier. Pour répondre à la demande, on a dû faire venir des femmes de l’extérieur du pays : en 2019, 95 % des personnes prostituées en Allemagne provenaient de l’étranger.

Catherine Oksana-Desjardins (gauche) et Nathalie Séguin (droite) en répétition. Photo : Nicola-Frank Vachon.

Ce n’est pas très à la mode d’occuper l’espace public pour en appeler à la fin de la prostitution. Celles qui s’y risquent seront accusées d’être ultraconservatrices, antisexe, voire putophobes.  

Une grande force de La paix des femmes est de rappeler que la prostitution n’est pas une idée. Elle concerne des personnes dont les corps sont pénétrés plusieurs fois par jour par des inconnus. 

Comme le crache Alice, en colère : « y a les idées, pis y a des mâchoires disloquées à force de faire des pipes » (La paix des femmes, p. 90). 


La pièce sera présentée au Théâtre de la Bordée dès septembre prochain. Tous les détails ici.

Véronique Côté, La paix des femmes, Atelier 10, 2021, 132 p.

Véronique Côté et Martine B. Côté, Faire corps, Atelier 10, 2021, 120 p.  

Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.