Photo : Marie Laliberté/Le Verbe

Voces Domini, deux entrepreneurs à la rescousse de la musique sacrée

Pour Frédéric, retraité du génie-conseil, la musique redevient un loisir. Pour Jean-Claude, gestionnaire, elle a d’abord été une profession. Un divin hasard a permis que leur rencontre donne lieu à Voces Domini, un chœur d’hommes dont la mission est de redécouvrir, conserver et promouvoir un répertoire de musique sacrée bien particulier.

À la fin d’avril, huit voix masculines chevronnées de la capitale se réunissent dans un studio de La Haute-Saint-Charles. Dans une élégante pièce insonorisée en bois, les hommes en noir sont disposés en demi-cercle. Au centre, devant son lutrin, le directeur musical Jean-Claude Picard donne ses instructions : « J’aimerais que ce soit beaucoup plus sur le timbre, beaucoup plus fondu. Ne diminuez pas l’intensité. »

À l’aube de sa neuvième décennie, M. Picard n’est pas à sa première générale. Malgré des consignes sérieuses, son visage est rieur, joyeux; il éprouve du plaisir, on le voit, on le sent.

Du côté des ténors, on retrouve notamment Frédéric Corneau. Avec Jean-Claude, ils ont tous les deux puisé dans leur portefeuille pour lancer Voces Domini – les voix du Seigneur –, un chœur composé d’hommes uniquement, dit « à voix égales » dans le jargon.

Entre deux chants, le directeur Picard raconte à ses confrères quelques anecdotes au sujet des prêtres qui lui ont enseigné la musique, révélant par contraste la douceur de son approche.

Destinés à collaborer

Homme d’expérience, Jean-Claude a œuvré professionnellement dans le monde de la musique pendant 25 ans. Il a notamment été enseignant, président de Jeunesses Musicales Canada et directeur de plusieurs chœurs. Les évènements l’ont conduit à travailler par la suite comme gestionnaire, sans toutefois abandonner le chant, qu’il pratique depuis l’école primaire. En effet, c’est à la Maitrise des Petits Chanteurs de Québec qu’il s’éprend de la musique religieuse : « Ça m’a parlé dès ma petite enfance. J’ai trouvé ça beau », confie-t-il, simplement.

Voces Domini musique

Frédéric Corneau, pour sa part, baigne dans la musique depuis toujours. Des membres de sa famille font carrière dans l’opéra à l’échelle internationale. D’autres se démarquent dans la composition. Tout le prédestine à faire une carrière musicale. Mais pour se distinguer, il se dirige en agronomie. Désormais retraité, au début de la cinquantaine, il sent le besoin de renouer avec ce qui l’a toujours fait vibrer.

Jean-Claude et Frédéric se rencontrent en 2019. Par un bon dimanche, l’une des filles de Frédéric vit sa première communion en l’église Saint-Félix de Cap-Rouge, à Québec. Jean-Claude, installé au jubé, assure le chant. Après la messe, Frédéric s’empresse d’aller le féliciter.

« Il était tellement bon, m’explique Frédéric. Il avait fait un beau répertoire. On a réalisé qu’on avait de nombreuses connaissances en commun. Je lui ai dit que j’aimerais chanter dans un chœur pour faire de la musique religieuse. Et c’est là qu’il m’a proposé de venir les entendre à la basilique. »

Frédéric se rend comme convenu à la messe de 9 h en la basilique-cathédrale Notre-Dame de Québec pour entendre le Chœur du Chapitre métropolitain que Jean-Claude a dirigé pendant 20 ans. Encore une fois, c’est le choc. « J’ai compris qu’on avait affaire à un répertoire d’exception et, de surcroit, très rare. Pourquoi ne se chante-t-il plus? » explique-t-il encore avec émotion. Frédéric se joint finalement au chœur jusqu’à ce qu’il quitte la basilique en 2023.

Depuis un moment déjà, Jean-Claude pense à un projet d’enregistrement, mais il lui manque le côté organisateur. La contribution de Frédéric devient alors cruciale : « Quand je prends un projet, je le mène rapidement à terme », affirme-t-il, sans ambages. Pour eux, musique et gestion sont comme deux doigts d’une même main. « Peut-être la compréhension des chiffres », affirme Jean-Claude en riant.

Un patrimoine en danger

Il existe encore aujourd’hui de bonnes chorales dans certaines églises du Québec, mais rares sont celles qui pratiquent le chant grégorien ou la polyphonie, en latin de surcroit. Paradoxalement, l’univers de la musique sacrée connait un certain engouement international depuis plusieurs années; les chœurs ou les ensembles de concerts ne manquent pas dans ce répertoire.

Paul Cadrin, docteur en musicologie, nous explique que « c’est même très répandu, des ensembles qui enregistrent des albums. Il y en a à la grandeur de l’Amérique et de l’Europe ». Mais «l a plupart du temps, ce sont des versions de concerts », avance l’ancien doyen de la faculté de musique de l’Université Laval, également organiste, chef de chœur et compositeur. « Ce ne sont pas des pièces utilisées de manière régulière pour le culte, la liturgie. »

Voces Domini musique
Photo : Marie Laliberté/Le Verbe

Voilà donc ce qui fait l’originalité de Voces Domini. La plupart des membres du groupe travaillent depuis longtemps avec Jean-Claude, dans le chœur de la cathédrale de Québec, par exemple. De vieux routiers comme Michel Cervant et Robert Huard ont même œuvré avec lui à Saint-Cœur-de-Marie, une église située sur la Grande Allée à Québec, longtemps réputée pour la qualité de son ensemble. Dans les années 1970, ce dernier figure parmi les plus renommés au Québec. Au moment de la destruction de l’église en 2019, Jean-Claude récupère une bonne partie des partitions qui y étaient alors chantées, dont plusieurs compositions locales et récentes.

Elles dorment aujourd’hui dans les classeurs de la cathédrale de Québec.

L’un des aspects du projet Voces Domini consiste justement à mettre en valeur ce patrimoine pour, peut-être, donner envie à d’autres de lui donner vie. « Au début du siècle, raconte Paul Cadrin, le Québec était cité en exemple dans toute l’Église. Il y avait du grégorien dans toutes les paroisses. Les gens allaient se former, les maitres de chapelle aussi. Tout ça s’est effondré dans les années 1960 à une vitesse fulgurante », déplore-t-il.

Avec Jean-Claude Picard, le musicologue figure sans doute parmi les derniers passeurs de cette génération artistique.

Aussi bon pour prier

Le chant grégorien et la polyphonie ne seraient-ils bons de nos jours que pour les concerts, au détriment de la liturgie ? Pour Frédéric et Jean-Claude, il n’en est rien. Les deux instigateurs de Voces Domini sont convaincus que ce type de musique sacrée a encore le potentiel de rejoindre les gens aujourd’hui, et précisément à l’église : « Combien de fois, après la messe à la cathédrale, les gens venaient nous voir pour nous dire à quel point c’était beau et qu’ils avaient été touchés ! Je pense que la liturgie devrait avoir pour fonction d’élever l’âme. La belle musique religieuse a cet effet de nous calmer et de nous amener dans l’introspection », affirme Jean-Claude.

Frédéric va même jusqu’à affirmer que le chant grégorien est pour lui la meilleure manière de prier : « Quand je dois me concentrer sur les mots et que je les entends, ça m’aide. Je n’aurais jamais accroché sur certaines phrases ou certains mots, mais le fait de les chanter et d’en chercher le sens, cela implique que je doive les intérioriser davantage. »

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Le silence est consommé, le souffle des chantres retenu. Ils entonnent les premières notes du Tota pulchra esTu es toute belle –de Dom Pothier. Les vibrations retentissent, générant un grand frisson. On voudrait les entendre pour l’éternité.

Musica Sacra In Ecclesia, Primum opus, lancement le 17 novembre.

Photos : Marie Laliberté/Le Verbe

James Langlois

James Langlois est diplômé en sciences de l’éducation et a aussi étudié la philosophie et la théologie. Curieux et autodidacte, chroniqueur infatigable pour les balados du Verbe médias depuis son arrivée en 2016, il se consacre aussi de plus en plus aux grands reportages pour les pages de nos magazines.