Visite papale
Illustration: Judith Renauld / Le Verbe

Visite papale: regards des églises locales

Il l’avait annoncé dès le début de son pontificat. Jorge Mario Bergoglio allait être un pape des périphéries, pour les périphéries. Ayant murement discerné les besoins actuels de l’Église universelle, il allait mettre au centre de ses priorités l’accueil des pauvres et des plus vulnérables.

Ses différents voyages apostoliques n’ont pas fait exception à cette règle. En effet, le pape François n’a pas manqué de se rendre dans des zones de haute tension, telles que l’Irak et la République centrafricaine. Dans un tout autre ordre d’idée, le contexte canadien demeure marqué par le besoin de guérison d’une humanité blessée. Aux niveaux ecclésial, politique et social, tous s’entendent pour saluer ce voyage providentiel à un moment critique de notre histoire.

Au carrefour des identités canadiennes

Le Canada est riche d’une grande diversité. Cela doit donc impérativement se refléter dans le choix des endroits à visiter. La santé chancelante du pape impose toutefois une sélection encore plus restrictive qu’en temps normal. Il donnera le maximum, nous pouvons en être surs.

Lors d’une entrevue accordée au Verbe, Mgr Poisson, président de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), souligne: «L’Ouest et l’Est du pays [doivent] être représentés afin de représenter les francophones, les anglophones et les autochtones. Iqaluit a été choisie en raison de la population inuite, laquelle demeure éloignée du reste de la population canadienne.»

La représentation des différentes situations géographiques et culturelles exige des déplacements au carrefour des identités canadiennes, québécoises et autochtones. En cohérence avec le programme de ce pontificat, ce voyage apostolique sera manifestement vécu sous le signe de la guérison et de la réconciliation. En continuité avec le processus entamé sous saint Jean-Paul II et Benoît XVI, l’acceptation par le pape François de l’invitation envoyée par la CECC, comme le dit Mgr Poisson, sera celle «d’un évêque parmi ses frères évêques».

Ces derniers sont d’ailleurs pleinement engagés dans ce chemin de réconciliation. On le voit notamment à travers l’engagement de la CECC dans de vastes chantiers, partout au pays, découlant du «Fonds pour la réconciliation», qui compte plus de 30 millions de dollars. Grâce à ce fonds, de nombreux projets pourront être réalisés: des projets qui auront «un impact de connaissance mutuelle et de gestes de réconciliation dans un proche avenir», selon le souhait de Mgr Poisson.

Edmonton: une étape forte en émotion

Le pape commencera donc son voyage à Edmonton, le dimanche 24 juillet prochain, où l’attendra un accueil protocolaire. La journée du lundi 25 juillet sera certainement forte en émotions, puisque des rencontres avec les peuples autochtones sont prévues. En effet, Sa Sainteté se rendra sur le site du pensionnat d’Ermineskin, fondé en 1895, puis fermé en 1975. Il s’agit de l’un des plus grands pensionnats autochtones du pays.

L’abbé Roger Rouleau, jeune curé de la paroisse Our Lady of Seven Sorrows (territoire comprenant les quatre nations de Maskwacis-Ermineskin, Samson, Montana et Louis-Bull), estime que cette visite est plus que bienvenue: «Elle touche au cœur du scandale des écoles résidentielles et de leurs effets sur les communautés autochtones», dit-il, «et on voulait que le pape soit capable de se faire présent dans leur milieu comme ils ont eux-mêmes été accueillis au Vatican le printemps dernier. C’est une visite réciproque.»

Interrogé sur les fruits qu’il espère voir émerger de ces rencontres, l’abbé Rouleau répond par un mélange d’optimisme et de réalisme en affirmant: «Voilà notre espoir comme paroisse, comme communauté: que cette visite nous emmène à la prochaine étape de réconciliation et nous aide à rebâtir ensemble les familles et communautés qui souffrent. Comme un de nos anciens nous le répète souvent: “il est à nous maintenant [les autochtones] de recevoir l’excuse du pape et d’offrir notre pardon; de se donner la permission de pardonner”.»

Québec, capitale spirituelle

À la suite de cette étape cruciale, le pape prendra l’avion pour se rendre à Québec, où il restera les 27, 28 et 29 juillet. Pendant environ 40 heures, la capitale nationale du Québec aura l’honneur de recevoir un pape qui, on peut se l’imaginer, aura déjà vécu bien des émotions.

Pour le cardinal-archevêque de Québec, Mgr Gérald Cyprien Lacroix, cette visite sera «un pas de plus dans le processus de réconciliation, de guérison et d’espérance en l’avenir avec les peuples autochtones, [puisque le pape] aura certainement une parole, une présence et des gestes qui vont être bons et signifiants non seulement pour les autochtones, mais aussi pour nous, tous et toutes, afin de continuer la route ensemble et mieux vivre ensemble dans le respect».

«Lorsque c’est devenu officiel, je me suis dit “Enfin!” », ajoute le cardinal hôte. Selon plusieurs personnes impliquées, les préparatifs vont bon train, bien que l’horaire n’ait été dévoilé que quelques semaines à l’avance. On imagine facilement la grande souplesse et flexibilité dont doivent faire preuve les acteurs impliqués dans l’organisation!

Le bonheur de voir le pape visiter ce qui deviendra par sa seule présence la capitale spirituelle du monde doit certainement faciliter les choses. «Ça m’a apporté beaucoup, beaucoup de joie, confie le cardinal Lacroix, puisque je sais que lorsque pape François passe quelque part, ça laisse des traces, de belles traces.» Enfin, Mgr Lacroix soutient que les six ou sept heures de rencontre et d’échanges lors de la visite des autochtones à Rome, fin mars 2022, vont être reflétées dans les discours que le pape prononcera chez nous: «Moi, j’ai hâte de l’entendre parce qu’il sait comment dire les choses avec clarté, comment nous interpeller s’il le faut, et il le faut, afin que nous soyons tous de vrais témoins de l’Évangile».

Visite au Grand Nord

La dernière étape du voyage du pape sera à Iqaluit, où le pape vivra certainement une expérience particulière. Les Inuits sont souvent plus éloignés de la réalité catholique que ne le sont les populations autochtones du Sud. De fait, l’évangélisation du Grand Nord a été principalement anglicane. Bien qu’ayant établi des contacts au cours des siècles, plusieurs missions catholiques ont été fermées dans les années 1970, alors que l’on considérait inutile le dédoublement des annonces, et contreproductive cette compétition anglicans/catholiques.

La visite du pape chez les Inuits aura donc une forte dimension œcuménique. Selon le prêtre et théologien Gilles Routhier, qui a œuvré plusieurs années auprès des Inuits du Nunavik — dont lors d’une mission de quatorze mois — certaines blessures peuvent tout de même persister à l’égard de l’Église catholique, du fait de ses nombreuses objections passées contre les mariages mixtes, par exemple.

Toutefois, l’actuel supérieur du Séminaire de Québec ajoute: «D’abord, l’Église n’est pas perçue là-bas comme une puissance coloniale, comme l’ont été la Compagnie de la Baie d’Hudson et le gouvernement fédéral. De plus, on a positivement reconnu la contribution des missionnaires dans le développement de la langue, de l’alphabet, etc. Tout n’est pas noir ou blanc, et cela, les Inuits le reconnaissent».

La communauté catholique, somme toute de petite taille, n’en est pas moins dynamique et diversifiée. Le curé d’Iqaluit, père Daniel Perreault c.m.m., est toujours heureux d’accueillir ses paroissiens à l’occasion de la messe dominicale. La petite église Notre-Dame de l’Assomption est désormais au cœur d’une communauté de gens provenant de tous les continents. Selon lui, «on parle vraiment d’une communauté multi-ethnique. C’est aussi une communauté changeante. Les gens s’établissent pour la plupart pour 5 à 7 ans puis retournent vivre ailleurs. Et à chaque année des nouveaux viennent célébrer avec nous, apportant leur contribution à la vie».

Des effets contrastés

La visite du pape au Canada aura certainement des effets contrastés, tant par les évènements, les émotions, l’atmosphère que par la géographie et les températures ambiantes… Alors que notre monde souffre à plusieurs égards d’un déficit de sagesse, notamment devant les enjeux liés aux changements climatiques, nous pourrions certainement avancer que le pape François donnera un accent Laudato si’ à ses discours, en soulignant l’apport des cultures autochtones aux processus de solutions.

En effet, les cultures et les peuples autochtones, métis et inuits ont un rôle crucial à jouer pour surmonter nos défis modernes, à la fois dans l’Église et dans la société. Plusieurs mois ne suffiront pas à assimiler ce que nous aurons tous vécu — autant les régions hôtesses que le pape lui-même — durant ces cinq jours bien remplis.

Prions pour que l’espérance de tout un chacun soit comblée et même surpassée, et pour que nous continuions de marcher et de vivre ensemble la richesse de l’existence humaine reçue que nous avons la responsabilité de mettre à profit.

Francis Denis

Francis Denis a étudié la philosophie et la théologie à l’Université Laval et à l'Université pontificale de la Sainte Croix à Rome. Il est réalisateur et vidéo-journaliste indépendant.