Le 1er avril dernier, le pape François a présenté ses excuses aux différentes nations autochtones victimes des pensionnats, «pour le rôle que différents catholiques, notamment avec des responsabilités éducatives, ont joué dans tout ce qui vous a blessés, dans les abus et dans le manque de respect de votre identité, de votre culture et même de vos valeurs spirituelles». Cette demande de pardon a suscité et suscite encore bien des réactions. Comment doit-on l’interpréter? Le Verbe s’est penché sur cette question.
Il y a des demandes de pardon qui marquent plus que d’autres. C’est le cas notamment de celles qui proviennent de la plus haute autorité terrestre de l’Église catholique, soit le pape. La simple entrée de l’expression «excuses du pape aux autochtones» dans le moteur de recherche Google génère à elle seule 2 260 000 résultats.
Bien que cette demande de pardon provoque beaucoup de réponses, elle n’est cependant pas la première de la part du pape François. En effet, il a notamment présenté des excuses en juin 2019 aux Roms pour «les discriminations, les ségrégations, les mauvais traitements» dont se sont rendus coupables des catholiques envers eux. La même année, le Souverain Pontife a également demandé pardon aux Mexicains pour les crimes commis par des catholiques lors de la colonisation du Mexique.
Jean-Paul II et le pardon
François n’est d’ailleurs pas le premier pape à présenter des excuses au nom de l’Église. Ainsi, saint Jean-Paul II a présenté des excuses à au moins 21 reprises1 durant son long pontificat. Avant lui, saint Paul VI avait demandé pardon pour la division entre les chrétiens, mais pas pour les fautes commises par les catholiques envers les protestants.
Cependant, Jean-Paul II est le premier pontife à étendre «la richesse du pardon à une multitude de faits historiques dans lesquels l’Église ou des groupes particuliers de chrétiens ont été impliqués à des titres divers», écrit la Commission théologique. C’est ce qu’il a fait, par exemple, le 21 octobre 1992, lors de l’audience générale, alors qu’il évoquait la traite des Noirs en ces termes : «À ces hommes, nous ne cessons de demander: “Pardon”».
Lors de l’homélie qu’il a prononcée durant la messe pour la journée du pardon de l’année sainte 2000, Jean-Paul II a récidivé avec ces mots puissants : «Pardonnons et demandons pardon! […] Demandons pardon pour les divisions qui sont intervenues parmi les chrétiens, pour la violence à laquelle certains d’entre eux ont eu recours dans le service à la vérité, et pour les attitudes de méfiance et d’hostilité adoptées parfois à l’égard des fidèles des autres religions.»
Ce genre d’excuses ne se réalise pas à la légère. Le théologien Gilles Routhier souligne d’ailleurs que les actes de repentance de Jean-Paul II lors du Jubilé ont été précédés par la mise sur pied de commissions composées d’historiens et de théologiens. «Il a constitué des commissions mixtes sur la Shoah, sur les croisades, sur l’index, et une sur Galilée. Donc, il y a eu un examen approfondi des faits et des circonstances», précise-t-il.
Sainte, mais en cheminement
Gilles Routhier regrette qu’une commission de ce genre n’ait pas encore été constituée dans le dossier des pensionnats pour les Autochtones.
Lorsque de telles demandes de pardon sont réalisées, certains peuvent se demander ce qui en est de la sainteté de l’Église, Corps du Christ. La Commission théologique répond à cette délicate interrogation en citant la constitution dogmatique du Concile Vatican II sur l’Église, Lumen gentium:
«Tandis que le Christ saint, innocent, sans tache […], ignore le péché, […] venant seulement expier les péchés du peuple, […] l’Église, elle, comporte des pécheurs dans son propre sein; elle est donc à la fois sainte et toujours appelée à se purifier, poursuivant constamment son effort de pénitence et de renouvellement.»
La Commission poursuit en affirmant que «l’absence de péché dans le Verbe incarné ne peut pas être attribuée à son Corps ecclésial […] L’Église rassemble donc des pécheurs saisis par le salut du Christ, mais toujours en voie de sanctification».
Le pape François n’a d’ailleurs pas manqué de souligner cette réalité lorsqu’il a demandé pardon aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis:
«Et j’éprouve aussi honte [sic], je vous l’ai dit et je le répète: je ressens de la honte, de la douleur et de la honte pour le rôle que différents catholiques, notamment avec des responsabilités éducatives, ont joué dans tout ce qui vous a blessés, dans les abus et dans le manque de respect de votre identité, de votre culture et même de vos valeurs spirituelles. Tout cela est contraire à l’Évangile de Jésus. Pour la conduite déplorable de ces membres de l’Église catholique, je demande pardon à Dieu et je voudrais vous dire, de tout mon cœur: je suis très affligé. Et je me joins à mes frères évêques canadiens pour vous présenter des excuses.»
Un pardon pour un avenir
Les demandes de pardon de l’Église jouent aussi un rôle important dans la construction d’une relation purifiée avec ceux qu’elle a offensés. «Une demande de pardon, cela suppose que l’on veuille construire un avenir avec ceux que l’on a blessés», souligne Gilles Routhier.
Le théologien remarque également que Jean-Paul II avait conscience que «l’Église ne peut pas évangéliser si elle ne se purifie pas». Gilles Routhier va encore plus loin: «Une Église n’a pas d’avenir si elle n’est pas capable de regarder lucidement son passé.»
Cependant, pour que les excuses de l’Église puissent porter du fruit, il est nécessaire qu’elles soient acceptées par ceux et celles qui ont été blessés par elle.
«Il ne faut pas prendre cela à la légère. Ce n’est pas simple, lorsque nous sommes blessés, d’offrir le pardon à la personne qui nous a blessés. Non, cela n’est pas simple. Si nous voulons avoir un avenir, un avenir ensemble, mais un avenir tout court aussi, il ne faut pas simplement être pris par son passé. Et c’est vrai pour toute personne. Si elle est captive de son passé, elle ne peut pas aller de l’avant. Ce passé va la parasiter sans cesse», souligne Gilles Routhier.
Dans le cas des pensionnats, le théologien est optimiste. «J’espère que pour certains, cela sera possible de pardonner. Pour d’autres, cela sera beaucoup plus difficile. Mais il y a un avenir possible», croit-il.