Portraits d'étincelles
Illustration : Marie-Pier LaRose/Le verbe

Portraits d’étincelles : ces enfants partis trop tôt

Au Québec, une femme sur quatre fait une fausse couche, et près de deux grossesses confirmées sur cinq ne se rendent pas à terme. Pour ces parents qui espèrent leur enfant depuis des mois et qui apprennent qu’il ne vivra pas, c’est une blessure dont ils garderont la profonde cicatrice. La Fondation Portraits d’étincelles s’est donné la mission d’y mettre un baume en leur offrant un doux et tangible souvenir de leur bébé: une photo.

Cet article est tiré de notre magazine. Abonnez-vous gratuitement pour recevoir nos numéros papiers.

Appareil photo à la main, Isabelle L’Italien se rend, depuis 2015, dans les hôpitaux pour immortaliser le portrait de petits bébés partis trop tôt. Aussi aigre-doux que ce moment puisse être pour les parents, la photographe bénévole et présidente du conseil d’administration de la Fondation Portraits d’étincelles sait «que son travail leur fait du bien».

«Puisque les parents sont sous le choc, c’est un évènement qui peut demeurer flou dans leur mémoire, donc la photographie leur permet d’avoir une preuve que ce n’est pas dans leur imaginaire», raconte Isabelle L’Italien. «Elle leur permet aussi d’avoir un souvenir agréable de leur enfant qu’ils peuvent présenter à leurs proches», ajoute la bénévole.

Cet aspect est très important pour Guy-Anne Roy, intervenante et formatrice en deuil périnatal chez Les Perséides: «Prendre des photos du bébé est recommandé pour le processus de deuil, car ce sont les seuls souvenirs tangibles que les parents vont garder de leur enfant.» Selon elle, le deuil périnatal se distingue du deuil «traditionnel» du fait qu’il est «invisible», ce qui le rend encore plus difficile pour les parents.

«Leur entourage, qui n’a ni vu ni connu l’enfant, ne comprend pas bien leur perte et ne peut donc pas aussi bien les soutenir», explique l’experte, qui pense que les organismes comme Portraits d’étincelles sont essentiels.

La beauté dans la mort

Quand on l’appelle, Isabelle doit faire vite, le temps est compté. «De façon générale, les parents sont installés dans une pièce à l’écart, avec la lumière tamisée pour les garder dans une petite bulle de douceur», explique-t-elle. «Je demande toujours aux parents s’ils ont donné un nom à leur bébé, pour que je puisse l’utiliser pendant ma séance photo. Certains le font, d’autres non», raconte la quarantenaire au pull gris.

Elle se place ensuite au bout du lit et commence sa séance de photos d’une vingtaine de minutes. La photographe ne s’éternise pas afin de vite redonner à la famille son intimité. «Quand je fais mes séances photo, je ne vois pas juste la mort. Je vois la beauté de la vie et je suis chaque fois fascinée de voir comment le bébé s’est développé», exprime-t-elle avec émerveillement.

«La mort, c’est aussi naturel que la vie, ça en fait partie, donc il faut l’apprivoiser.» – Isabelle L’Italien

«Bien sûr, je suis attristée, mais j’ai choisi d’adopter une vision positive dans mon travail, c’est-à-dire que je vais manipuler l’enfant de manière à montrer aux parents autre chose que la mort, comme les traits physiques qu’il tient de son papa ou de sa maman», ajoute la bénévole en souriant.

Si elle ne sait pas ce que c’est que de perdre un enfant, Isabelle L’Italien a vécu plusieurs deuils dans sa vie, ce qui lui permet aujourd’hui de témoigner avec une certaine sagesse: «La mort, c’est aussi naturel que la vie, ça en fait partie, donc il faut l’apprivoiser. Plus tôt on le fait, mieux on se porte. Il ne faut pas la combattre, on va y faire face un jour ou l’autre.»

Une pratique enracinée

Le 17 aout 2015, Manon Allard, Mélanie Jacques, Valérie Parizeau et Martine Gendron décident d’unir leurs expériences en deuil périnatal et en photographie pour «offrir aux parents qui vivent un deuil périnatal des photos professionnelles et gratuites de leur enfant décédé», déclare Isabelle L’Italien.

Portraits d’étincelles voit ainsi le jour et se fait un nom dans une trentaine d’hôpitaux à travers la province. L’organisme à but non lucratif compte aujourd’hui 100 bénévoles et reçoit près de 225 demandes par année. Dans la grande région de Québec, l’organisme J’allume une étoile offre des services similaires.

Mais d’où est venue l’idée de fonder un tel organisme? «À ses débuts, la photographie était un luxe, et les gens moins aisés ne pouvaient pas se permettre de se faire prendre en photo de leur vivant», explique Isabelle L’Italien. «Lorsque arrivait un décès, les services de photographie offraient donc gratuitement des photos post mortem, puisque c’était la dernière occasion de photographier le défunt», ajoute la femme en se replaçant une mèche de cheveux.

«Cette pratique a disparu avec l’arrivée de la photo à grande échelle, qui a permis aux gens d’en avoir de leur vivant, et a rendu la photographie au décès moins essentielle.» Pour les bébés dont la vie a été trop courte, la photographie post mortem reprend ainsi toute son importance.

Benjamin, la «petite vedette»

Mélissa Béchard-Côté et son mari ont eu recours à Portraits d’étincelles, le 8 février 2016. De leurs trois garçons, Caleb, Benjamin et Isaac, le deuxième n’a pas survécu à une naissance prématurée. Un matin, Mélissa se réveille avec de grosses contractions et sait qu’elle va accoucher… à 22 semaines.

«Quand on est arrivés avec mon conjoint Vincent à l’hôpital, le médecin nous a dit que le bébé était trop petit et qu’on ne pouvait rien faire pour le sauver», raconte la jeune maman, derrière l’écran de son ordinateur. Vincent appelle alors Portraits d’étincelles et, quelques heures plus tard, Martine Gendron est là pour prendre des photos de Benjamin.

«Ça ne me rend pas triste de parler de Benjamin; au contraire, ça me fait du bien, car ça prouve qu’il a existé.» – Mélissa Béchard-Côté

«Quand Martine est entrée dans la chambre, une vague d’apaisement a envahi la pièce. Elle était toute douce avec nous et le petit, ça nous a soulagés», relate Mélissa, reconnaissante. Pour le couple, c’est bien plus que des photos que leur donne Portraits d’étincelles; c’est la seule activité qu’ils feront avec Benjamin. «On nous a donné quelque chose qu’on n’aurait pas pu avoir autrement et qui nous aurait manqué, car ça nous a fait beaucoup de bien», témoigne la femme au chignon blond.

En plus d’être une petite douceur pour Mélissa et Vincent, les photos de Benjamin ont permis à un entourage «qui minimisait leurs émotions» de mieux comprendre qui ils ont perdu. «Ça ne me rend pas triste de parler de Benjamin; au contraire, ça me fait du bien, car ça prouve qu’il a existé. Pour moi, c’est ma petite vedette», dit la mère de famille en ricanant.

Parler de son fils, c’est ce qui a véritablement aidé Mélissa à faire son deuil. Mais si elle ne pleure plus aujourd’hui quand elle l’évoque, elle ne pourra jamais accepter ce qui s’est passé: «Honnêtement, je ne pense pas qu’on puisse concevoir de perdre un enfant, c’est tellement injuste», dit-elle doucement.

Reconnaitre la personne

Sous morphine le jour de l’accouchement «pour qu’elle soit moins sous le choc», Mélissa vit ses émotions après coup. Le retour à la maison est très douloureux. «Un vide incommensurable. C’est ça qu’on ressent quand on perd un bébé. Il te manque une partie de toi», confie-t-elle.

Montées de lait douloureuses, prestations gouvernementales à annuler, cérémonie à organiser, tout ramène à la mémoire du couple ce qui s’est passé. Mais ce n’est pas ce qui est le plus lourd à porter: Mélissa m’explique alors que, pour qu’un nouveau-né soit comptabilisé dans les statistiques, il doit avoir respiré ou doit peser 500 grammes et plus.

Comme ce prêtre, Portraits d’étincelles a reconnu que Benjamin a
bel et bien existé. Les photos le prouvent.

«Benjamin pesait 350 grammes et n’a pas respiré, selon l’infirmière. Mais moi, je l’ai vu respirer quelques secondes après sa naissance», dit-elle avant de prendre une pause. «Il est donc considéré comme [n’ayant pas] existé. Statistiquement, il est un déchet biomédical. C’est très, très dur d’entendre ça», continue Mélissa avec un calme déroutant.

Les parents sont en colère et intègrent difficilement cette nouvelle. Le couple se demande si leur garçon, ni baptisé ni reconnu comme une personne par l’État, pourra avoir des funérailles à l’église. Le curé avec qui ils discutent soulage alors leur peine.

«Il a dit que non seulement Benjamin était un être vivant et qu’il avait le droit d’avoir une cérémonie à l’église, mais qu’il ne pouvait pas y avoir plus pur que notre fils, […] étant donné qu’il n’avait connu que le ventre de sa mère», raconte Mélissa tout sourire.

Comme ce prêtre, Portraits d’étincelles a reconnu que Benjamin a bel et bien existé. Les photos le prouvent. Ces photos, elles sont aujourd’hui posées à côté de son urne dans la chambre de Mélissa. Elle les regarde tous les jours et elles lui font du bien.

Pour cette maman, «Portraits d’étincelles a fait vivre [son] garçon plus longtemps».

Illustration : Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Frédérique Bérubé

Diplômée au baccalauréat en communication publique et à la maîtrise en journalisme international, Frédérique Bérubé est passionnée de voyages, de rencontres humaines et, bien sûr, d’écriture. À travers ses reportages, elle souhaite partager des histoires inspirantes et transformantes!