Photo : Pascal Huot

Pensionnats autochtones : bilan de la visite du pape François

Le 24 juillet 2022, le pape François entreprend un « pèlerinage pénitentiel » au Canada pour aller à la rencontre des communautés autochtones du pays afin de présenter des excuses officielles pour l’implication de l’Église catholique dans l’administration des pensionnats autochtones et d’ouvrir un chemin de réconciliation pour l’avenir. La démarche se veut une réponse à l’appel du gouvernement du Canada et de sa Commission de vérité et réconciliation, qui réclament de l’Église une reconnaissance de culpabilité au sujet de faits jusqu’alors mal connus de notre histoire. Deux ans plus tard, les pèlerins se font-ils nombreux sur la route ? État des lieux.

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Quand je lui demande si les choses ont changé pour les peuples autochtones, Tom Dearhouse – un colosse de 1,88 mètre – me lance un sourire. « Les Mohawks érigent des ponts depuis plus d’un siècle – le nouveau pont Champlain en fait partie. Moi, je suis ici pour bâtir d’autres sortes de ponts, ceux du dialogue et de la compréhension. » Mohawk originaire de Kahnawake, intervenant psychosocial auprès des Kanien’kehá:ka, des Ojibwés et des Cris en Ontario et au Québec, Tom est un homme de terrain. C’est pourquoi il est ici, en la cathédrale de l’Assomption à Trois-Rivières, avec des dizaines de leadeurs autochtones, des agents de pastorale, des prêtres et des évêques, venus des quatre coins du Québec pour souligner les 30 ans de Mission chez nous, un organisme de charité œuvrant à la promotion d’une plus grande solidarité chrétienne avec les peuples autochtones.

Des liens plus solides

Dans les milieux fréquentés par Tom, les perspectives sont diverses : « Pour ma belle-mère de 84 ans, une survivante des pensionnats qui a rencontré le pape en personne, la visite a effectivement changé quelque chose. Elle accepte sa demande de pardon. Ce n’est pas le cas de mes amis d’Ottawa, qui eux trouvent que ce n’est pas suffisant. Ils n’ont pas aimé voir les évêques aux premières places à la messe à la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré [un évènement marquant de la visite]. Les anciens et ceux qui étaient en fauteuil roulant étaient derrière. Plusieurs n’ont pas eu de place. Pour eux, c’est un manque de respect. Ça révèle une mentalité qui doit changer », ajoute-t-il.

« Pour ma part, cette visite a brassé des choses dans les réseaux d’entraide avec les leadeurs autochtones. Ça nous a permis de discuter entre nous à travers tout le Canada, que ce soit dans le nord de l’Ontario, à Winnipeg ou dans l’Ouest, à Saskatoon. On s’est demandé quoi faire maintenant, après cette visite. On n’est pas sortis avec quelque chose de concret, mais on s’est réunis et on a l’intention de continuer, ce qui est nouveau. »

Pour Tom, des vocations autochtones aideraient à changer le visage de l’Église et ses façons de faire. « À Kahnawake, on avait l’habitude de prier pour les vocations, mais depuis la canonisation de Kateri Tekakwitha, on a cessé. Une sainte était peut-être suffisante pour certains, mais moi, je pense qu’il faut continuer! »

Se raconter pour pardonner

Attablées et sirotant leur café, Nathalie Gabrielle et Christiane Riverin, des élues dans leur communauté respective, sont d’accord sur une chose : bien des Autochtones catholiques avaient déjà pardonné aux membres du clergé ayant commis des abus avant que le pape ne vienne au Canada. « Malheureusement, il y en a qui refusent de pardonner. C’est ça qui fait souffrir. J’essaie d’aider les gens comme je peux, mais eux, de leur côté, ils doivent faire des pas aussi. On ne peut pas passer toute sa vie dans le ressentiment et la colère. Je souffre tellement de voir mon peuple souffrir », avoue Nathalie, venue tout droit de Matimekush, village innu près de Schefferville. Vice-cheffe du Conseil des Innus de Pessamit, près de Baie-Comeau, Christiane croit que ce qui va changer les cœurs de ceux et celles qui n’arrivent pas à pardonner, c’est d’abord le témoignage.

« On ne peut pas passer toute sa vie dans le ressentiment et la colère. Je souffre tellement de voir mon peuple souffrir. » – Nathalie Gabrielle

Le danseur traditionnel Jeffrey Papatie, un Anichinabé du Lac-Simon qui travaille comme intervenant à Kitcisakik, en Abitibi, témoigne durant l’évènement. Abusé sexuellement par un prêtre alors qu’il est enfant, il peine à se remettre de son traumatisme et sombre dans l’alcoolisme et la toxicomanie. Il ne voit pas grandir ses quatre enfants. Aujourd’hui libéré de la dépendance, il parcourt le Québec en racontant son histoire, un processus qui l’aide à pardonner. Il donne par le fait même l’occasion à d’autres Autochtones de prendre la parole et d’entamer une démarche de guérison.

« Les Autochtones doivent parler, lance Christiane. Cette visite du pape a justement permis à beaucoup de membres des Premières Nations de s’exprimer pour la première fois de leur vie. »

Annie, qui refuse jusqu’alors de prendre part à l’entretien, s’anime soudainement : « Après son témoignage, un prêtre est venu voir Jeffrey et lui a demandé si le prêtre qui avait abusé de lui avait demandé pardon. Jeffrey a répondu non. Alors, le prêtre s’est agenouillé devant lui et lui a dit: “Jeffrey, moi, je suis prêtre, et au nom de ce prêtre, je te demande pardon pour tout le mal qu’il t’a fait.” Jeffrey a beaucoup pleuré. Eh bien, ce sont des gestes comme ceux-là qui vont changer les choses. Ça amène la guérison. Et puis, quand Jeffrey a demandé à l’archevêque de Montréal, Mgr Christian Lépine, s’il voulait bien lui faire un hug! C’était incroyable. Les deux hommes se sont embrassés comme ça devant toute l’assemblée. C’était bouleversant. C’est comme ça qu’on va guérir. »

Faire le travail

Mathieu Lavigne, le directeur général de Mission chez nous, remarque des changements : « Du jour au lendemain, avant et après cette visite, j’ai eu des demandes de conférence partout. Les gens voulaient mieux comprendre la réalité des Autochtones. »

Le décès de Joyce Echaquan en septembre 2020 et la controverse entourant la présence éventuelle de tombes anonymes à Kamloops en mai 2021 lancent une onde de choc au pays et sortent bien des Canadiens de l’indifférence. « La présence du pape, plus que tous les discours, a réconforté bon nombre d’ainés », ajoute Mathieu Lavigne. Il fait remarquer que, depuis ces deux évènements tragiques, les voix autochtones se font entendre davantage, notamment à travers des médias bien à eux tels que le Réseau de télévision des peuples autochtones (RTPA), ou encore l’émission Kwé, Bonjour à Canal M, par exemple. Des auteures comme Isabelle Picard et Marie-Andrée Gill sont de plus en plus sollicitées.

« On a énormément de ressources pour mieux connaitre les Autochtones, c’est à nous de faire les démarches. Je pense à Espaces autochtones, de Radio-Canada, ou au portail de l’ONF. Tout est là! On ne peut pas laisser à 4 % de la population la tâche d’éduquer les 96 % qui restent », conclut Mathieu Lavigne, également animateur de l’émission de radio Confluents, qui donne la parole à des membres des Premiers Peuples et à leurs alliés.

Les évènements des dernières années ont donné lieu à une prise de conscience collective quant à la condition historique et actuelle des peuples autochtones au pays, la complexité de leurs relations avec l’Église aussi bien qu’avec l’État. Si les blessures demeurent vives, la visite du pape François aura eu le mérite d’éveiller l’intérêt du public à ces enjeux, de favoriser l’ouverture de canaux de communication entre l’Église et les communautés, et aussi d’enrichir les relations entre les leadeurs autochtones eux-mêmes. Si le chemin de la guérison est long, il est du moins emprunté.

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Brigitte Bédard

D’abord journaliste indépendante au tournant du siècle, Brigitte met maintenant son amour de l’écriture et des rencontres au service de la mission du Verbe médias. Après J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée (2019, Artège), elle a fait paraitre Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit saint m’a emportée (Artège) en 2022.