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Illustration : Caroline Dostie

Pèlerins et touristes : une cohabitation nécessaire

Pendant que les paroisses sont désertées et les églises démolies, les grands sanctuaires du Québec sont investis par des masses de touristes en quête de beauté et d’authenticité. Chaque année, c’est en moyenne quatre-millions de visiteurs qui se relaient dans ces lieux souvent boudés par les locaux. Tendance lourde dans l’industrie, le tourisme religieux est appelé à croitre. Pour les responsables d’Église, cet afflux représente autant un défi qu’une occasion favorable.

Claude Grou a été recteur de l’Oratoire Saint-Joseph du mont Royal pendant quinze ans. On visite pour différentes raisons ce sanctuaire qui abrite le tombeau de saint frère André : pour assister à la messe et recevoir le sacrement du pardon, et aussi pour se laisser imprégner par l’esprit du lieu. Déjà, au moment de sa construction, on réfléchissait à la façon de gérer la présence de ces visiteurs pas nécessairement pieux. Le père Grou raconte :

« La première mention que j’ai trouvée de cette réalité remonte à 1936. Le recteur de l’époque parle de “curieux” plutôt que de “touristes”. Il insiste pour dire qu’il faut accueillir ces personnes avec ouverture. Dans les années 1950, les textes prescrivent plutôt de leur interdire l’entrée afin d’éviter de déranger les pèlerins. En 1967, à la veille de l’Exposition universelle, on s’est dépêché de finir la décoration intérieure de la basilique, car on prévoyait un très grand nombre de visiteurs. »

Il y a une folklorisation du croyant qui s’opère à travers le tourisme religieux. Les croyants deviennent des objets de curiosité.

Monseigneur Pierre-Olivier Tremblay

Depuis la Révolution tranquille, les leadeurs religieux souhaitent laisser les portes ouvertes à tous ceux qui veulent découvrir ces lieux de prière. Les sanctuaires restent, à ce jour, une interface importante entre l’Église et le reste de la société.

Rénover ou refonder ?

Quand il est devenu recteur du Sanctuaire Notre-Dame-Du-Cap, celui qu’on reconnait désormais comme monseigneur Pierre-Olivier Tremblay a reçu pour mission de relancer les activités du site. Avant de se mettre en action, il a dressé un bilan de la situation.

« Mon constat était que le sanctuaire avait besoin de refondation. Au sens propre comme au figuré. Quand on parle de patrimoine, l’épreuve du temps fait qu’il y a des fissures qu’on doit réparer. Dans un sanctuaire, il y a des choses qui nous rattachent au passé : le bâtiment, des manières de faire, des dévotions particulières. Il y a une part de notre travail qui consiste à préserver et à mettre en valeur ce patrimoine matériel et immatériel. Dans certains cas, il faut faire de la rénovation plus que de la restauration. On regarde ce qui se fait déjà et on se demande comment on pourrait s’en servir autrement. Parfois, il faut refonder : garder notre mission tout en repensant une nouvelle architecture. »

L’équipe de Notre-Dame-du-Cap a tenté, à tâtons, différentes initiatives. Celles-ci connaissent parfois un succès mitigé. En 2017, par exemple, lors de l’évènement Noël en lumières, on a invité le groupe populaire les 2Frères. Selon monseigneur Tremblay, c’était comme « vouloir mélanger l’eau et l’huile ». Les personnes qui désiraient vivre une dévotion traditionnelle n’avaient que faire de cette offre culturelle, et les personnes qui venaient assister au spectacle n’allaient pas à la messe avant.

Des manques à combler

Gilles Gignac est directeur général de la paroisse Notre-Dame-de-Québec, berceau de la foi catholique en Amérique du Nord. Avec d’autres représentants des grands sanctuaires, il a assuré la fondation de l’Association du tourisme religieux et spirituel du Québec. Si le gestionnaire engagé en Église est préoccupé plus par l’expérience des pèlerins que par les retombées économiques, l’aspect financier reste un incontournable avec lequel il faut composer.

« Le plus grand défi à moyen terme est le maintien des structures, tant sur le plan de l’entretien du bâtiment que de l’accueil. En 2014, lors des fêtes du 350e de la paroisse, on a dû embaucher du personnel. L’équipe pastorale s’implique aussi, mais ils ne sont pas nombreux : il y a le curé, le vicaire et l’agente de pastorale. On a vite fait le tour. Ça prend des gens dévoués, efficaces et disponibles qui assurent une présence humaine. Sans l’apport essentiel des bénévoles, on ne serait pas en mesure d’offrir cette qualité d’accueil. Mais il faut bien admettre que des bénévoles, il y en a de moins en moins. Il va falloir trouver de nouvelles façons de faire. »

Monseigneur Pierre-Olivier Tremblay observe que l’organisation des pèlerinages repose aussi, bien souvent, sur les épaules de bénévoles :

« Pendant longtemps, ce sont des bénévoles engagés en paroisse qui organisaient les pèlerinages. C’étaient généralement des dames qui, d’une année à l’autre, prenaient les inscriptions et réservaient des autobus. J’en ai rencontré une qui organisait des pèlerinages depuis soixante ans. Ce dévouement, cette loyauté, cet enthousiasme, c’est incroyable ! Le défi est que ces personnes-là ne sont pas remplacées. Plusieurs groupes qui venaient régulièrement à Notre-Dame-du-Cap ne viennent plus. Quand on leur demande pourquoi, ils répondent qu’ils n’ont plus personne pour organiser ces pèlerinages. Ça tombe à l’eau. »

Cet article est aussi paru dans notre numéro spécial du printemps 2021 VISITATION. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.

Semble-t-il que la visite de lieux de culte n’est pas une pratique répandue chez les nationaux qui voyagent au Québec. S’ils visitent les cathédrales lorsqu’ils sont en Europe et les temples bouddhistes quand ils sillonnent l’Asie, ils hésitent à se déplacer pour visiter des églises. L’équipe de Notre-Dame-de-Québec l’a appris à ses dépens quand, pendant un été, elle a décidé d’instaurer des droits d’entrée aux touristes. Gilles Gignac n’hésite pas à qualifier de « désastre » cette initiative :

« L’année où l’on a instauré cette tarification, les visites sont passées, entre mai et octobre, de 250 000 à 30 000 personnes. Les seuls qui acceptaient de payer étaient les touristes internationaux. La saison a été difficile. Nos préposés à l’accueil se sont souvent fait engueuler. Financièrement, ça ne donnait pas le résultat escompté. Quand les gens entrent librement, ils donnent en moyenne trois dollars, bien davantage que le dollar qu’on demandait. À la suite de cette expérience, on a arrêté. »

Malgré la baisse de la pratique religieuse, les Québécois restent attachés à leurs églises. Ils vivent mal le fait de les voir transformées en attractions. Même s’ils ne s’y rendent pas pour prier, ils considèrent qu’on ne devrait pas leur en limiter l’accès.

Le défi de l’altérité

Bien sûr, les responsables des grands sanctuaires ne parlent pas d’évangélisation lorsqu’ils sont en réunion avec les opérateurs touristiques. Mais s’ils acceptent de se prêter au jeu, c’est parce qu’ils croient profondément à la dimension missionnaire de l’accueil des touristes. Monseigneur Tremblay a dû sensibiliser les pèlerins afin qu’ils acquièrent une véritable hospitalité à l’égard de ces autres qui sont souvent dérangeants.

« Les touristes ont tendance à parler fort, à être distraits, à tout prendre en photo. Il y a une folklorisation du croyant qui s’opère à travers le tourisme religieux. Les croyants deviennent des objets de curiosité. Il faut rester bienveillant à l’égard des touristes, même s’ils nous regardent avec un sourire en coin. Ce n’est pas gagné ! »

L’évêque de Trois-Rivières y voit une véritable occasion de conversion pour des pèlerins qui se sont réfugiés dans le confort de leurs habitudes.

« Avec le temps, nous avons fait de nos sanctuaires des centres de ressourcement. La notion de pèlerinage se rattache plutôt cette idée anthropologique très profonde de déracinement. Il s’agit de faire comme Abraham, de quitter son pays pour aller à l’étranger. En d’autres mots : sortir de sa zone de confort. »

Des acteurs de la nouvelle évangélisation

Pour que la cohabitation entre pèlerins et touristes soit la plus harmonieuse possible, on recourt à des moyens concrets de gestion de l’achalandage. On limitera souvent l’accès des visiteurs aux célébrations religieuses. Des affiches claires, en différentes langues, informent les néophytes des comportements à adopter. Selon le père Grou, la plupart du temps, ça fonctionne :

« Dans l’ensemble, ces groupes témoignent d’un grand respect. Ce n’est pas à nous de juger leur degré de pratique religieuse. On les accueille tels qu’ils sont. Pour certains, l’expérience va rester superficielle. Ils vont se prendre en photo devant l’Oratoire et ça va s’arrêter là. D’autres vont prendre le temps de venir au bureau de bénédiction. Ils vont être émus par la beauté du lieu. Les attentes sont diversifiées. On essaie de voir comment on peut répondre aux besoins tout en gardant l’essentiel de ce qu’on est, c’est-à-dire un lieu de foi, de prière et de guérison intérieure. À chacun de prendre ce qu’il veut. »

Comme le rappelle monseigneur Pierre-Olivier Tremblay, les gens osent encore entrer dans les sanctuaires. Il faut éviter de juger les intentions des visiteurs, car on ne sait jamais ce que leur passage peut susciter comme réaction. Il évoque avec humour la folie des Pokémons qui a amené, un soir de juillet, près de deux-cents adeptes sur le site de Notre-Dame-du-Cap :

« Les gens entraient pour trouver leurs petits monstres virtuels. Ils avaient le regard collé à l’écran, puis finissaient par lever les yeux et réaliser où ils étaient. Évangéliser dans des sociétés sécularisées, c’est quelque chose qu’on n’a jamais fait dans l’histoire. On se trouve devant la première génération qui a grandi en dehors de tout référent religieux. La nouvelle évangélisation s’appuie sur notre capacité à entrer en relation. Ici, on retrouve de la beauté, de la bonté. On est là. On existe. »

Et ça, de fait, c’est déjà une bonne nouvelle !


Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.