« Vous êtes ici chez vous » lance le père Les Kwiatkowski aux pèlerins venus pour la première fois au lac Sainte-Anne. Dans la petite église, à nos côtés, la communauté paroissiale compte une cinquantaine de personnes, pas plus.
Difficile d’imaginer les dizaines de milliers de personnes qui afflueront aujourd’hui. Heureusement, le lieu a l’habitude des masses de pèlerins qui viennent chaque année autour de la fête de sainte Anne. Il est là pour ça : un grand bâtiment ouvert, tout fait de bois. Mais tout de même, il y a de l’effervescence dans l’air !
Les pavés sont comme des sous neufs. Tout est en branle près de la petite église et du sanctuaire. On est en pleine corvée de nettoyage. « On a dû déplacer les nids des oiseaux », explique le prêtre, en nous montrant le plafond. Un peu partout, on s’est refait une beauté pour accueillir et le pape et les grâces de cette démarche de réconciliation.
Préparez les chemins… bétonnés
En arrivant sur le terrain pour la messe du dimanche, une semaine avant la venue de François, nous sommes accueillis par… des pelleteuses, des bulldozers et des bétonneuses ! Ça sent le goudron encore frais, alors que nous sommes au beau milieu des contrées profondes de l’Alberta, à environ 75 km d’Edmonton. « C’est bien parce que c’est une partie de la réconciliation de créer des routes ! », lance le père Les, amusé.
On prend difficilement la mesure de la gymnastique réalisée par les organisateurs pour un évènement qui attire des masses de gens aussi importantes… Une route nationale de campagne, ça bloque quand la circulation décuple en l’espace de quelques jours. Les panneaux de signalisation l’affichent d’ailleurs partout : « Trafic à prévoir du 24 au 29 juillet ».
Depuis des générations
Les Kwiatkowski est un père oblat d’origine polonaise, installé au Canada depuis les années 1990. Depuis 10 ans, il s’occupe de la communauté du lac Sainte-Anne et des paroisses aux alentours.
« Ce lieu était connu des peuples autochtones bien avant que des missionnaires ne viennent ici. C’était une sorte de lac secret, bien avant qu’il soit appelé Sainte-Anne ». La Nation sioux des Nakota d’Alexis l’appelle Wakamne, c’est-à-dire « Lac de Dieu ». Les Cris le baptise Manito Sahkahigan, c’est-à-dire « Lac de l’Esprit ».
« Les missionnaires sont venus, et l’un d’entre eux avait une dévotion pour sainte Anne. Ils ne savaient probablement pas que dans les cultures des peuples autochtones, la grand-mère est importante plus que tout ! Sainte Anne étant la grand-mère de Jésus, ils étaient en plein dans le mille » !
Depuis 1889, un pèlerinage est organisé chaque année par les Oblats. Aujourd’hui, c’est plus de 40 000 personnes qui viennent vivre cet évènement dans la semaine du 26 juillet. Il s’agit de l’un « des rassemblements spirituels les plus uniques et mémorables en Amérique du Nord », lit-on sur le site Web officiel.
Plongeon dans la guérison
Quelles grâces dans ce lieu ? « Ce sont les guérisons ». Des guérisons physiques, miraculeuses et extraordinaires, mais aussi des guérisons émotionnelles, où tout se passe en secret, dans le vaste paysage de l’intériorité humaine.
En 2015, une jeune femme de Calgary a un accident tragique. Au volant de sa voiture, Johanne passe par-dessus un garde-fou et est percutée par les voitures sous le viaduc. Elle survit, mais c’est le fauteuil roulant pour toute sa vie. Ses parents l’ont emmené au sanctuaire du lac Sainte-Anne.
Le curé sort son téléphone cellulaire de sa poche et me montre alors une photo de lui avec cette jeune femme souriant à l’objectif, bien debout. « Rien n’y paraît », souffle-t-il avec émotion.
Viennent aussi « des gens qui ne peuvent pas pardonner, très en colère », comme ce pèlerin prenant part à la messe avec nous, venu à pied depuis Fort McMurray pour vivre le deuil de sa femme décédée… C’est près de 500 km qu’il a marché avant de se plonger dans l’eau.
« Quand il est revenu de l’eau, il a dit : “J’ai senti comme tout cela se détacher, s’en aller” », me partage le prêtre.
« Tu sais, c’est la foi des gens. C’est un lieu béni, ça ne s’explique pas », conclut le père Les. Il me laisse après ces quelques minutes d’échange. Il est pressé et doit repartir célébrer la messe dans une autre de ses paroisses en lien avec la communauté autochtone. Son chien le suit joyeusement.
En route depuis Yellowknife
Sur le site, je rencontre Bertha Rabesca Zoe et Cecilia Rabesca, deux femmes autochtones du peuple Tlicho (se prononce « Clicho »). Elles en sont à leur deuxième aller-retour ce mois-ci, depuis Yellowknife dans les Territoires du Nord-Ouest. Elles préparent le terrain en tant que membres des autorités Tlicho et repèrent les lieux où elles s’installeront avec les autres membres de leur délégation pour camper la semaine prochaine.
Elles viennent depuis des années au pèlerinage de la Sainte-Anne, mais il y aura beaucoup de monde cette fois-ci. Elles s’assurent ainsi d’avoir une place réservée. Plusieurs groupes sont attendus. Elles ont rencontré l’autre jour des représentants de la Nation Cris et Pieds-noirs, et m’expliquent que leur communauté est en très grande partie catholique. « Tout le monde est très excité par la venue du pape, dans notre cas ».
Croient-elles que la venue du pape est importante ? « Oui… Parce que nous connaissons beaucoup de personnes qui ont vécu dans les pensionnats. Beaucoup de ces personnes ont gardé tout cela à l’intérieur d’elles… » La majorité de ceux qui portent des blessures profondes ne les expose pas publiquement. Être entendu et écouté, c’est une étape très importante dans un processus de guérison collectif, mais aussi personnel. Une porte ouverte pour poursuivre leur pèlerinage intérieur.