Migrants à la frontière de Tijuana. Photo: Unsplash/Barbara Zandavol)

Au Mexique, « l’Église catholique joue un rôle central pour aider les migrants »

Chaque mois, des milliers de migrants partent de l’Amérique centrale vers les États-Unis dans des conditions extrêmement dangereuses. Au Mexique, pays de transit, des catholiques se mobilisent pour leur venir en aide. Un reportage de Jérôme Blanchet-Gravel.

«L’Église catholique joue un rôle central pour aider les migrants. Le gouvernement mexicain est ouvert à écouter l’Église, mais reste fermé dans sa politique migratoire », résume José Luis Sánchez Gavi, professeur à l’Université autonome de Puebla.

Spécialiste du sujet, il rappelle « qu’une minorité active de prêtres s’affaire dans tout le Mexique » pour offrir du soutien aux migrants, dans un contexte où la pandémie a accentué la pauvreté en Amérique centrale, d’où partent la grande majorité d’entre eux.

Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse, en juillet 2021, ils sont aussi un nombre grandissant d’Haïtiens à quitter la perle des Antilles pour tenter leur chance aux États-Unis, au Mexique, ou même en Colombie.

La crise migratoire bat son plein

En 2021, les autorités américaines ont arrêté plus de deux millions de migrants à la frontière avec le Mexique, du jamais vu en vingt ans. Tous les records ont été battus lorsque 200 000 personnes ont été stoppées le long du tracé en juillet et aout de la même année.

Le père Alejandro Solalindo. Photo: Wikimedia

Au Mexique, le père Alejandro Solalinde est l’un des représentants les plus connus de la Pastorale des migrants1 et par le fait même, de la défense de leurs droits. Dans l’État méridional d’Oaxaca, tout près de celui du Chiapas, l’un des épicentres de la crise, il dirige le refuge Hermanos en el Camino (Frères en chemin), l’un des 90 centres du genre au pays.

Alejandro Solalinde pourfend le caractère bureaucratique de la gestion de la crise par les autorités mexicaines, une gestion selon lui déconnectée de la réalité du terrain. « Ma principale inspiration est le Jésus de l’Évangile de Marc. »

Alejandro Solalinde décrit le combat que son organisation et lui mènent au quotidien pour « transformer le système qui ne laisse pas de place aux migrants ». Il pourfend le caractère bureaucratique de la gestion de la crise par les autorités mexicaines, une gestion selon lui déconnectée de la réalité du terrain.

« Ma principale inspiration est le Jésus de l’Évangile de Marc », laisse-t-il tomber. Et de préciser : « Le Jésus de l’Évangile de Marc, c’est un Jésus près des gens, critiquant l’autorité et pour qui l’amour et l’engagement sont plus importants que le culte et les sacrements de son temps. »

Né en 2007 de l’initiative du père Solalinde, le refuge accueille en permanence 200 personnes et relève officiellement du diocèse de Tehuantepec. Chaque dimanche à Ixtepec, Alejandro Solalinde tient une messe œcuménique réunissant migrants catholiques et protestants, de même que tous ceux et celles qui veulent y assister.

Le père Solalinde menacé de mort

Le père Solalinde s’est retrouvé au cœur de polémiques ces dernières années, sa vigoureuse défense des migrants se heurtant parfois aux façons de faire des autorités et d’autres acteurs de la société. Depuis l’ouverture du refuge, il a été victime de plusieurs épisodes de menaces et d’intimidation, à tel point que l’organisme Amnistie internationale considère que sa vie est en danger. Le combat du père Solalinde déplait fortement à des groupes du crime organisé, dont l’un des fonds de commerce est la traite des personnes et le trafic d’organes.

« Ce qui est important, ce n’est pas toujours ce que dit la loi : la dignité humaine doit parfois passer devant les règles », insiste le père Solalinde en entrevue. Il faut dire que son amitié de notoriété publique avec le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, peut avoir contribué à développer son image de prêtre rebelle. Le président que l’on surnomme AMLO est controversé, étant régulièrement présenté dans la presse comme un dirigeant nostalgique d’un Mexique révolutionnaire à « régénérer ».

Des observateurs reprochent d’ailleurs au président sa proximité avec des organisations chrétiennes, ce qui est vu comme une entorse à la séparation des pouvoirs. Dans son récent bestseller, Regreso a la Jaula (Retour en cage), le journaliste Roger Batra accuse López Obrador de prôner un « rétro-populisme » caractérisé par un fort discours antisystème. La défense des pauvres – lesquels sont en majorité d’origine autochtone – par AMLO se traduit aussi, dénonce Batra, par une posture hostile envers les grands médias et les élites économiques.

L’Église fait pression sur Mexico

Mais de son côté, le père Solalinde estime que le président mène une quête légitime en faveur d’une plus juste redistribution des richesses dans un pays marqué par de fortes inégalités. Il évoque une « connexion » entre la grande ouverture du pape François envers les migrants du monde entier et l’approche du président López Obrador. « AMLO est un grand pédagogue et a fait beaucoup pour aider les plus nécessiteux dans ce pays. Comme François, c’est quelqu’un qui essaie de commencer une révolution des consciences », souligne-t-il.

La proximité d’Andrés Manuel López Obrador avec des organisations religieuses n’empêche pas son gouvernement de continuer de mener une politique jugée très répressive envers les migrants, en grande partie sous l’influence des États-Unis. De fait, Washington vise à ce que la majorité des migrants soient freinés sur le territoire mexicain avant qu’ils n’atteignent la frontière américaine.

En octobre 2021, l’Église catholique mexicaine a officiellement condamné la « politique de répression » des migrants. Pour l’universitaire José Luis Sánchez Gavi, aucun « affrontement » n’est toutefois à prévoir entre l’Église et Mexico dans le dossier migratoire, les deux parties restant ouvertes à dialoguer.

Jérôme Blanchet-Gravel

Jérôme est essayiste, journaliste et chroniqueur. Spécialiste des idéologies, il est l'auteur de quelques essais et collabore à plusieurs médias, au Québec et en France. Son dernier livre, la Face cachée du multiculturalisme, a été publié en 2018 aux Éditions du Cerf.