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Édouard, Anne et Raphaël.

Les mauvaises connexions : étudier à distance au temps de la covid

« M’entends-tu ? » « Attends, je vais te rappeler. » « Je crois que ça fonctionne ! » Aucune rencontre en ligne ne commence sans un peu de cafouillage, et mes entrevues avec ces étudiants ne font pas exception. J’ai voulu discuter avec eux de leurs nouvelles réalités scolaires. Même si Édouard, Anne et Raphaël ont des parcours bien différents, ce qu’ils ont à dire à ce sujet se rejoint.

La perte d’un milieu de vie

Édouard est en première année au cégep. Parce qu’il se passionne pour tout et refusait de choisir, il a débuté cet automne un programme exigeant en sciences, lettres et arts. 

« L’école, c’est un espace-temps foncièrement social. Avec les autres, on parle de ce qu’on apprend en classe, mais aussi d’autres sujets. C’est très enrichissant de découvrir de nouvelles personnes. Avec l’école à distance, je continue d’apprendre, mais j’ai perdu la dimension relationnelle ».

Au seuil de l’âge adulte, ces étudiants estiment avoir perdu une foule d’opportunités enrichissantes aux plans humain, social et professionnel.  

Anne, de son côté, a migré vers les sciences humaines après avoir terminé une année en techniques d’éducation spécialisée. Elle se dirige vers des études en développement international à l’université. Si elle s’accommode bien des différentes modalités d’enseignement, elle déplore la perte de son milieu de vie que constituait le cégep : « Ce qui me manque, c’est de rencontrer du monde ! Dans les pauses on avait des interactions avec des gens, avec qui on pouvait s’entendre, ou pas ! Il y avait de la vie partout autour de nous ! »

Au moment où le confinement du printemps a débuté, elle donnait des conférences dans les écoles primaires pour l’organisme Sopar, qui mène des projets de développement en Inde. Comme elle, Raphaël, étudiant en enseignement du français au secondaire, a vu ses implications se réduire comme une peau de chagrin.  

« J’aimais faire partie de comités, participer à des congrès. Vivre de nouvelles expériences. Rien de cela n’est possible présentement. Faire du bénévolat de façon virtuelle, je trouve ça vraiment moins intéressant que de faire quelque chose de concret. J’ai quand même quelques activités ici et là. Je suis ambassadeur pour l’organisme Chantiers Jeunesse et je fais de l’aide aux devoirs pour l’organisme Le Diplôme avant la Médaille ».

Au seuil de l’âge adulte, ces étudiants estiment avoir perdu une foule d’opportunités enrichissantes aux plans humain, social et professionnel.  

Problèmes techniques

Bien sûr, tous sont heureux d’avoir plus de temps pour dormir le matin. Ils conviennent qu’ils ne s’ennuient pas des heures perdues chaque jour dans les transports en commun. Ils essaient de voir le bon côté des choses. Mais, malgré toutes les bonnes intentions du monde, la technologie fait des siennes la plupart du temps. Édouard se désole de voir ses interactions avec ses enseignants appauvries par des problèmes de connexions :

« À distance, il y a beaucoup de pertes de temps à cause des bogues. Par exemple, dans mon cours de philosophie, ça arrive souvent que l’image fige ou qu’on n’entende rien. Et quand je veux poser une question, mon micro ne fonctionne pas. La connexion, au sens large, est affectée. En fin de compte, même si on reçoit le même nombre d’heures de cours, on voit beaucoup moins de matière ».

Raphaël, par ailleurs, ne s’attendait pas à sentir ses professeurs aussi déroutés que lui à sa première rentrée universitaire : 

« C’était difficile pour nous, mais pour eux aussi. Je n’aurais jamais imaginé que mes professeurs puissent être aussi peu à l’aise avec la technologie. Par exemple, durant un examen, la professeure a réalisé que, sur le logiciel, elle ne nous avait pas laissé assez de temps. On devra le terminer plus tard cette semaine. D’ici là, je vais pouvoir discuter des questions, et surtout des réponses, avec mes collègues. J’ai aussi changé ma façon d’étudier. Je ne cherche plus tant à comprendre la matière qu’à réfléchir aux façons les plus efficaces avec lesquelles je vais trouver les réponses dans mes notes. Vive la fonction “ctrl F” ! On se questionne souvent sur la valeur de notre diplôme. »

Anne, de son côté, est relativement satisfaite des différentes façons de faire. Elle s’implique le plus possible dans ses cours.

« Tous les enseignants ont des méthodes différentes. Il y a une enseignante que je n’ai jamais vue. Elle envoie des PowerPoint commentés, qu’on regarde au moment qui nous convient. Il y en a une autre qui ne donne qu’un cours par trois semaines. Entretemps, on étudie la matière à notre rythme. Il y en a d’autres où nous avons trois heures de cours en visioconférence, comme dans une classe normale. Cette session-ci, les jeudis et vendredis, j’ai six heures de cours en ligne. C’est beaucoup plus exigeant, mais c’est aussi plus motivant. Ces enseignants font des liens avec l’actualité. S’il est arrivé quelque chose la veille, on peut en discuter, ce qui serait impossible avec la formule asynchrone. »

Même si Anne constate que la plupart des étudiants n’interagissent pas beaucoup dans les cours, elle fait l’effort de questionner ses enseignants. Elle reconnait en eux des professionnels d’expérience dont elle aime avoir les rétroactions : « ce n’est pas un vrai contact, mais c’est mieux que rien ». 

Garder le cap 

Résignés, mais optimistes. Voilà comment je perçois ces jeunes adultes. Est-ce parce qu’Édouard a la foi ? Parce que Anne est d’un naturel dynamique ? Parce que Raphaël, dont le parcours est marqué par le bénévolat, est en mesure de relativiser sa situation ? Tous admettent malgré tout que leur cadre d’étude n’est pas idéal. Raphaël, par exemple, constate qu’il est devenu complètement sédentaire : 

« Je n’ai pas vraiment un bon équilibre de vie présentement. Je passe beaucoup trop de temps devant mon ordinateur. On nous a souvent répété que ce n’est pas bon pour la santé ! D’un côté, j’ai l’impression de juste faire ça. En même temps, il n’y a pas grand-chose d’autre à faire. Je pourrais faire plus d’efforts pour aller dehors… Au printemps, je trouvais ça ben l’fun, aller prendre des marches, mais à un moment donné… Heureusement, ça n’affecte pas trop mon humeur. »

Pragmatique, Anne s’est donné des outils concrets pour mieux vivre toutes ces heures passées dans l’univers virtuel : « récemment j’ai recommencé à être plus active. J’écoute mes cours en ligne en bougeant, en m’étirant, en faisant des exercices. Quand il ne fait pas trop froid, j’essaie de suivre les cours dehors, pour prendre un peu d’air ».

Édouard, sacristain à la basilique-cathédrale de Québec, observe que même sa vie de prière est affectée par son nouveau mode de vie. Il est heureux d’avoir accès à la messe, ce qui lui permet de sortir de son quotidien où il se sent pris entre quatre murs.  

Quand je lui demande quel serait son mot de la fin, il me répond en riant : 

« Je ne dirai certainement pas que ça va bien aller. Mais une chose est sûre : ça va finir par finir ». 

En effet, en ce monde, rien n’est éternel. 


Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.