La route nous est étrangement favorable. Tout porte à croire que le parcours vers Fox Hill, la collectivité du Bruderhof que nous allons visiter, est jonché d’ennui. Sans téléphone intelligent, nous sommes fidèlement guidés par une carte imprimée jusqu’à la station-service à trois kilomètres de notre destination. Dernier arrêt.
Assis dans le stationnement, on papote. L’odeur de l’essence se mêle à celle de la cigarette dans l’indifférence caractéristique de la périphérie américaine. À tout juste une heure au nord de New York – Upstate –, nous y sommes. Sous le regard passif des enseignes arrive pour nous le temps de partir.
En arrivant à la voiture, nous restons incrédules : les portières sont verrouillées, le moteur est arrêté et la clé est dans le contact. Ainsi nous résiste le réel.
Phil : « J’aime la perturbation. J’aime le changement. »
Une caissière amusée, mais surtout agacée, nous prête son téléphone. Retrouver le numéro d’accueil de la communauté. Réclamer Chris, notre contact, tristounets. Entendre son rire silencieux. Quelques dizaines de minutes, et puis c’est Phil, notre hôte, qui débarque.
« Chris m’a dit d’appeler le 911 », nous explique-t-il, requérant notre avis. « Je n’ai jamais appelé le 911 de toute ma vie. » Sous nos regards complices mais naïfs, Phil décoche un smartphone qui arrive à propos. La police locale s’en vient. Et la glace est cassée.
Une heure, peut-être, passe. Phil est bavard. On parle de famille, de techno, de foi. Marié à Jenny et père de six jeunes adultes, il enseigne à l’école primaire de la communauté. Aucun de ses enfants n’a choisi d’en devenir membre, une fois adulte. « Si ce truc sert bien à quelque chose, dit-il en pointant son téléphone, c’est à garder le contact avec nos proches », laisse-t-il tomber, les larmes aux yeux, la voix qui flanche.
La police finit par débarquer, fort amicale. Nous sommes servis rapidement, avec le sourire. On leur aurait donné cinq étoiles.
Auprès de Phil, nous nous confondons en excuses pour tous ces soucis. « J’aime la perturbation. J’aime le changement », nous dit-il. Soit. Sous les pneus de la petite Focus, la rue devient route de campagne, puis chemin de gravier. Nous sommes arrivés.
*
Aux ides de mars 2020, les ondes de choc d’une pandémie qui secoue le monde entier ne se sont pas arrêtées aux portes de Fox Hill. Jusqu’ici, l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication est essentiellement réservé au travail. À la différence des amish ou des mennonites, le Bruderhof n’a jamais eu pour vocation de refuser par principe le développement technologique. Si l’on discerne qu’une nouvelle technologie peut servir le bien commun, on l’accueille. Mais si l’on pense qu’elle appauvrira le tissu social, on la rejette.
Que ce soit dans la construction de bâtiments, la production agricole, les activités industrielles ou les entreprises de communication et de publication, plusieurs membres de la communauté utilisent des ordinateurs et des téléphones cellulaires. Aux jeunes qui sont appelés à poursuivre des études à l’extérieur de la communauté pour acquérir des aptitudes nécessaires à son épanouissement, on fournit les appareils technologiques requis pour fonctionner normalement, quitte à ce qu’ils s’en départissent à leur retour.
En dehors du travail ou des études, les technologies personnelles – ordinateurs, téléphones, téléviseurs, voitures même – ne font pas partie de la vie des membres du Bruderhof. La communauté est essentiellement libre par rapport au développement technologique. Mais des tensions émergent à mesure que les outils se répandent et se complexifient.
Avec l’arrivée de la pandémie, les membres du Bruderhof sont soumis à de strictes mesures sanitaires. Soucieux de respecter la loi et de demeurer dans les bonnes grâces des autorités publiques, la communauté s’adapte rapidement. Le smartphone s’attache à la vie sociale de la communauté en même temps que le virus. Quatre ans plus tard, on peine à en tirer pleinement les leçons.
Le Bruderhof
Fondé en 1920 par Eberhard Arnold, le Bruderhof – « place des frères » – est une communauté chrétienne issue du mouvement anabaptiste, une branche de la Réforme radicale dont les amish sont les plus célèbres représentants. Les membres se distinguent par l’intensité de leur vie commune, inspirée de l’Église primitive. Absolument tout y est mis en commun. Les logements, de formes diverses pour accommoder tous les besoins, sont interchangeables. Trois-mille membres sont répartis en 24 communautés à travers le monde. De l’une à l’autre, les membres voyagent beaucoup. Les repas du midi sont pris ensemble, dans un grand hall, au son de chants parfaitement maitrisés.
Clemens : « Le téléphone intelligent, c’est tout »
Marié et père de deux enfants, Clemens œuvre dans la gestion de l’infrastructure informatique centralisée du Bruderhof. Quand la pandémie frappe, il joue un rôle clé dans le processus décisionnel qui conduit la communauté à ouvrir les vannes. Maintenant, presque tous les adultes s’y promènent avec un téléphone intelligent dans la poche.
En prenant du recul, on comprend que la réflexion à ce sujet précède la pandémie. Pour la communauté, cet appareil pose un défi particulier. Contrairement à d’autres formes de technologie acceptées dans le passé, le téléphone intelligent chevauche la frontière auparavant nette entre l’usage professionnel et l’usage personnel.
« Tout a commencé à changer quand le téléphone intelligent est apparu sur le marché », m’explique Clemens, dictaphone à la boutonnière. Le téléphone intelligent est un produit qui ne peut être catégorisé comme étant lié au travail ou au divertissement.
« Le téléphone intelligent, c’est tout. »
La pandémie court-circuite le discernement d’une communauté habituée à la participation et à la délibération. L’équipe responsable des ressources informatiques est précipitée dans la mise en place d’une série d’actions visant à maintenir le lien social alors que des restrictions sévères entrent en application. Mais avant que ne se généralise l’usage du téléphone intelligent, m’explique Clemens, « nous avons investi dans d’autres types de ressources ».
« Personne n’a jamais décidé que tous les adultes devraient avoir un téléphone intelligent. » Mais « nous avons décidé que nous n’allions pas investir continuellement des ressources afin de développer des solutions de rechange techniques pour chaque situation où un téléphone aurait pu régler un problème particulier. Les responsables dans la communauté ne sont pas tenus de toujours trouver une solution de rechange simplement pour éviter que les gens aient un téléphone intelligent ».
Cette décision – qui n’en est pas une, finalement – suscite à l’époque une certaine résistance : « Il y a des gens qui croient fermement que cela ne rend pas le monde meilleur, que cela ne rend pas notre communauté meilleure, que la technologie moderne est une chose que nous devrions éviter, que nous aurions dû éviter », précise Clemens.
« L’ironie, c’est que moi-même, j’ai un regard pessimiste sur plusieurs aspects du progrès humain », insiste-t-il.
La shop
Dans un immense bâtiment de type industriel se retrouvent ensemble plusieurs des institutions centrales à la vie de la communauté: les bureaux du magazine Plough Quarterly, produit par le Bruderhof et soutenu par un réseau de collaborateurs de plusieurs confessions chrétiennes, le bureau des archives, les cliniques médicale et dentaire, et aussi, et surtout, la shop.
Si l’agriculture est pratiquée à Fox Hill, le cœur de la communauté, c’est plutôt l’usine de Community Playthings. On y fabrique des jouets et des installations pour les services de garde, les maternelles et les écoles Montessori. La fierté des membres de la communauté pour le travail accompli est palpable. L’été, c’est la saison haute. Chacun y met du sien pour répondre à la demande. Phil, notre hôte, n’est pas en reste.
Grâce aux revenus générés par Community Playthings et Rifton Equipment – une firme qui produit des équipements spécialisés pour les personnes handicapées –, le Bruderhof jouit d’une certaine sécurité financière et garantit à ses membres un niveau de confort étonnant.
Si les développements technologiques ont joué un rôle majeur dans le développement de l’entreprise qui soutient la vie de la communauté, on s’efforce dans le Bruderhof de ne pas en faire la priorité. Dans la chaine de production, des formes d’automatisation ont été mises de côté afin d’assurer que chacun, indépendamment de son niveau d’éducation et d’habileté ou de son âge, puisse y trouver du travail significatif.
Jenn : « J’aimais la manière dont la vie était avant ce changement »
Les enfants qui grandissent dans la communauté ne sont pas des membres. C’est seulement à l’âge adulte que l’on peut demander le baptême et prendre un engagement permanent pour la communauté. Il n’en demeure pas moins que l’éducation des enfants joue un rôle majeur dans la vie de la collectivité, qui dispose de son propre service de garde ainsi que d’une école primaire.
Le Bruderhof s’est doté, dans l’Upstate, d’une école secondaire aux proportions impressionnantes: The Mount Academy. Ancien séminaire rédemptoriste, l’établissement, situé à environ 30 minutes de Fox Hill, reçoit les étudiants des communautés de la région, en plus d’accueillir d’autres élèves issus des environs, moyennant des droits de scolarité.
Dans le Bruderhof, les jeunes de moins de 17 ans n’ont pas accès à un téléphone intelligent. Leur accès aux écrans est strictement limité – du moins dans l’espace public – à des apprentissages qui visent à les rendre prêts à poursuivre leurs études et à développer des habiletés nécessaires au bien de la communauté une fois adultes.
Mike, 26 ans, se prépare à devenir psychologue en milieu scolaire. Diplômée en soins infirmiers, son épouse Jenn est descendante du fondateur du Bruderhof, Eberhard Arnold. Mariés depuis deux ans, ils sont les jeunes parents d’une petite fille.
Forts de leurs formations respectives, Mike et Jenn sont préoccupés par l’irruption des nouvelles technologies dans la communauté sur le développement des enfants. À l’image d’autres jeunes parents, ils cherchent à favoriser un environnement technologique aussi minimaliste que possible pour leur enfant.
Le couple nous fait comprendre qu’un fossé générationnel majeur existe dans la communauté entre les jeunes adultes, souvent plus technophobes, et les baby-boumeurs, qui ont accueilli l’avènement des téléphones intelligents avec enthousiasme : « Les gens âgés sont très contents ! C’est hilarant de voir ces gens plus vieux prendre des photos de tout et n’importe quoi sur leur téléphone, durant les rassemblements communautaires, simplement en raison du facteur de nouveauté, alors que je n’y penserais jamais », rigole Jenn.
Si cette divergence dans le développement d’une étiquette numérique peut amuser, il n’en demeure pas moins que, pour Jenn, l’arrivée des téléphones intelligents dans la communauté est, au bout de compte, une perte nette : « J’aimais la manière dont la vie était avant ce changement. »
Ben : « Notre vie n’a de sens que si elle montre quelque chose au monde »
Été comme hiver, la jeunesse n’est pas désœuvrée. Selon leur âge, leurs aptitudes et leurs centres d’intérêt, les jeunes sont appelés à participer au bien de la communauté en prêtant mainforte à des projets qui leur permettent de développer des savoirs concrets. En vagabondant dans la communauté, on voit de jeunes adolescents affairés à la construction d’une maison en paille entièrement fonctionnelle. Un projet liant tradition, innovation et écologie.
Près d’une cabane à sucre également construite par des jeunes de la communauté, on croise Danny, un éducateur unique en son genre. Derrière les murs de la petite structure se cache un atelier où l’intéressé a formé des générations à l’entretien et à la réparation d’engins à moteurs.
Après la pause barbecue, je m’assois avec Ben à l’ombre d’un arbre. Âgé de 46 ans, marié et père de six enfants, il enseigne à l’école primaire. Aussi bien comme père que comme enseignant, il constate une complexification des enjeux liés à l’éducation des enfants, lorsqu’il compare la situation actuelle de la communauté avec ce qu’il a connu dans sa jeunesse. Si les moyens technologiques dont il dispose peuvent faciliter marginalement son travail, ils tendent aussi à susciter des tensions entre lui et ses enfants plus âgés.
L’intéressé affirme que, malgré ces changements, l’éducation de la jeunesse demeure essentiellement la même. Quand on le questionne sur la raréfaction, voire la disparition, de certaines activités communautaires comme le chant et la danse traditionnelle, encore très en vogue il y a quelques années, il est perplexe. « Là, tu touches peut-être au genre de petits changements insidieux que la technologie peut amener, quelque chose comme un effet domino que nous ne remarquons pas, comme la grenouille dans l’eau chaude. »
Ben soutient que le Bruderhof a toujours déployé des efforts pour entrer en contact avec le monde hors de la communauté, et qu’il doit continuer à le faire, même si les moyens changent : « Je suis heureux que nous ayons eu le courage de confronter ce problème avec le reste du monde, plutôt que de nous mettre à part de la société. »
« Notre vie n’a de sens que si elle montre quelque chose au monde. Si le monde ne peut pas la voir, ou si le monde ne peut entrer en contact avec elle – si tu ne peux pas venir ici, parler avec moi et discuter des mêmes enjeux –, alors cette communauté ne sera qu’une étiquette, comme celle des amish, qui ne sera pas ouverte aux réalités qui l’entourent », ajoute-t-il.
« Notre communauté n’est pas, en elle-même, ce qu’il y a d’important. Elle est une expression du règne de Dieu, en laquelle nous croyons, mais elle n’est pas le but ultime. Le but ultime, c’est le règne de Dieu. »
Coretta : « Je dois être capable de choisir le plus grand bien »
Éditrice chez Plough, Coretta a été élevée dans la communauté. Elle est célibataire. Après des études en Uruguay, elle arrive à Fox Hill en juin 2020, quelques mois après le début de la pandémie, alors que plusieurs restrictions sont suspendues.
Si elle dispose d’un téléphone intelligent pour répondre aux besoins de ses études à l’étranger, elle s’attend à devoir le rendre à la communauté à son retour, comme c’est l’usage. « Je suis revenue en me disant qu’on pourra enfin faire des feux de camp, de la danse traditionnelle et toutes ces autres activités à nouveau. »
En Amérique du Sud, Coretta a fait l’expérience de la vie connectée. Elle l’a apprivoisée. Sans en rejeter tous les aspects, elle espère retrouver la vie incarnée de sa communauté. « J’avais hâte », m’explique-t-elle. « Pour plusieurs ici, c’était plutôt : “Super! Viens à mon bureau et on regardera un film.” Mais je ne voulais pas regarder de films, je voulais aller dehors, dans la nature. »
« Quand les gens se sont mis à avoir des téléphones, soudainement, ils étaient connectés. »
L’enthousiasme de ses frères et sœurs pour cette nouvelle réalité choque Coretta, qui remarque un manque d’étiquette numérique chez eux également, tout en reconnaissant avoir fait elle-même cette expérience lorsqu’elle a eu son premier téléphone.
En 2021, Coretta visite l’un des pasteurs de la communauté, découragée de la situation, spécialement déçue de constater que son activité favorite, la danse traditionnelle, semble presque entièrement disparue des usages. La rencontre l’encourage. La situation s’améliore progressivement dans la communauté, qui prend collectivement conscience des dangers de cette nouvelle addition à la vie commune pour la vie de chacun individuellement.
Coretta en est venue à accepter qu’elle doive, en quelque sorte, faire le deuil de certains de ses attachements : à la danse et au chant traditionnels allemands, notamment, et aussi à une certaine culture dans laquelle elle a grandi.
« Je dois être capable de choisir le plus grand bien, c’est-à-dire suivre Jésus avec mes frères et sœurs, et de voir là où Dieu nous conduit. Cela ne se fait pas sans larmes. Quel choix significatif dans la vie se fait sans larmes ? »
Coretta explique qu’elle doit éviter de faire de la danse «une idole» et de dire que « nous perdons l’essentiel si nous ne dansons plus ». Elle poursuit : « Je pourrais citer saint Augustin, qui loue la danse, et spiritualiser la chose, en faire ma croisade personnelle. Mais ce serait si désagréable de ma part ! Ce serait tellement à côté de la plaque ! »
« Cela me séparerait de mes frères et sœurs », ajoute-t-elle, sereine.
Claudia : « Une partie de notre humanité est cet état de blessure »
L’éducation dispensée dans la communauté, basée sur le travail et le service, semble porter du fruit jusque dans l’âge adulte. Au Bruderhof, malgré tout, on se divertit d’abord de manière communautaire et concrète, en utilisant ses mains. Mécanique, menuiserie, peinture, musique, apiculture, aménagement paysager : les membres de la communauté exploitent leur temps libre pour créer des espaces et participer à la vie commune.
Œuvrant à la conceptualisation des produits fabriqués à l’usine, Jason aime son métier. Dans ses temps libres, il se consacre depuis un moment déjà à l’aménagement d’une parcelle de terrain. Il en a fait le Coffee Bus, un espace de détente dans un bus scolaire aménagé en café, avec une terrasse.
Accompagnés de sa femme Maureen, éditrice chez Plough, nous y passons une partie de la soirée. Avec nous se trouve également Claudia, qui s’est récemment engagée dans le Bruderhof. Elle est en visite: sa communauté est celle de Bellevale, pas trop loin. Étudiante en comptabilité à l’Université catholique d’Amérique, elle a perdu sa mère il y a quelque temps seulement. À son doigt, la bague qui marque son attachement définitif à la communauté. Elle était portée par sa mère jusqu’à il y a peu.
En raison de la formation de Claudia, à l’instar de plusieurs parmi les plus jeunes, l’Église catholique et sa tradition intellectuelle lui sont familières. Platon, Aristote, saint Augustin, saint Thomas : tout ça lui est familier. Nos discussions en sont teintées. Pour elle, les changements survenus dans la communauté depuis 2020 sont essentiellement positifs.
Claudia soutient que le fait d’avoir à sa disposition un téléphone intelligent est une occasion de croitre dans les vertus, de progresser authentiquement, et ce, mieux qu’en observant une règle purement extérieure. Apprendre à en faire un usage intentionnel : voilà ce qui est important.
« Qu’advient-il alors de ceux pour qui c’est plus difficile ? Ceux qui n’ont pas les mêmes forces, les mêmes dispositions à la pratique des vertus, par exemple ? Ne sont-ils pas laissés pour compte lorsque le téléphone intelligent devient omniprésent, du jour au lendemain ? »
Claudia met du temps à répondre. Elle pèse ses mots. Parle d’une voix craquelante.
« Cette idée suivant laquelle certains sont plus forts, plus vertueux… Je ne crois pas que ce soit fidèle à la personne humaine, à l’expérience d’être humain. Je pense qu’une partie de notre humanité est cet état de blessure. Une partie de la vie en communauté est la capacité à se montrer vulnérable à cet égard, ensemble. À comprendre que nous ne sommes pas Aristote et ses Grecs. Nous ne construisons pas notre chemin de marbre vers le Ciel. Nous sommes ici-bas dans les tranchées, dans la boue et le sang. Mais heureusement, nous avons ce Dieu extraordinaire qui nous ressaisit et nous conduit vers le Ciel, selon ses propres termes, car nous ne pouvons y arriver nous-mêmes. »
La discussion, passionnante, tire à sa fin. Nous sommes invités à finir la soirée autour d’un feu avec Chris, notre contact avec la communauté, cigares et vin rouge à la main. Une offre qu’on ne refuse pas. Au bord du chemin, dans les champs, d’abondantes lucioles décorent la nuit qui tombe.
*
Pour Phil, toujours philosophe, l’état de la communauté se reconnait à l’ordre qui règne dans la remise à outils. Quand les relations entre frères et sœurs sont bonnes, que la communion est palpable, la remise est propre, bien rangée. Quand la communauté connait des épreuves, des tensions, des misères, un laisser-aller s’installe.
« Et puis?
— Pas si mal. »
Illustrations : Louis Roy