Photo : Francis Dufour

Le Cabaret de la seconde chance : la transfiguration des ex-détenus

Après un temps de détention, ils tentent leur vie à nouveau. Ils doivent l’assumer dans la marge, accepter d’avoir été retenus à l’écart, pour donner le temps à « l’irréparable » de se réparer. Ils montent sur scène, peut-être en tremblant ou en affrontant leurs démons. Des proches, des policiers, des agents correctionnels, des intervenants et des sympathisants à la cause sont venus les regarder performer aux côtés d’artistes connus. Le Cabaret de la seconde chance n’est pas qu’un bon spectacle : il est la scène où se dévoilent des rédemptions, rendues possibles par l’accueil de la vulnérabilité des ex-détenus participants.

Dans les coulisses avant l’évènement, il y a le chanteur Gab Paquet, les membres du groupe Alfa Rococo et aussi des gars avec de gros tatous. On fait des blagues, on s’amuse, mais il y a plus. Une rare mise à nu se prépare. En échangeant avec plusieurs acteurs du spectacle, je découvre des parcours compliqués, des erreurs qu’on aurait voulu éviter, toutes les difficultés qu’on a à écrire droit avec des lignes courbes. Beaucoup de lumière et de vérité sur des zones d’ombres, un peu comme les jeux d’éclairage sur la scène.                                                 

Organisée par l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ), la 10e édition du spectacle a eu lieu en octobre dernier sous le thème « les proches des personnes judiciarisées ». Au-delà du crime commis, les détenus sont avant tout des fils, des filles, des frères, des sœurs, des pères ou des mères. Souvent invisibilisés, ces proches partagent leur souffrance, par ricochet. Quand des membres de la famille arrivent à demeurer fidèles à travers les écueils du processus de judiciarisation, ils font toute la différence.

Je me suis présentée au Cabaret de la seconde chance avec cette question : comment un regard miséricordieux peut-il transfigurer une personne judiciarisée ? Et à l’inverse, est-ce qu’un regard dépréciatif, un jugement, la condamne de nouveau ?

Défiguration

Gérald Max Jr Désilus est poète et slameur. Par la prose, il se laisse « inspirer par le Verbe divin ». C’est son exutoire pendant sa détention. En plus d’être vidéaste et producteur indépendant, il offre des ateliers de slam dans les prisons pour sensibiliser aux enjeux liés au processus de réinsertion sociale qu’il connait bien.

Peu après sa sortie de prison, il perd son travail quand son employeur a la visite surprise de son agent correctionnel. Il doit aussi régulièrement composer avec les différentes réactions de son entourage. On lui rappelle son passé dès que son attitude n’est pas impeccable.

« Pourquoi, comme société, on veut juste construire des CHSLD et des prisons, cacher ce qu’on ne veut plus voir ? Ce n’est pas en mettant plus de caméras et de clôtures qu’on va fabriquer un monde meilleur. » – Lawrence Côté-Collins

« Dans ta réinsertion, tu as beau accumuler les spectacles, avoir un papier pour dire que tu es bon, mais, chaque fois, on te le rappelle : “Ouais, mais en telle année, il a fait ça.” Si tu avais de la fierté avant d’entrer, tu as tout perdu. Tu te retrouves à être celui qui est le plus bas. Beaucoup ne peuvent pas vivre avec ça », confie le slameur.

« C’est difficile de faire la promotion du Cabaret parce que la réhabilitation sociale, ce n’est pas vendeur, témoigne Daniel Benson, animateur de l’évènement, qui est lui-même un ex-détenu et travaille en intervention psychosociale depuis maintenant 25 ans. Comme société, on est souvent plus dans la punition. La seule chose qu’on entend par rapport aux personnes judiciarisées, c’est quand il y en a un qui récidive. Les milliers de personnes qui réussissent à prendre leur place, on n’en entend pas parler. Mais il y a plein de personnes aussi qui croient qu’une seconde chance, c’est possible. Parfois, ça peut être la troisième, la cinquième, mais, à un moment donné, c’est la bonne. »

La prison a des raisons

Cédric Bergeron, humoriste, a lancé le balado Au parloir, déjà parmi les plus écoutés au Canada. Pourquoi interviewer des ex-détenus ? Comme il participe au Cabaret de la seconde chance, la question se pose : lui-même l’a-t-il été ? « J’aime dire à la blague que je suis extrêmement chanceux, je cours vite ! », m’avoue-t-il.

Au départ, il voulait produire tout au plus une dizaine d’épisodes pour se donner une visibilité comme humoriste de la relève. Mais, après les nombreux témoignages reçus, il a continué. Il dépasse aujourd’hui le cap des 100 épisodes. « J’ai commencé à recevoir des messages de gens qui me disaient que mon podcast les avait sauvés. Ça a donné à certains la force de sortir de la consommation, d’autres, de comprendre qui était leur père qu’ils n’ont pas connu. Moi-même, j’étais quelqu’un qui jugeait rapidement. Mais je me dis que, si j’avais vécu le tiers de tout leur vécu, je n’aurais jamais été capable de gérer ça », admet Cédric.

Keven, un ex-détenu, se prépare à présenter au public deux de ses compositions. Il a l’air fier. Il me témoigne du long parcours qui l’a conduit ici aujourd’hui. « T’es pas obligé d’être en prison toute ta vie. Mon garçon va avoir 11 ans, j’ai des parents qui vieillissent. Mais le processus pour changer n’est pas facile, tu dois changer tes habitudes de vie. Quand j’étais jeune, j’ai vécu des abus venant de ma famille, mes parents ne le savaient pas. Ajoute ça au fait que tu n’en parles pas. Tu penses que tout est normal. Tu fais un premier shift de prison de neuf mois. Je me prenais pour un bad boy, j’entrais et je sortais. Mais quand le juge m’a condamné pour cinq ans, j’ai trouvé que c’était long. »

Perdre la raison en prison

Le numéro de Lawrence Côté-Collins, autrice et réalisatrice du film Billy, touche au cœur. Tenant un vieux combiné téléphonique, seule sur scène, on l’entend en plein dialogue avec Billy, incarcéré depuis 2015 et reconnu coupable de deux homicides. On la voit tenter de désamorcer une de ses crises de schizophrénie.

Cette histoire a commencé alors qu’en prison, isolé, il tente de contacter Lawrence, une ancienne collègue de cinéma. Elle avait rompu les liens avec lui après qu’il l’ait agressée un soir dans une ruelle à la suite d’une soirée Kino bien arrosée. Déjà habituée à l’univers carcéral, où elle participe à des cercles de rétablissement depuis quelques années, elle accepte de lui parler une première fois… pour comprendre. Depuis 2017, elle l’accompagne. Vivre la compassion, l’empathie en action, comme elle me dit, ça l’aide, elle aussi. Et grâce à elle, Billy a pu reconnaitre les crimes qu’il niait tout comme l’existence de sa maladie, diagnostiquée seulement une fois en prison.

Après avoir épluché l’univers de la prison et de la schizophrénie de Billy, elle me livre ses constats. « La prison, c’est punitif. Les employés ne sont pas formés pour la santé mentale. Quand quelqu’un se désorganise, on l’enferme. Une cellule, c’est 6′ par 10′, avec un petit lit par terre en métal et un bol de toilette. Au provincial, ils sont deux à quatre par cellule. Tu es humilié, tu fais caca devant les autres. De gros criminels de la rue sont parfois mélangés à des schizophrènes en attente de procès. Billy a passé 28 mois au provincial durant la période de procès et 32 séjours au trou quand il faisait des psychoses. Il n’avait pas de médication, dans ce temps-là, ils faisaient des lésions cérébrales.

« Billy, c’est comme un genre de véhicule qui adresse plusieurs problèmes en même temps, plusieurs tabous. L’accompagner, ça touche l’absence de soins, ça touche la maladie la plus invalidante et la plus cachée, qui touche 1 % de la population mondiale en plus. Les prisons, ce sont des dépotoirs humains. C’est le monde qu’on n’a pas aidé, c’est le bout de la chaine. »

Soutien indéfectible

« Sans mes parents, je ne serais plus là, je n’aurais pas passé au travers », affirme Keven en souriant à ses parents, lui qui a songé à s’enlever la vie à de nombreuses reprises, alors qu’il était en centre d’accueil, dans la rue, puis en détention.

Sa mère me témoigne combien l’univers carcéral est un milieu hostile pour l’entourage : les fouilles, les regards méprisants des gardiens, l’absence de nouvelles, l’impossibilité de téléphoner aux détenus ou les couts exorbitants lorsqu’ils peuvent appeler, la prison qui n’admet pas de visiteurs le jour où l’on se présente, etc. « Quand on dit qu’une mère donnerait sa vie, bien c’est ça. Toutes les fois qu’on pouvait aller le voir en prison, on y allait. »

« Billy est intelligent, témoigne Lawrence. Il est juste tellement handicapé par sa schizophrénie et sa médication lourde. C’est sa sœur qui va en prendre soin à sa sortie. Il y a des gens qui, toute leur vie, vont avoir besoin de soins. On a besoin de créer une société où l’on s’entraide pour vrai. Pour les gens trop malades, l’incarcération, ce n’est pas la solution. Pourquoi, comme société, on veut juste construire des CHSLD et des prisons, cacher ce qu’on ne veut plus voir ? Ce n’est pas en mettant plus de caméras et de clôtures qu’on va fabriquer un monde meilleur. »

*

« J’ai le souhait profond que la réhabilitation sociale devienne l’affaire de tous et je crois sincèrement que derrière chaque délit se cache un être humain qui a besoin d’amour et qui en a à offrir », témoigne Élisabeth Bourgault, la metteuse en scène du spectacle.

Demain, il fera beau, chantent en chœur tous les artistes du Cabaret — proches, ex-détenus et intervenants — pour clore le spectacle. Réunis autour d’un Alléluia magistral d’Étienne Copé, ils créent une scène emblématique. Sans ces regards empreints de bienveillance qui l’ont soutenu à divers moments de son parcours, l’ex-détenu pourrait retomber dans la criminalité et revenir entre les murs. Sa réinsertion rappelle qu’on ne se sauve jamais seul, que ça prend un gros village.

Sarah-Christine Bourihane

Sarah-Christine Bourihane figure parmi les plus anciennes collaboratrices du Verbe médias ! Elle est formée en théologie, en philosophie et en journalisme. En 2024, elle remporte le prix international Père-Jacques-Hamel pour son travail en faveur de la paix et du dialogue.