Oeuvre: Gabriel Lapointe
Oeuvre: Gabriel Lapointe

La spiritualité éclatée

Il est bien fini, le temps où les questions existentielles de nos ancêtres québécois, immanquablement, trouvaient réponse dans le Petit catéchisme. Aujourd’hui, les chercheurs de sens ont le choix. Beaucoup de choix! Trop?

Devant cette offre qui souvent dépasse la demande, l’Église catholique n’est plus qu’un des multiples pourvoyeurs de sens. Cette réalité a changé radicalement la relation qu’elle entretenait avec les Québécois. Ces derniers, même s’ils se définissent majoritairement comme catholiques (59 %), ont délaissé en masse la pratique régulière. Ainsi, ils ne sont que 7 % à assister à l’eucharistie une fois par semaine. On calcule que 11 % disent toujours se laisser guider par les enseignements de l’Église.

Salon de l’ésotérisme

Ces statistiques démontrent très bien que les catholiques romains québécois se sentent totalement libres de choisir ce qui leur plaît dans le corpus doctrinal de l’Église et de rejeter tout le reste. C’est ce que les sociologues de la religion nomment «la religion à la carte». Perçue non plus comme un tout englobant l’ensemble des aspects de la vie, la foi est devenue pour un grand nombre un menu de restaurant, un vaste buffet où se côtoient mets exotiques et traditionnels. La spiritualité est devenue un bien de consommation comme un autre.

Le plus bel exemple en est sans doute la prolifération des foires annuelles vantant les mérites de l’ésotérisme et de l’occultisme. Bon an mal an, elles attirent des milliers de visiteurs à la recherche d’expériences spirituelles hors normes. C’est ainsi que nous retrouvons le Salon Santé Spiritualité de Drummondville, le Salon Entre deux mondes, le Salon Harmonie de Trois-Rivières et d’autres encore. Livres, cristaux, cartes du ciel, boules de cristal, machine à photographier l’aura, initiés, cartomanciennes, pseudo-thérapeutes s’offrent, le temps de quelques jours, aux chercheurs de vérités instantanées.

Outre ces nouveaux temples éphémères, les Québécois peuvent compter sur les librairies traditionnelles ou spécialisées pour leur ouvrir de nouveaux horizons. Bien que l’industrie du livre vive des moments difficiles, les éditeurs d’ouvrages sur l’ésotérisme, l’occultisme, les pseudo-thérapies, les voyages astraux ou les anges cosmiques ont encore la cote.

En 2013, une étude longitudinale réalisée par Serge Larivée, professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, a démontré que la place occupée par ces livres sur les rayons était demeurée sensiblement la même entre 2001 et 2011. Nous pouvons donc présumer qu’ils sont très populaires auprès d’un lectorat fidèle.

Photo: Wikimedia commons
Photo: Wikimedi commons

 

La pensée positive

Bien plus, les éditeurs spécialisés dans ce genre de littérature se sentent assez en confiance pour développer de nouveaux créneaux. C’est ainsi que des maisons d’édition offrent maintenant des livres ésotériques destinés aux enfants de 3 à 5 ans. Un de ces livres initie le très jeune lecteur aux «formes-pensées». Selon le site Internet Énergie-Santé, «une forme-pensée est la concrétisation d’une pensée émise, que l’on transmet ou dispose dans un emplacement spatio-temporel spécifique à sa “personnalité”».

Il ne semble donc plus y avoir de limite au développement de ce marché particulier. Et les best-sellers sont nombreux. Qui ne se souvient pas du livre de Rhonda Byrne intitulé Le secret (The Secret) et traduit en 50 langues. Plus de 24 millions d’exemplaires ont été vendus de par le monde.

Voici comment l’éditeur le présentait: «Le secret renferme la sagesse des maîtres des temps modernes, des hommes et des femmes qui l’ont utilisée pour s’assurer la santé, la prospérité et le bonheur. En mettant en pratique cette connaissance du Secret, ils ont accompli des choses extraordinaires: ils ont supprimé la maladie, acquis d’immenses fortunes, surmonté des obstacles et réalisé l’impossible.»

Un des maîtres évoqués par l’auteur est nul autre que Jésus, qui devient, sous la plume de Rhonda Byrne, un professeur de prospérité millionnaire!

Chemin de Compostelle 2.0

Si les librairies attirent leur lot de clients en quête de vérités et de spiritualité, le «lieu» par excellence où retrouver ces pèlerins sans attaches est sans nul doute Internet. Sa popularité est telle que nous pouvons légitimement nous demander s’il n’est pas devenu le pendant virtuel du Chemin de Compostelle.
À première vue, nous pourrions affirmer que cette comparaison est loufoque. Cependant, lorsque nous prenons le temps d’y réfléchir, nous constatons que cette analogie tient la route. Tous deux, en effet, attirent des hommes et des femmes en quête de réponses. Qu’ils soient croyants, chrétiens ou non, agnostiques, non-croyants ou croyants sans attaches religieuses, tous s’y retrouvent et cheminent à leur rythme.

Sur Internet et sur le Chemin de Compostelle, on retrouve ceux qui cherchent des réponses à leurs questions existentielles, ceux qui désirent rencontrer Dieu, ceux qui veulent se dépasser, ceux qui espèrent se retrouver, et tous les autres qui sont là parce que… voilà tout! Pour certains, la religion est importante, tandis que pour d’autres, c’est la spiritualité qui l’emporte sur tout le reste. Et ne l’oublions pas, ces deux routes comportent leur part de dangers. Les pèlerins peuvent s’y perdre corps et âme!

En somme, Internet et le Chemin de Compostelle reflètent bien l’état fragmenté de la religion et de la spiritualité dans notre société postmoderne.

Internet et la dictature du relativisme

Internet est un véritable gouffre d’une profondeur abyssale. En matière de spiritualité et de religion, nous y retrouvons le meilleur et le pire.

En quelques clics, l’adorateur de Satan peut y retrouver toutes les incantations dont il a besoin pour lui vouer un culte. En une fraction de seconde, le chrétien, lui, peut recevoir l’aide et les conseils spirituels d’un prêtre dont le diocèse est situé à des milliers de kilomètres de distance. On peut y retrouver quasi instantanément la Bible, le Coran et le Livre des morts, sans oublier les millions de pages dont l’ultime but est de s’attaquer au fondement même de la foi chrétienne.

Internet est devenu un véritable labyrinthe duquel il devient de plus en plus difficile de s’extirper.
Tous ceux qui s’aventurent dans ce monde virtuel sont très vite aux prises avec un afflux d’informations contradictoires. Que croire? Qui croire? Comment juger de la justesse de certaines affirmations? Qui peut extraire la vérité de ce magma de renseignements et d’opinions aussi diversifiés? Mais encore, quelle vérité demanderont ces nouveaux pèlerins virtuels? C’est à la vitesse de la lumière que s’est imposée comme allant de soi la dictature du relativisme.

Devant cette démission de la pensée critique, le cardinal Ratzinger, quelques jours avant de devenir pape, a souligné que l’Église a été, au cours des dernières décennies, fortement ballottée par des «vents de doctrines», par des «courants idéologiques» et par «des modes de la pensée». Le futur pontife avait aussi fait remarquer la naissance quotidienne de nouvelles sectes.

L’évangélisation du continent numérique

Loin d’abandonner les chercheurs de vérité qui «surfent» sur la voie virtuelle de la sainteté, l’Église multiplie ses présences dans cet univers «pixélisé». C’est ainsi que le message du pape Benoît XVI pour la 44e Journée mondiale des communications sociales demandait aux prêtres, mais également aux chrétiens, d’évangéliser ce nouveau continent «afin de montrer aux hommes de notre temps et à l’humanité égarée d’aujourd’hui “que Dieu est proche; que dans le Christ, nous appartenons tous les uns aux autres”».

À la suite de cet appel, de nombreuses initiatives ont vu le jour comme autant de phares guidant les chercheurs vers les rivages de la vérité. Comme plusieurs autres communautés, l’Ordre des Carmes a ouvert plusieurs sites.

Pour eux, leur présence sur Internet est en continuité directe avec la mission qui a toujours été la leur, comme l’explique le frère Jean-Alexandre, du couvent des Carmes de Paris. «Nous avons la mission d’accompagner nos contemporains sur les chemins escarpés de l’intériorité en leur donnant des repères, des mots à mettre sur leur vécu et des clés de discernement pour bien interpréter leur expérience spirituelle. Nous avons des trésors dans nos bibliothèques: il faut les rendre accessibles sur le continent numérique où vivent tant de gens!»

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Les catholiques sont appelés à sortir des sentiers arpentés depuis des millénaires afin de trouver de nouvelles manières de transmettre l’amour du Christ qui est le seul véritable chemin conduisant à la vérité. La nouvelle mission s’annonce ardue, mais ô combien passionnante et sanctifiante! ◊

Yves Casgrain

Yves est un missionnaire dans l’âme, spécialiste de renom des sectes et de leurs effets. Journaliste depuis plus de vingt-cinq ans, il aime entrer en dialogue avec les athées, les indifférents et ceux qui adhèrent à une foi différente de la sienne.