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Illustration : Marie-Pier LaRose.

La dime : pour que les bottines suivent les babines

La dime est-elle morte de sa belle mort ? Depuis son abolition en France, dans la foulée de la révolution de 1789, s’est-elle éteinte dans la conscience des chrétiens devenus « modernes » ? Donner 10 % de son revenu est-il dépassé ? Irréaliste ? Et si se dépouiller d’une partie de son avoir permettait une chose très simple : laisser Dieu être Dieu dans sa vie ?

Dans l’Ancien Testament, on payait la dime pour l’entretien du temple, des prêtres, ou on donnait les premiers fruits de la récolte, en guise de reconnaissance à Dieu. Dans les évangiles, Jésus ne remet pas en question la dime ni le denier du temple, mais il critique ceux qui paient pour être dans les règles, sans le moindre amour pour Dieu (Lc 11,42). Il admire la veuve qui donne de son nécessaire, alors qu’ordinairement, on donne de son superflu (Lc 21,1-4).

Mais à quoi sert la dime ? D’abord, à l’évangélisation, tel que l’affirme le concile Vatican II, et donc à combler les besoins de ceux et celles qui s’y consacrent. Ensuite, aux pauvres, aux malades et aux souffrants.

On juge peut-être que donner 10 % est trop élevé ? Pourtant, encore aujourd’hui, des catholiques en viennent à participer à la dime, par amour pour Dieu et par amour du prochain.

Comme les premiers chrétiens

Christine et Philippe participent à la dime depuis peu. « J’ai toujours voulu vivre à la manière des premiers chrétiens, raconte Christine. Dans les Actes des apôtres, c’est clair : “Tous les croyants vivaient ensemble et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun” » (Ac 2,44-45).

« À notre paroisse, nous n’étions pas nourris spirituellement. Il n’y avait pas non plus de vie fraternelle ni de vie de prière. Enthousiasmés par la lecture de Rebuilt1 et de Rénovation divine, nous avons proposé [la pratique de la dime] à l’équipe pastorale, mais nous avons essuyé un refus. »

Pourtant, comme on le découvre dans l’enseignement de l’Église, le spirituel l’emporte sur le matériel lorsqu’il est question des moyens d’évangélisation et de soutien de l’œuvre de Dieu. Et comme les apôtres s’en étaient aperçus, même dans le service aux pauvres, la Parole de Dieu doit venir en premier (Ac 6,2). Car comment nourrir les pauvres si l’ouvrier lui-même meurt de faim ? C’est le soutien de toute la communauté qui permet d’œuvrer pour le Royaume de Dieu.

Cet article est d’abord paru dans notre numéro spécial de mars 2022. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.

Le couple donnait à la quête chaque dimanche pour « payer les factures et les rénovations » du bâtiment, alors que l’évangélisation, elle, semblait absente. Il n’y avait pas, non plus, de place pour les familles, ce qui, avec sept enfants, représentait un réel problème.

« On a commencé à “magasiner une paroisse”, et la Providence nous a fait tomber sur une communauté nouvelle qui répondait à nos désirs les plus profonds », ajoute Philippe.

Après quelques années de cheminement, l’idée de participer à la dime est venue naturellement. Parler de « partage » pendant le carême ou encore aider les pauvres lors d’une collecte spéciale n’était pas suffisant. « Est-ce que c’était juste un beau discours ? De belles valeurs ? Nous nous sommes sentis interpelés intimement à passer de la parole aux actes, tout simplement », conclut Philippe avec un large sourire.

Dernièrement, Philippe nous a recontactés pour nous informer que son salaire venait d’être augmenté de 6 %, et une partie rétroactivement. « Nous avons fait confiance à Dieu, et voilà comment il nous remercie ! », s’est-il exclamé au téléphone, émerveillé.

Vivre de Providence

Pour Marie-Noël et René, participer à la dime est devenu, avec le temps, tout à fait normal.

« Je me souviens de la première fois qu’on a donné 10 % de notre salaire à la communauté », raconte Marie-Noël, une belle femme pimpante de 80 ans qui, avec son mari, est engagée dans une communauté nouvelle depuis près de 20 ans.

« Ça donnait 7 000 $ ! J’ai dit à René qu’on pourrait se payer un beau voyage avec ça ! Ça m’a tiraillée intérieurement, et puis j’ai abandonné ça à la Providence. Avec les années, ce que je trouve le plus beau, c’est que notre contribution sert à l’élaboration de différentes missions. Et quand on change de voiture, on la donne à la communauté au lieu de la vendre. Comme tous les membres de la communauté, nous prenons part à l’œuvre de Dieu. »

Mettre tout en commun permet à chacun des membres de compter sur les autres. Un membre tombe malade ? Il peut compter sur le soutien financier de la communauté, une rentrée de denrées alimentaires ou de l’aide à domicile concrète.

Pour René, homme pragmatique, contribuer à la dime est une seconde nature. « J’ai souvent été responsable de collectes de fonds à mon travail ou marguiller en paroisse. Ça m’a toujours rendu paisible de donner. Comme une sécurité. Je mets ça à la banque. Le Seigneur s’occupe de nous. »

Avec ses cinq enfants, ses onze petits-enfants et ses trois arrière-petits-enfants, le couple est toujours étonné de voir qu’il ne manque de rien. « Pour nous, la dime nous permet de constater, de nos yeux, Dieu en action. Dieu-Providence. Et puis… On a même beaucoup voyagé ! » lance Marie-Noël en riant.

Conversion financière

Faut-il être membre d’une communauté nouvelle pour participer à une « vraie » dime ? Bien sûr que non. Mais il faut l’admettre, en paroisse, participer à hauteur de 10 % de son revenu est rare.

Or, participer à la dime, selon l’écrivain Jean Pliya2, donnerait à Dieu l’occasion de se manifester dans notre vie. Ne pas se dépouiller de ce 10 % reviendrait à se priver de centaines de preuves de sa présence et de sa fidélité. C’est ce qu’Inès et Aurel ont vécu.

En 2016, le couple décide d’acheter une maison, mais se retrouve propriétaire de deux duplex et emménage en février 2017.

En bonne comptable agréée, Inès avait tout planifié : plans de construction, investissements, baux des locataires, etc. « Oh oui ! s’exclame Aurel en taquinant sa douce du coude, tout était calculé ! Comme dans un beau fichier Excel ! »

Mais les imprévus surviennent : Aurel n’obtient pas l’emploi promis, leur remboursement d’impôts traine, les cartes de crédit débordent. « C’était le désastre ! lance Inès. Nous n’avions qu’un seul salaire ! »

Pour garder courage, ils prient ardemment et consacrent plus de temps à discerner la volonté de Dieu. Un jour, un appel se fait sentir. « Il nous est venu dans le cœur qu’il fallait que nous donnions notre dime… Nous nous sommes regardés, abasourdis : nous n’étions même pas capables de payer nos dépenses ! » raconte Inès en flattant les cheveux du petit Yoan, deux ans, endormi sur ses genoux.

Cette idée saugrenue les taraude pourtant tout l’été, et à la fin d’aout, ils appellent la paroisse. « Nous avons demandé à payer par prélèvements bancaires – nous voulions être certains de ne pas changer d’idée ! » ajoute Aurel en riant.

Le 25 aout, ils envoient leurs informations bancaires… en priant ! « Dieu, nous te faisons confiance. Si nous t’apportons le premier fruit, nous croyons que ça va aller mieux parce que c’est toi maintenant qui vas gérer ! » Trois jours plus tard, une lettre de Revenu Canada arrive et confirme que le montant de 15 000 $ retenu depuis 18 mois allait être déposé dans leur compte… Dieu répondait au quart de tour !

« Pour nous remettre sur pied, ça prenait plus que ça, avoue Aurel. Nous étions endettés jusqu’au cou, et je n’avais toujours pas de boulot. »

En décembre 2018, Inès craque : « Aurel m’a écoutée pendant deux heures. Ça ne marchait pas ! Nous ne pourrions jamais fonder une famille ! Je voulais tout vendre ! »

Malgré le fait que tous les spécialistes bancaires rencontrés prédisaient une faillite imminente, Aurel demande à Inès une année de patience, de confiance et de prière et promet que, si la situation ne s’améliore pas, alors ils quitteraient tout. « Je voulais prier tous les jours pour que Dieu nous donne la vision pour notre famille ; j’étais certain que c’était la volonté de Dieu. Il voulait purifier quelque chose en nous – notre rapport à l’argent… Ne disait-il pas de ne pas s’inquiéter du lendemain ? »

« On aurait dit que Dieu nous faisait rencontrer les bonnes personnes, nous donnait des idées, nous inspirait pour trouver des moyens de diminuer nos dettes. Des trucs concrets. Nous avions des lumières. Nous avons vraiment senti qu’il s’établissait une alliance très serrée entre Dieu et nous. »

Pendant cette année-là, les tentations n’ont pas manqué. Des amis suggéraient de prendre l’argent de la dime pour payer les dettes ; d’autres qu’ils devraient faire faillite. Le doute s’installait. Faisaient-ils fausse route ? Vivaient-ils sur une autre planète avec cette histoire de dime ? « C’était un combat pour demeurer dans la prière et la confiance en Dieu », avoue Aurel.

Puis, tranquillement, tout s’est mis en place. Aurel a trouvé un emploi, mais quelque chose se passait aussi dans l’invisible. « On aurait dit que Dieu nous faisait rencontrer les bonnes personnes, nous donnait des idées, nous inspirait pour trouver des moyens de diminuer nos dettes. Des trucs concrets. Nous avions des lumières. Nous avons vraiment senti qu’il s’établissait une alliance très serrée entre Dieu et nous. »

L’argent, admet Aurel, était le domaine de leur vie le plus instable. « Le fait d’avoir commencé à donner notre dime a permis à Dieu de mettre sa main sur nous. Finalement, ce n’est pas une question de dime, c’est une question de mettre Dieu en premier, dans tout ce qu’on entreprend. Dieu voit grand. Nous, petit. Si nous ne rêvons pas comme lui, nous manquons bien des bénédictions. »

La meilleure des bénédictions ? C’est une foi renouvelée. « Il n’y a personne qui va me faire croire que 90 % béni par Dieu, ce n’est pas mieux que 100 % dans mes mains. On nous demande comment nous avons traversé tout ça : nous répondons que c’est Dieu qui a tout fait ! »

On peut le voir pour le croire. Le partage, le souci des pauvres, la simplicité de vie, comme toutes les grandes idées fondamentalement chrétiennes, gagnent à être vérifiés dans le concret de la vie. Aux grands mots, les gestes concrets.

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Illustration : Marie-Pier LaRose.

Illustration de couverture : Marie-Pier LaRose.

Brigitte Bédard

D’abord journaliste indépendante au tournant du siècle, Brigitte met maintenant son amour de l’écriture et des rencontres au service de la mission du Verbe médias. Après J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée (2019, Artège), elle a fait paraitre Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit saint m’a emportée (Artège) en 2022.