Photo: Pixabay (CC)
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La crédulité n’est pas la foi [Journal d’Égypte #2]

En mission au Caire depuis près d’un an, j’ai ressenti – tout comme la majeure partie de la population – les conséquences de l’effondrement de la monnaie locale.

Je suis aussi le témoin impuissant des violences qui déferlent, particulièrement contre la minorité copte. Les évènements de cette semaine ravivent la terreur déjà bien installée dans cette communauté chrétienne.

Au milieu de ce chaos, une créature malveillante veille dans les recoins sombres des malaises existentiels, se nourrissant du désespoir mêlé à l’injustice et crachant sa hargne sur les âmes crédules.

Cette année a été particulièrement sanglante pour l’Église copte, quatre attentats majeurs en l’espace de quelques mois, il y a de quoi sonner l’alarme.

À la lumière de ce qui a été dit plus haut, nous pouvons comprendre que les circonstances n’aident pas à la répression du terrorisme islamiste. À leur corps défendant, la majorité des habitants du Moyen-Orient ne sont pas des adeptes de la remise en question, ce sont des peuples profondément ancrés dans leurs traditions et leurs coutumes et, comme on dit en grammaire arabe, lorsqu’une règle ne satisfait pas un étudiant trop scrupuleux de trouver la cause : « C’est comme ça parce que les Arabes en ont décidé ainsi. ».

La lame à deux tranchants

Il y a dans cette fidélité quelque chose de louable et de noble, une leçon qui pourrait faire du bien à nous occidentaux, mais il y a aussi un certain danger, qui est celui de vivre sur de vieilles planches, et de nier que le solage est en train de s’écrouler sous nos pieds. Ceci est patent en ce qui concerne un certain courant extrémiste de l’Islam, où l’on inculque n’importes quelles vérités comme révélées et hors d’atteintes à des gens qui n’ont d’autre choix que de boire à la coupe des profiteurs, de ceux qui profanent le Saint Nom de Dieu pour mieux se l’approprier.

Si on met tant de choses dans la bouche de Mahomet, un peu de ventriloquie avec les textes, des interprétations (tafsir) archaïques et des sentences de jurisprudence (fiqh) douteuses, c’est souvent pour défendre des intérêts contraires à la religion même.

Quand l’éducation n’aide pas à développer le discernement, il devient dès lors plus facile d’abuser de la foi et de la piété des gens…

Quand l’éducation n’aide pas à développer le discernement, que le quart de la population est analphabète et qu’enfin la situation économique se dégrade sensiblement, il devient dès lors plus facile d’abuser de la foi et de la piété des gens en leur offrant une chance de se ménager une sortie et un billet première classe pour la Grande Gogaille. Ceux-ci gagnent au change, en plus de se sacrifier pour la « vraie foi », ils débarrassent le monde des mécréants (koufar) qui l’empoisonnent.

Fruit d’une dialectique rudimentaire qui convertit les frustrations des désespérés en acte de bravoure et de sainte chevalerie. Aide Dieu et le Ciel t’aidera!

Facture salée

La facture, ce sont les chrétiens qui la règlent, notamment les Coptes. Les églises ensanglantées, les familles endeuillées, la foi ébranlée jusqu’aux fondations; c’est tout le pays qui est sous le choc, mais la balance penche toujours du même bord. Tellement que les jeunes coptes sont exaspérés, en colère contre le gouvernement qui ne les protège pas assez et contre leur hiérarchie ecclésiale qui semble être trop à la botte de celui-là…

En signe de protestation et pour manifester leur souffrance, les deux patriarches coptes, le catholique et l’orthodoxe, ont annulé certaines célébrations pascales et ont refusé de procéder au traditionnel échange de vœux avec les membres du gouvernement et les représentants religieux de l’Islam lors de la Veillée Pascale.

Le pape orthodoxe Tawadros II a invité plutôt les fidèles à visiter les proches des victimes. Cette décision est mitigée, car sa portée était plus politique qu’évangélique, surtout qu’il s’agissait de fêter la Résurrection.

La question est très sensible, mais il me semble que c’était une occasion de vivre ce drame à la lumière nouvelle du dimanche de Pâques. Une façon de rendre témoignage à la manière de saint Paul : « Je n’ai rien voulu savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. » (1 Cor 2, 2). Lui seul donne un sens à la douleur qui assaillit les chrétiens égyptiens, et qui fait d’eux de véritables martyrs de la vérité pour le monde entier.

Tertullien disait que le sang des martyrs est semence de chrétiens, telle est notre espérance. Le sang est synonyme de vie. Dans l’Ancien Testament il était toujours réservé à Dieu lors des sacrifices, et si le Christ offrit le sien pour la rémission de nos péchés et notre salut, c’est afin que nous ayons la Vie en abondance, que nous l’ayons Lui.

L’inspiration qui conduisit le légionnaire romain à transpercer le côté du Christ, faisant jaillir de son flanc un flot d’eau et de sang, eut le bonheur de nous faire pénétrer à l’intérieur même de l’Amour divin. Ce trou est une entrée pour le Royaume.

Le rite copte célèbre la résurrection par de forts coups de tambours symbolisant la victoire sur la mort et l’intronisation au Sanctuaire éternel, pendant que l’on récite à voix haute le psaume 23 :

Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portails antiques, qu’il entre, le roi de gloire!

C’est l’attente de la Seconde Venue où les temps seront accomplis et la création sera délivrée des affres du péché pour être récapitulée dans le Christ. Telle est notre espérance.

Emmanuel Bélanger

Après avoir commencé son cursus théologique et philosophique au Liban, Emmanuel Bélanger a complété son baccalauréat en philosophie à l'université pontificale Angelicum. Sa formation se ponctue de diverses expériences missionnaires au Caire, à Alexandrie, au Costa-Rica et à Chypre.