«Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux; puis viens, suis-moi»
Mt 19, 21
L’asphalte laisse place au gravier sur la route sinueuse que je dois emprunter pour me rendre dans un endroit qui m’est encore inconnu. J’ai beau conduire, je ne fais que suivre machinalement le plan déniché sur Internet.
Sans GPS, je réalise que ma carte routière en bon vieux papier est un signe précurseur de mon entrée dans un monde assez différent du mien: le monastère orthodoxe Vierge Marie la Consolatrice. Le choc temporel me percute lorsque je vois deux sœurs en train de se balader… en charrette à cheval. Je sais seulement qu’elles fabriquent du fromage feta.
Alors que je m’attendais à avoir un cours sur sa fabrication, je vivrai une expérience tout autre.
Tradition
«Le noir… vraiment? Pourquoi cette couleur?» que je demande spontanément. «Toutes les moniales orthodoxes sont en noir. Il s’agit d’une des règles que saint Pacôme a reçues», me répond-on aussitôt.
Cette couleur symbolise le choix fait par les moniales de rejeter le monde pour n’être vivantes que devant Dieu. Le noir manifeste aussi la pénitence effectuée par ces femmes pour le salut du monde. Finalement, plus simplement, cette teinte représente la Vierge Marie, qui était vêtue de noir.
Au fil de la discussion, je m’aperçois que deux grands saints sont souvent mentionnés: saint Antoine le Grand et saint Pacôme. Ma mémoire me faisant souvent défaut, je m’empresse de noter les noms, alors qu’une des sœurs commence à nous présenter brièvement la vie de ces deux hommes. Elle nous explique que saint Antoine le Grand s’est retiré au désert pour se trouver seul avec Dieu. Il désirait ardemment lui faire don de tout son être afin qu’il vive à travers sa personne.
L’ermite avait ainsi compris que Dieu parle et qu’il faut parfois savoir se taire pour bien l’entendre. Beaucoup de gens étaient fascinés par son existence et, voulant suivre son exemple, décidèrent d’aller le rejoindre au désert. Parmi eux, saint Pacôme, qui a reçu un jour une grâce particulière: un ange lui a enseigné toutes les règles de la vie monastique.
Depuis plus de 1400 ans, elles sont conservées et appliquées dans le monde orthodoxe.
Chapelet
Je comprends, par la suite, qu’être parfait aux yeux de Dieu consiste, en fait, à accomplir des gestes à tout moment du jour afin de se rapprocher de lui. Chaque action n’est alors plus accomplie pour soi mais pour Dieu, et, de cette façon, on vit en étant davantage dans sa volonté.Prier sans cesse est le mot d’ordre. Que ce soit en marchant, en travaillant ou en mangeant, elles forgent leur prière quotidienne. C’est que, m’explique-t-on, le but ultime de la congrégation est d’atteindre la perfection au quotidien.Je ne peux m’empêcher, en l’apprenant, d’être un peu perplexe. «Quelle tâche! me dis-je. La perfection, ce n’est pas rien!»
En définitive, la perfection recherchée par les sœurs consiste en une tentative de se rapprocher de l’état qui prévalait avant la connaissance du péché originel. Les moniales me confient que, bien entendu, il leur arrive de tomber, mais qu’avec l’aide de Dieu elles parviennent à se relever: là est toute la beauté du christianisme.
Travail
Le travail des sœurs est assez diversifié. Tout d’abord, elles cultivent la terre. Pour elles, ce contact direct avec la nature est une manière d’être en relation avec Dieu et de garder en mémoire la merveille de la création. Elles prennent d’ailleurs soin de celle-ci en l’exploitant de manière responsable et biologique. Il n’est pas question ici de pesticide et de contrôle excessif de la production: la simplicité appliquée à l’agriculture.on
Les moniales se consacrent aussi à une autre activité: la peinture d’icônes, un art très présent chez les orthodoxes. Bien entendu, ce travail, qui inclut de plus en plus la reproduction d’œuvres byzantines, est toujours effectué dans la prière et le recueillement.
Enfin, les sœurs fabriquent bel et bien du fromage feta, qu’elles vendent aux côtés d’autres aliments produits au monastère, tels que des biscuits et du pain.
Animaux
Les animaux occupent divers rôles dans le cadre de la vie au monastère. Ce dernier étant situé au milieu des bois, plusieurs chiens protègent tous ses habitants en avertissant les sœurs lorsqu’il y a des voleurs ou des bêtes sauvages qui rôdent dans les alentours. D’autres chiens servent aussi tout simplement de compagnons. Certains d’entre eux ont d’ailleurs été adoptés après qu’ils eurent été découverts en train d’errer, abandonnés.
Sur le site, on peut aussi apercevoir quelques poules pondeuses et des vaches qui fournissent le lait utilisé au quotidien. Celui-ci n’est toutefois pas employé pour la production fromagère, pour laquelle on a plutôt recours aux services d’un producteur de lait de chèvre.
Modernité
Au monastère, malgré un mode de vie assez différent de celui de leurs contemporains, les sœurs n’ont pas rejeté toute innovation moderne: elles ont l’électricité et l’eau courante. Elles possèdent même un petit tracteur, d’une grande utilité pour effectuer diverses tâches autour du monastère.
Avant mon départ, l’une des moniales m’a fait une confidence. Elle m’a expliquéque, contrairement à ce que la pensée commune véhicule, il n’est pas si aisé pour une sœur de sortir du monastère pour, par exemple, aller faire des courses ou se rendre chez le médecin. C’est que cet endroit, pour chacune des femmes qui y vit, est le lieu des véritables repos et bienêtre.
L’agitation et le mode de vie du monde à l’extérieur du monastère revêtent une relative futilité: la communauté et Dieu, c’est tout ce qui compte pour elles.
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Photos: Marie Laliberté / texte: Anne Renauld et Marie Laliberté. Article extrait du numéro spécial Vulnérabilité.
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