Photo : Marie Laliberté/Le Verbe

En chemin avec les pèlerins de Kapoah

Ils viennent de Granby, de Laval, de Québec, mais la plupart sont du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Il y a aussi le jeune Alejandro, qui vient de Colombie. Tout ce beau monde s’est donné pour défi de parcourir en seize jours les 330 kilomètres qui les mèneront jusqu’à Québec, à travers le magnifique paysage de Charlevoix. Je les ai suivis du Monastère de la Croix glorieuse à La Malbaie, jusqu’à Saint-Urbain. 23 km sous le soleil, dans les montagnes de Charlevoix.

Ils sont partis de l’Ermitage Saint-Antoine du Lac-Bouchette le 26 mai et se sont arrêtés après avoir traversé la Porte Sainte de la Basilique Notre-Dame-de-Québec le 10 juin. Ils sont vingt-et-un et leur moyenne d’âge est d’environ 70 ans si on exclut Alejandro, le jeune novice jésuite colombien qui fait également partie du groupe.

L’une des premières choses que me confie Louis-Marie Beaumont, prêtre et responsable du groupe, c’est que « ce n’est pas nous qui faisons le chemin, c’est le chemin qui nous fait ». Mais de quelle manière ?

Kapoah

À l’occasion du 350e anniversaire du diocèse de Québec, l’abbé François Jacques a eu cette initiative inspirante : organiser un parcours à travers les montages de Charlevoix pour permettre à qui le veut de participer à un pèlerinage de longue durée, Kapoah.

Le nom vient d’un mélange entre les mots kapatakan, en langue innue, et oahah, en wendat, qui signifient tous les deux « chemin ». Il se veut un hommage aux membres des Premières Nations qui ont parcouru, bien avant nous, ce magnifique territoire.

Pour l’abbé Jacques, la marche « désinstalle » celui qui choisit de s’y adonner. On se sépare des siens, de ses habitudes, pour découvrir un univers nouveau. Il fait remarquer qu’il s’effectue une sorte de passage progressif de l’état de touriste (celui qui veut voir du pays) vers celui de randonneur (avec les blessures que cela comporte, et qui provoquent la rencontre des personnes qui peuvent nous soigner) pour enfin arriver au stade du pèlerin, celui qui chemine dans une sorte de quête de sens.

Marcher vers l’autre, et vers soi

Pour lui, il s’agit aussi d’un exercice de libération de la parole. On peut très bien faire le chemin en solitaire, mais la plupart du temps, des conversations s’enclenchent entre les marcheurs, qui laissent place à une connexion toute particulière.

Un pèlerin me faisait remarquer que le fait d’être côte à côte et non face à face permet un dialogue plus libre. Le pèlerinage peut alors devenir l’occasion d’une marche vers soi et vers l’autre. En marchant sur une aussi longue durée, on a le temps de réfléchir, le temps d’écouter. La parole prend le temps de faire son chemin, elle aussi.

Qui plus est, chez nos pèlerins de Kapoah, il y a le soir un moment unique où les marcheurs se mettent en cercle et discutent de ce qu’ils ont vécu pendant la journée. C’est l’abbé Beaumont qui anime cette activité, et pour y avoir assisté, il s’y dit de magnifiques choses, et cette parole partagée en groupe est accueillie avec une grande bienveillance.

Inattendu et providence

Pour Michel, ce qui le touche le plus, ce sont les surprises, l’élément d’inattendu qui caractérise le chemin. Il insiste sur le fait que, malgré toute la planification possible, on ne sait jamais à quoi s’attendre. Est-ce qu’il fera beau? Est-ce qu’il pleuvra? Est-ce que, si j’ai besoin d’eau ou d’un endroit pour aller aux toilettes, quelqu’un sera prêt à m’accueillir? Rien de cela n’est certain. Mais ça fait partie de la game, et souvent, il y a quelque chose de presque providentiel dans le fait que tout ce qui doit arriver finit toujours par arriver.

D’autres pèlerins témoignent aussi de ces petits « clins d’œil », ces surprises qui nous attendent au détour, ces renversements de situation improbables. « Le Seigneur est là pour nous jouer des tours », se plait à dire l’abbé Beaumont.

À l’image de Jésus

Même si pour plusieurs d’entre eux, l’aspect religieux n’a pas autant d’importance que l’expérience de marche en tant que telle, certains sentent qu’ils cheminent un peu dans les pas de Jésus. Au fond, nous rappelle l’abbé Beaumont, « Jésus est un itinérant, il passe sa vie à marcher d’un village à l’autre avec son groupe; parfois ils sont bien reçus, d’autres fois moins… ». Il est un perpétuel pèlerin, « chez lui partout, chez lui nulle part ».

Même chose pour l’arrivée à la basilique Notre-Dame de Québec et le passage de la Porte Sainte : si certains y voient une véritable expérience de foi, qui permet une transformation à travers le processus de l’indulgence, d’autres s’y prêtent un peu à la légère. L’accueil des pèlerins par les prêtres du diocèse de Québec a toutefois été le même pour tous. D’ailleurs, le moment où chacun a reçu son « certificat du pèlerin » sous les applaudissements des autres, suivi du célèbre chant de Compostelle « Ultreïa », entamé tous ensemble, était un vrai moment de communion. En guise de clôture, une messe à la chapelle des Ursulines a été célébrée avec tout un groupe venu spécialement du Saguenay pour accueillir les pèlerins.

Quelques témoignages…

Pour Carmen, il faut faire la distinction entre un randonneur et un pèlerin. Le randonneur est dans la performance, la compétition même parfois. Il n’en est rien pour le pèlerin, qui lui prend le temps d’être dans le « moment présent ».

Avec Pierre-Paul, mon compagnon de route pour quelques heures, nous échangeons sur les trois aspects de « l’être » qui sont enrichis par l’expérience de la marche pèlerine. Il y a d’abord l’aspect physique. On se doit d’être attentif à notre corps, « c’est lui qui mène ». Mais cet aspect inclut aussi le lien avec la nature : il me parle de la « force des montages, que l’on ressent en marchant ». Ensuite, il y a tout l’aspect interrelationnel, la rencontre avec les autres, avec qui on peut avoir des affinités ou non, et toutes les émotions que cela suscite. C’est là qu’on découvre, dans leur application concrète, toutes sortes de vertus (la patience, la confiance, la tolérance, etc.). Enfin, la marche de longue durée peut amener un état de conscience plus profond, une communion avec plus grand que soi

Nicole, 74 ans, l’autre responsable du groupe avec Louis-Marie Beaumont, nous dit que pour elle, le pèlerinage correspond à un grand moment de liberté et de repos. « Marcher, manger, dormir, n’avoir que soi à s’occuper, c’est le gros luxe! » Cela peut être surprenant à entendre lorsqu’on voit dans quelles conditions les pèlerins dorment, se lavent, s’occupent de leurs vêtements… Il est impressionnant de les voir se débrouiller avec leur matelas de sol ou les lits de camp qui leur sont fournis. Parfois ils sont nourris dans le lieu où ils sont accueillis (souvent des églises), parfois ils mangent ce qu’ils trouvent dans les épiceries ou les dépanneurs à proximité.

Alejandro est un jeune novice jésuite venu de Colombie. Pour lui, la marche est un véritable chemin vers Dieu, une occasion de prière unique. Normalement, dans la prière, « il y a comme un travail pour arriver à un certain état intérieur de relaxation, de concentration, de piété… Dans l’action de marcher, ça vient plus comme un cadeau, c’est plus facile, ça vient d’une manière plus naturelle ». En marchant, il médite sur différentes prières, et l’une qu’il préfère est, justement, celle qu’il a retrouvée au monastère de la Croix glorieuse. Il s’agit d’une prière de saint Charles de Foucauld, sous le charisme duquel évolue le monastère d’où nous sommes partis le matin même. Quelle ne fut pas sa surprise de redécouvrir, en français, cette magnifique prière qu’il avait apprise par cœur en espagnol au tout début de sa conversion!

… et le mien

Pour ma part, le fait de prendre part, ne serait-ce que pour une journée seulement, à cette marche toute spéciale, m’a profondément marquée. D’abord par un immense coup de soleil à l’arrière du cou (malgré toutes mes précautions!), mais bien sûr, à un autre niveau, beaucoup plus profond. La rencontre de toutes ces personnes, le privilège de pouvoir constater la beauté du partage qu’ils vivent dans cette expérience commune, tous les différents parcours qui se rencontrent et entrent en échange, tout cela était d’une beauté infinie. Presque autant que les paysages qui nous entouraient. Qui sait, peut-être me joindrai-je à eux l’an prochain pour tout le parcours?

Photo : Marie Laliberté/Le Verbe

Stéphanie Grimard

Après avoir enseigné la philosophie au collégial durant plusieurs années, Stéphanie termine avec nous sa formation en journalisme. Toujours à la recherche du mot juste qui témoignera au mieux des expériences et des réalités qu’elle découvre sans cesse.