Deux missionnaires africains sur la Côte-Nord

Sur l’écran de mon ordinateur apparait le visage souriant du père Gérard Tsatselam, originaire du Cameroun. Il est missionnaire dans une contrée toute blanche nimbée de mystères et traversée par des légendes issues du fond des âges : la Côte-Nord. Le père Gérard n’est pas seul à parcourir ce très vaste territoire. D’autres hommes d’Église venus du même continent ont laissé derrière eux familles et amis pour la même mission. Parmi eux, le père Nnaemeka Cornelius Ali, né au Nigeria. Le Verbe a fait leur connaissance afin d’en apprendre un peu plus sur la rencontre improbable entre des ecclésiastiques africains et le peuple innu.

 « La communication est mauvaise. Internet passe par le satellite. Il est possible que nous perdions le contact », m’avertit le père Nnaemeka. « Je suis au camp de chasse. Je devais partir hier, mais le temps est mauvais. L’avion ne viendra probablement pas avant plusieurs jours. » À 80 kilomètres de là, ses paroissiens ne pourront pas célébrer l’eucharistie. Ainsi va la vie au pays des Innus.

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Photo : avec l’aimable autorisation du père Gérard Tsatselam

« Hier, j’ai tué mon caribou », me lance-t-il.

Puis l’image et le son deviennent saccadés. Le père se lève et prend son ordinateur avec lui. Il se dirige vers un autre camp de chasse où, espère-t-il, la communication sera meilleure. Sa caméra et son microphone fonctionnent toujours. J’ai une vue sur la neige éclatante. J’entends le bruit de ses pas. Des motoneiges, une bonne dizaine, apparaissent sur mon écran. « Ils appartiennent aux chasseurs », me dit-il. Le père Nnaemeka entre dans l’autre camp et enlève son gros manteau d’hiver.

Durant toute l’entrevue, il sera salué par les Innus qui sont à la chasse communautaire depuis dix jours. « C’est un moment sacré. Il y a des rituels bien précis. » Maniant la caméra, le père Nnaemeka a produit une courte vidéo sur cette tradition d’une grande importance pour toute la communauté.

Cette rencontre avec les chasseurs n’a rien d’anodin pour lui. « Il y a des choses que l’on vous partage et que vous ne pouvez comprendre qu’en les observant. Là, vous saisissez pourquoi, lorsqu’ils vous en parlent, ils deviennent autres. Ma mission, c’est cela. Venir ici, voir ce qu’ils vivent. Je suis à l’écoute. Je dis souvent que je suis un pèlerin et que je marche avec ma communauté. Ma communauté va au Nord ? Je vais avec elle », me confie celui qui partage sa mission entre Notre-Dame-des-Indiens, à Matimekosh-Lac John, près de Schefferville, et à la Mission Saint Georges de Mingan (Ekuanitshit).

La visite

Cette vision de la mission est également partagée par son confrère, Gérard Tsatselam. Membre de la communauté des Missionnaires des Oblats de Marie-Immaculée tout comme le père Nnaemeka, il prend exemple sur Jésus qui marche et rencontre les personnes.

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Photo : avec l’aimable autorisation du père Gérard Tsatselam

« Je suis ici pour le service. Quand il y a des personnes qui m’appellent parce qu’elles sont dépassées, je les écoute », me dit-il depuis son presbytère de Nutashkuan [Natashquan]. « Quand elles veulent signer une carte de tempérance1, je les reçois. Quand elles m’invitent chez elles, j’y vais. Quand elles viennent au presbytère pour bénir quelque chose, pour prier ou tout simplement pour manger ensemble, je les reçois. Je vais au cimetière avec eux. Je vais visiter les malades. »

Le père rend visite aux membres des communautés situées à Mingan, à la Romaine, à Natashquan ou encore à Pakua Shipi. Lorsqu’il y est, il tient à y rester deux semaines. Outre les baptêmes, la catéchèse, l’eucharistie, il rencontre les Innus dans leur maison et parle l’innu avec eux.

« Les gens veulent que je vienne manger chez eux. Je mange de tout ! Le caribou, l’orignal, le porc-épic, le castor, la perdrix, le lièvre, la bannique. Les poissons aussi. Le saumon. Ah ! le saumon ! La truite, les éperlans, les capelans. Je mange tout ce qu’ils m’offrent », avoue celui qui a été très impressionné par sa première rencontre avec les bélougas à son arrivée en 2012, alors qu’il était encore sur le traversier en direction de Tadoussac.

Être missionnaire, c’est également épouser les causes sociales qui animent la communauté dans laquelle il est présent.

Il prend aussi le temps de visiter les ainés. « Les ainés, ils sont la pierre angulaire chez les Innus. Je suis d’avis que tous les jeunes devraient en avoir un dans leur vie pour les guider. Moi, j’ai des ainés avec lesquels je parle tout le temps. »

Depuis son arrivée en 2014, et malgré sa difficulté à assimiler la langue des Innus, le père Nnaemeka visite lui aussi les personnes âgées. Il est également très impliqué auprès de l’école Kanatamat Tshitipenitamunu à Schefferville. Il donne le cours d’Éthique et culture religieuse. « Cette année, nous parlons de résilience. Elle fait partie de leur ADN », me dit-il.

Lorsqu’il n’enseigne pas, il partage avec les jeunes. « Je vais à la bibliothèque. Je me promène avec les élèves. » Au fil des années, il a appris à mieux les connaitre. « Ils s’impliquent dans la communauté. » Comme partout ailleurs, il arrive que des jeunes dérapent. Lorsque cela arrive, parfois la police en conduit un chez le missionnaire.

L’accueil intégral

Le père Gérard Tsatselam raconte qu’il y a chez les jeunes beaucoup de problèmes liés à l’alcool et à la drogue. « Lorsqu’ils viennent au presbytère, ils signent la carte de tempérance. Ils sont dépassés et veulent s’en sortir. Ce sont surtout les jeunes âgés de 25 à 30 ans. Cela les aide. Il y a aussi des thérapies. Il y a également la chasse qui les aide à retrouver le bon chemin. C’est un chemin de guérison pour eux. »

La spiritualité autochtone joue un rôle non négligeable dans le rétablissement des jeunes aux prises avec ces maux. Elle est également très présente dans la vie des Innus. Malgré tout, le père Nnaemeka Cornelius Ali souligne que 90 % des jeunes sont baptisés. « Une centaine de personnes préparent leur première communion. Parmi eux, il y a des adolescents. Ici, les gens croient. Ils vont à leur rythme, mais ils croient véritablement. »

Le lien entre la foi ancestrale et la pratique religieuse au sein de l’Église catholique n’est pas toujours évident chez les Innus. « Je me suis aperçu que beaucoup de ceux qui viennent à la messe font également la promotion de la spiritualité autochtone », explique le missionnaire originaire du Nigeria.

Les deux confrères n’hésitent pas à vivre des rituels autochtones, comme le matutishan (la tente à suer). Il arrive même que les leadeurs de la spiritualité autochtone et les missionnaires pratiquent leurs rituels respectifs lors d’un même évènement, comme cela a été le cas lors de la dernière fête de sainte Anne à Pakua Shipi.

Photo : avec l’aimable autorisation du père Gérard Tsatselam

Le père Gérard est très à l’aise avec le fait que des catholiques choisissent de garder un pied dans la tradition. « Je suis Africain. Je connais bien la tradition ancestrale. Dans mon village natal, à Maroua, beaucoup de mes amis sont musulmans, animistes ou protestants. Ici, lorsqu’il y a une naissance, on va à l’église pour faire baptiser le nouveau-né. Lorsqu’il y a une mortalité, on va à l’église pour faire enterrer le défunt. Du début à la fin de leur vie, l’Église catholique est présente. C’est certain aussi qu’ils vont pratiquer les rituels inspirés de la spiritualité autochtone. »

Être missionnaire, c’est également épouser les causes sociales qui animent la communauté dans laquelle il est présent. Et dans la région, elles ne manquent pas. Le père Nnaemeka a même rencontré les parents de l’Innu Napa Raphaël André, décédé le 14 janvier 2021 à Montréal dans une toilette chimique.

« Pour bien des gens, Raphaël n’était qu’un itinérant. J’ai été étonné d’apprendre qu’il se rendait régulièrement à l’Oratoire Saint-Joseph. Il envoyait des messages à ses parents. Raphaël avait suivi des thérapies. Il voulait s’en sortir. »

Une tente pour l’au-delà

Dans son blogue, le missionnaire donne la parole à ses parents : « Si Napa avait juste eu une tente à Munianit [à Montréal], même sans le bois de chauffage, il aurait su comment se protéger contre le froid qui l’a emporté vers l’au-delà. Nous lui avons construit une tente devant notre maison. »

L’appel à l’aide lancé par Joyce Echaquan, suivi, quelques heures plus tard, de sa mort à l’hôpital de Joliette, connu pour ses problèmes de racisme, a bouleversé la communauté innue. Selon le père Gérard, des affiches sont encore bien visibles au Centre de santé et au Conseil de bande. « Cela a fait beaucoup réagir. »

Le père Nnaemeka a même pris la parole lors d’une manifestation pour dénoncer le sort réservé à Joyce Echaquan. « Quand ils souffrent, je souffre. Quand ils sont dans la joie, je le suis aussi. » C’est ainsi qu’il justifie son implication au sein de la communauté.

Souvent délaissés par les pouvoirs politiques du Sud, les Innus ont développé un grand sens communautaire.

« Avec eux, je découvre une autre force, une autre dimension, un autre degré à l’amour familial. Pour eux, chaque personne est importante. Le respect de la vie humaine est au cœur de leur philosophie. Même si elle est très malade et ne peut plus marcher, elle a toute sa place et toute sa dignité. Lorsqu’un Innu est souffrant, on nolise des avions pour aller le visiter. Même durant la COVID. On ne va pas le laisser, même en phase terminale. On ne va pas le rencontrer à l’hôpital, mais on va aller à Québec pareil. C’est fort ! Je découvre cela ! C’est l’humanologie ! Ce sont de vrais êtres humains ! Des Innus comme on dit2. Ils ont le sens de la solidarité », souligne le père Gérard.

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Les années passées auprès de ce peuple ont profondément changé nos deux missionnaires. Chacun à sa façon justifie la poursuite de la mission, de cette rencontre, de ce cœur à cœur.


Yves Casgrain

Yves est un missionnaire dans l’âme, spécialiste de renom des sectes et de leurs effets. Journaliste depuis plus de vingt-cinq ans, il aime entrer en dialogue avec les athées, les indifférents et ceux qui adhèrent à une foi différente de la sienne.