Kitcisakik
© Patricia Rancourt

De Kitcisakik au Vatican

Octobre 2017. Pendant cinq jours, j’ai accompagné un groupe d’une quinzaine d’élèves en territoire anishinabe. La rencontre de ce peuple des Premières Nations a bousculé nos représentations du Québec. D’un côté, nous avons été émerveillés par les richesses cette culture millénaire. De l’autre, nous avons été bouleversés par les récits souffrants qui ont traversé nos échanges.

La très grande majorité des aînés que nous avons rencontrés sont passés par les pensionnats. Ceux qui y ont échappé ont été cachés par leurs parents, avec qui ils se sont enfuis en forêt. Non sans émotion, on nous a décrit les stratagèmes employés par les prêtres qui abusaient des enfants.

Je me souviens de cet homme qui, dans le sable, a dessiné le plan du pensionnat. Dès leur arrivée, les enfants étaient traités avec violence: on séparait les frères et soeurs, qui n’avaient désormais plus le droit d’entrer en contact. Puis, les nouveaux observaient que certains pensionnaires avaient droit à des privilèges. Moins de tapes derrière la tête, plus de sucreries. Ils en venaient à envier ceux qui, chaque soir, étaient amenés dans la chambre du prêtre. Quand leur tour venait, ils étaient contents. Puis s’installaient la honte, la colère, le désespoir.

Lorsqu’ils tentaient de dénoncer ces abus, les enfants n’étaient souvent pas crus. Dans ces communautés très pieuses, les prêtres étaient admirés, voire glorifiés. Ils incarnaient la présence de Dieu sur la terre. Comment auraient-ils pu commettre de tels gestes?

Parole et réconciliation

Celui qui nous a partagé cette histoire l’a fait depuis son fauteuil roulant. Il a perdu l’usage de ses jambes suite à une chute, alors qu’il était en état d’ébriété. C’est après cet accident qu’il a entamé un chemin de guérison, au coeur de la spiritualité de ses ancêtres.

Mes élèves et moi sommes restés silencieux. On entendait les feuilles d’automne tomber.

Durant cette semaine, on ne nous a pas caché les problèmes de consommation, de violence, de suicide, d’inceste qui gangrènent cette communauté.

Je n’ai pas jugé. Je viens d’une famille qui a connu ce genre de problématiques. Je sais à quel point il est difficile de se défaire de comportements qui se transmettent de génération en génération. C’est la raison pour laquelle j’ai été d’autant plus impressionnée par le travail de reconstruction personnelle et collective observé sur place.

Au moment de notre départ, nous formions un dernier cercle de parole. Chacun était invité à dire quelques mots. Une quinzaine de personnes de la communauté sont venues assister à cette dernière conversation. Je suis la dernière à parler; pendant une semaine, j’ai écouté. Mandatée par l’Église catholique pour exercer mon travail, je dois maintenant dire quelque chose.

Ma voix tremble, mais je me lance :

«J’ai entendu ce que vous nous avez raconté. Je suis horrifiée d’apprendre tout ce que vous avez vécu. Le Dieu en qui je crois est un Dieu d’amour, qui a donné sa vie pour les autres. Je suis certaine qu’il est dévasté de tout ce mal commis en son nom. Ce qui vous est arrivé n’est pas de votre faute. Ces gens n’ont pas servi Dieu. Ils se sont servis eux-mêmes. Je suis tellement désolée.»

Je craignais d’être déplacée. Après tout, je ne suis qu’une animatrice de pastorale. Étonnement, cela a fait son effet. Nos hôtes sont aussi émus. Ils me remercient et réaffirment leur foi en un Dieu d’amour. De cette scène, des élèves m’ont reparlé.

Des excuses cheaps ?

Plusieurs personnes engagées en Église contribuent activement au travail de réconciliation avec les communautés autochtones. Par exemple, des laïcs engagés à l’Espace Art Nature ont organisé des Cercles de confiance réunissant des autochtones et des allochtones. Développement et Paix, organisme de l’Église catholique, anime l’Exercice des couvertures, qui permet aux participants de mieux comprendre l’expérience autochtone de la colonisation européenne. L’été dernier, un pèlerinage en canots de huit-cents kilomètres a été mené du Sanctuaire des martyrs canadiens, en Ontario, jusqu’à Kahnawake.


Pour lire le numéro d’hiver 2017 «Paroles autochtones», c’est par ici.


Cela dit, compte tenu de la nature systémique des violences perpétrées contre les nations autochtones, ces gestes posés par des croyants ne suffisent pas. Il semble légitime que les victimes s’attendent à des excuses en bonne et due forme de la part des autorités ecclésiales.

Nous sommes plusieurs à ne pas soutenir la posture de l’institution à ce sujet. Depuis une semaine, nous tentons de comprendre. Nous nous questionnons. Les raisons évoquées ne nous suffisent pas.

Certains diront que le pape Benoît XVI s’est déjà excusé en 2009. En réalité, il a exprimé sa peine et sa solidarité. Le terme excuse n’a jamais été prononcé. La responsabilité n’a pas été assumée.

On dira aussi que le Vatican n’a pas à se soumettre au programme politique du Canada, dont le premier ministre a une conception cheap des excuses. Que l’État n’a pas à instrumentaliser les excuses de l’Église. Cela est aussi vrai.

On dira finalement que c’est le travail concret de réconciliation qui importe. Je suis en partie d’accord. Il me semble que les représentants de l’Église ne peuvent faire l’économie des excuses parce que, sur le terrain, des personnes travaillent activement à réparer les pots cassés. Comment peut-il y avoir un réel pardon si aucun pardon n’est demandé? Il me semble que cela véhicule aussi une conception cheap du pardon.

Mourir à soi-même

Au Canada, plus particulièrement au Québec, l’Église n’est plus l’institution triomphante qu’elle était. Les fidèles qui évoluent en son sein ne partagent plus la vision du monde de la majorité.

La plupart du temps, nous sommes choqués par la manière dont évolue la société. On ne se reconnaît ni à gauche ni à droite. Dans ce contexte, l’Église devient le bouc émissaire à qui on attribue tous les maux. Elle est l’ennemie sur qui on peut taper sans craindre de se faire traiter de phobique. La tentation est grande d’agir en réaction, sous le mode de la justification.

Cela m’attriste. Ma vie a été transformée par l’Évangile, cette Bonne Nouvelle qui annonce la venue d’un Dieu qui a donné sa vie par amour pour l’humanité. Dieu sauve, croit-on. De quoi nous sauve-t-il au juste?

La reconnaissance de ses péchés et la repentance sont au coeur de l’expérience chrétienne, puisque ces dispositions sont nécessaires à l’accueil de l’amour de Dieu. Il faut mourir à soi-même pour renaître dans le Christ.

C’est en cela que je crois et il me semble que l’Église aussi.

En ces temps difficiles, nous ne pouvons tenir un discours victimaire. Surtout si nous avons effectivement été bourreaux. Encore aujourd’hui, des enfants subissent les contrecoups des agressions perpétrées sur leurs grands-parents. Dans ce contexte de génocide culturel, ne pas s’excuser est un contre-témoignage.

Nous sommes appelés à être le sel de la terre et la lumière du monde. Ne nous laissons pas emporter par l’esprit de ce temps. Ne devenons pas une minorité qui cherche à se défendre à se protéger.

Après tout, le Dieu en lequel nous croyons a été crucifié.

Et lui, vraiment, n’avait rien à se reprocher.

Valérie Laflamme-Caron

Valérie Laflamme-Caron est formée en anthropologie et en théologie. Elle anime présentement la pastorale dans une école secondaire de la région de Québec. Elle aime traiter des enjeux qui traversent le Québec contemporain avec un langage qui mobilise l’apport des sciences sociales à sa posture croyante.