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Photos : Maxime Boisvert et Ioana V. Bezman.

Comme un potier: les moniales de Bethléem à Chertsey

La route qui mène chez elles est sinueuse, parfois longue. On ne les trouve pas tout de suite, on les cherche, et puis, au tournant de la dernière côte, on aperçoit l’église au loin. Sommet de la montagne, forêts à perte de vue, une petite église en pierre vit là. Il y fait doux.

À la fin de juillet, Maxime et moi-même recevions le cadeau d’un séjour chez les moniales de Bethléem, à Chertsey. Ceci est notre humble témoignage.

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Tout de suite, on perçoit chez elles une liberté sans bornes, celle du voyage intérieur, de la lumière en tous lieux, de la modestie qui accompagne le choix de l’Absolu. Elles vivent sous son regard, loin du monde, cachées sous le voile du silence, dans un éternel (re)commencement. On y célèbre la vie du Christ, on reprend et on répète encore. Incarnation vivante des métaphores, on l’appelle et on l’adore, jour après jour, après jour, après jour. Le temps s’allonge, il s’étire. Le silence est fort et enivrant. Elles vivent de poésie.

Quelle étrange mouvance, celle d’aller à la rencontre de…, cette expansion vers ce qui est autre, au-delà, pour finalement retrouver le soi. La plus belle des balades. N’est-ce pas, d’ailleurs, l’unique raison de tout voyage ?

Leur monastère est lourd, simple, majestueux, tellement lumineux toutefois. Elles sont lueur et ne vivent que pour Dieu, submergées dans sa clarté. Au bout de longs corridors blancs, elles habitent des cellules, isolées, sous d’énormes puits de lumière. Elles font famille, mais leurs vies se dessinent telles des chorégraphies solitaires. On se veut seule, autonome et près de Dieu, avec lui pour unique compagnon. Chaque espace, de la composition des pièces jusqu’à la forme de ses lignes architecturales, est conçu et investi par la prière, de manière à appeler l’intériorité.

Cet article est d’abord paru dans notre numéro spécial automne 2021. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.

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Leur travail est long, leurs respirations prières. Elles prient pour nous, à notre insu. Elles font du beau, travaillent la terre, ce qui rapproche de la matière et les attache au réel. Elles se plient aux exigences, perpétuent leur savoir-faire et accueillent chaque pièce à l’existence. Elles créent à Son image, s’harmonisent à Sa beauté. « Cela ouvre et dilate les cœurs », chuchotent-elles discrètement. On habite avec les sons : la rencontre de l’argile, la caresse des pièces brutes, les bruits du four chauffant, la gravure au clou et l’acharnement de sa poussière. Tout cela leur est chanson. Elles apprennent à discerner Sa voix et s’ancrent au monde terrestre, en s’en éloignant doucement. Marie veille sur elles, toujours.

On sonne la cloche, on s’unifie. De l’extérieur, rien ne bouge, il règne un air de parfaite immobilité. Inertie apparente, puisqu’à l’intérieur, on vit intensément. Vent de fraicheur. Les couloirs s’activent. Elles alternent petit office en solitude et ensemble au chœur. L’église prend vie. On se prépare, tranquillement. Une à une, on allume les bougies. Les lumières vivifient. Tout doit être parfait. Avec l’ardeur des enfants, elles s’enthousiasment à Son arrivée. Le son augmente, se multiplie. Les pas s’enchainent, elles vénèrent les icônes, elles répondent à Son appel. Elles sont prêtes, elles chantent, elles voyagent.

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Elles vivent au désert, légères, petites et seules, elles passent presque inaperçues. Attentives à la lumière changeante, au détour d’un nuage grand, ombres basses sur leurs murs blancs, le temps s’arrête ici. Le silence leur est vital. Infini, il invite aux jeux sensibles de l’ouïe. Violences auditives : le bois qui craque nous secoue. Petit tremblement, elles deviennent musique maintenant. Leur ton est calme, elles n’émettent qu’une seule voix. Elles sont en équilibre, paradoxe à la fois, succession de l’immense au tout petit, alternance des solitudes, on répète, on continue, de l’intérieur vers le hors de soi, communion profonde, mouvance d’expansion, tout a un sens, simple et élégant. Elles sont ici pleinement seules et jamais entièrement.

Je ne peux m’empêcher de penser qu’elles entendent ce qui est étranger à mes oreilles, elles entendent leurs jardins pousser et leurs printemps fleurir, ou qu’elles perçoivent les pas leur arrivant de loin. Tout est silence : silence attentif, souffle coupé, oreille aiguisée, silence lourd, surdité envahissante et ensuite essoufflement. Silence vertigineux, enveloppant, sentiment de vagues, silence libre, très fort et vaste, et parfois, ou même souvent, tout cela au même moment. Elles vivent dans l’Absolu, leurs yeux attentifs et assoiffés de Dieu.

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Photos : Maxime Boisvert et Ioana V. Bezman.

J’y vais pour accueillir cet Amour qu’elles incarnent, tels des contenants fragiles, et qu’elles offrent en cadeau. Entrevoir la vie des profondeurs, pour un bref instant. Les cycles des jours, et puis des saisons, défilent éternellement à travers ces fenêtres et l’immense voute du ciel. Elles se tiennent droites, tels des phares, s’écroulant à Ses pieds. Elles travaillent dans l’ombre, je ne les vois pas, je ne les entends plus. Aucun éloge, aucun applaudissement. Elles insufflent toute cette Vie, doux éveil des sens, grand séjour dans l’oubli.

Comment parler d’une vie vouée au silence ? D’elles, qui ne veulent pas être nommées ? Comment décrire en peu de mots cet infini dont elles témoignent ?

Elles sont entières. On est si pleins ici.

Les moniales de Bethléem vivent « au désert ». Leur vocation est de communier dans le silence à la vie de la Vierge Marie, Mère de Dieu, présente au cœur de la Sainte Trinité, dans une vie d’adoration du Père, en Esprit et en Vérité. En 1950, lors de la promulgation du dogme de l’Assomption à Rome, quelques pèlerins français reçoivent l’intuition initiale de leur fondation. Leur famille monastique comprend aujourd’hui 570 membres, répandus en vingt-neuf monastères à travers l’Europe, les Amériques et le Proche-Orient, plus trois monastères de moines qui vivent eux aussi dans la tradition de saint Bruno, le « patriarche des moines solitaires d’Occident ».

Les sœurs s’installent au Québec en 1993 et érigent leur monastère à Chertsey, sur une terre qui leur est donnée, un énorme terrain solitaire et silencieux au cœur de la forêt, tout près du sanctuaire Marie Reine des Cœurs. En 2008, on y célèbre la consécration de l’Église, avec les habitants de la région, une construction à laquelle certains ont œuvré de leurs propres mains. Elles vivent de leur artisanat de vaisselle de grès rustique et de l’hospitalité de leurs ermitages dans la forêt. Elles y travaillent dans le silence et la solitude propices à la prière. Une partie de leur monastère est encore à bâtir.

Pour découvrir leur artisanat:

https://monasteredebethleem.ca/boutique/

Pour en savoir plus sur la communauté:

https://www.bethleem.org/monasteres.php

3095, chemin Marie Reine des Cœurs
Chertsey (Québec) J0K 3K0
450 882-3907

Ioana Bezman

Ioana est enseignante spécialiste en arts plastiques, artiste photographe, maman et candidate à la maitrise en arts visuels et médiatiques, concentration recherche intervention. Elle s’intéresse au portrait sensible comme forme de dialogue.

Maxime Boisvert

Le photographe Maxime Boisvert a plus d’une corde à son arc. Dans nos pages, ce sont ses talents de photoreporter qui sont mis à profit. D’une grande sensibilité humaine et artistique, il choisit souvent de travailler en argentique pour une approche des sujets tout en délicatesse.