amour
Gilles Thérèse Mélanie Viktor Geneviève Maxime

Au commencement était l’amour

Mélanie et Viktor auraient-ils pu prévoir que le grand amour les attendait dans une abbaye en France, alors que lui sortait d’une Hongrie à peine libérée du communisme, et elle d’un divorce qui l’avait précipitée dans une crise existentielle ?

Et Gilles ? Comment aurait-il pu deviner que, parmi toutes les femmes qu’il collectionnait, ce serait avec Thérèse, l’indépendante qui ne rampait ni devant son charme ni devant sa Ford Anglia jaune 1963, qu’il célèbrerait cette année son 53e anniversaire de mariage ?

Qui peut savoir le jour ? L’heure ? Personne. Pour preuve ces trois commencements d’amour, comme trois genèses formées d’ombres et de lumières, de déserts et de vides, où le souffle de Dieu a plané et agit bien concrètement.

Thérèse et Gilles

Thérèse se remémore chaque instant de leurs débuts chaotiques. Ordinairement rieur et blagueur, Gilles demeure silencieux ; ce sont les larmes, qui courent jusque dans son cou, qui parlent.

Septembre 1963. « J’accompagnais une amie au terminus de Victoriaville. On est tombé sur Gilles. Elle le connaissait et nous a présentés, mais c’est à la deuxième rencontre que j’ai su que je l’aimais. »

Gilles Thérèse
Photo : Ioana V. Bezman.

Gilles se souvient : « Ah ! c’est son sourire qui m’a frappé. Je l’ai invitée à prendre un verre. Je suis tombé amoureux. J’ai eu peur et je ne l’ai pas rappelée ! »

Thérèse, du haut de ses 17 ans, ne comprenait pas, mais a fait l’indifférente. Son amie lui avait dit que Gilles était un coureur de femmes et que ce qu’il lui fallait, c’était justement une femme comme elle : fière et indépendante ! Son indépendance a dû avoir de l’effet ; un an et demi plus tard, Gilles revenait. Et il est reparti. Puis est revenu encore.

« Ça, je m’en souviens très bien. C’était le 12 mars 1965. Je l’ai amenée à La Soupière à Plessisville… En sortant de l’auto… j’ai pris sa main… » Gilles ne parle plus. Ses larmes, oui.

Thérèse vole à son secours : « Je pensais que le cœur me sortirait du corps ! J’avais tellement espéré ! Ensuite, il venait me voir souvent, mais ne s’annonçait jamais. Moi, je refusais de l’appeler. Ça me faisait souffrir, mais mon orgueil m’empêchait de courir après lui. Faut dire que, dans ma génération, les filles ne couraient pas après les gars ! Moi, ça m’allait très bien. »

Au bout de trois mois, Gilles annonce qu’il veut prendre une pause. Thérèse lui remet alors son jonc d’amitié : « Bien. C’est le temps de se quitter pendant qu’on ne s’aime pas encore. Sors avec tes filles. De mon côté, je vais faire pareil. »

Abasourdi par cette réponse, Gilles hésite : « Je vais probablement revenir. » Thérèse sourcille à peine : « Si je suis libre, ce sera avec plaisir. »

Une fois seule dans sa chambre, Thérèse s’effondre en pleurs. « Je savais que c’était l’homme de ma vie, mais jamais je n’aurais pleuré devant lui ! Trop orgueilleuse ! »

Cet article est d’abord paru dans notre numéro spécial automne 2021. Cliquez sur cette bannière pour y accéder en format Web.

Au bout de trois semaines, une offre d’emploi survient pour Thérèse. « Je devais aller remplacer ma cousine à Montréal. Honnêtement, je ne comprends pas comment mon père a pu permettre ça. Sa fille à la grande ville ! Aujourd’hui, j’y vois l’action de Dieu. C’est là que j’ai reçu une lettre de Gilles dans laquelle il avouait sa grande faiblesse : les femmes. Il disait qu’il avait trouvé en moi la perle et demandait : “Veux-tu de moi, malgré cette faiblesse, et m’aider ?” J’ai retenu que ce gars-là était sincère et qu’il m’aimait. Le reste n’avait pas d’importance. »

Thérèse voulait se marier, mais Gilles n’y voyait pas d’avantages. « Je lui ai dit que, si on ne se mariait pas, on arrêtait ça là ! J’étais prête à le quitter, même si je l’aimais comme une folle ! Si je me mariais, c’était pour la vie. “Dans le meilleur, comme dans le pire” ; c’est ça qui m’a tenue pendant toutes ces années de mariage. “Tout concourt au bien de celui qui aime Dieu” (Rm 8,28), alors, dans le pire ? Prier. Patienter. Le Seigneur me disait qu’il me promettait de grandes choses. »

– C’est ce qui est arrivé ?

Gilles acquiesce en pleurant. « Le Seigneur n’était pas présent dans nos vies comme il l’est maintenant ; nous avons fait sa rencontre quelques années plus tard, mais il nous a tricoté solide dès le commencement. Il nous voulait l’un pour l’autre. Et nous, on s’est aidés l’un l’autre. »

Gilles Thérèse
Photo : Ioana V. Bezman.

Mélanie et Viktor

Mélanie Viktor Gilles Thérèse Geneviève Maxime
Photo : Ioana V. Bezman.

Partie de Montréal pour aller travailler en Angleterre comme catéchète, Mélanie se marie pour « être en règle » et divorce au bout de quatre ans. Cet échec cuisant et le décès subit de sa grand-mère l’amènent à crier vers Dieu, et Dieu lui répondra.

« Il s’est manifesté très fortement ! Je me suis rendue à une retraite pour jeunes offerte par la Communauté du Chemin neuf (CCN) en France. J’en suis sortie avec un seul désir : devenir religieuse ! Je ne voulais surtout pas me marier ! Ma blessure était encore vive. »

La CCN lui propose un été de formation à son abbaye de Hautecombe. Celui qui l’accueille à la porte est nul autre que Viktor.

– Tu es tombée sous le charme de son accent hongrois ?

« Pas du tout ! Il avait les cheveux en bataille, de grosses lunettes ! » Viktor s’esclaffe : « Moi, je trouvais qu’elle marchait comme le vilain petit canard ! »

En 1996, la CCN avait offert à Viktor six mois de formation. Dix ans plus tard, il y était toujours !

Après la chute du mur de Berlin (9 novembre 1989), il était à la mode de retourner à l’église, explique-t-il : « Je suis devenu enfant de chœur et, en 1997, nous sommes partis pour les JMJ de Paris. Notre diocèse était accueilli par la CCN, laquelle offrait une école de langue. Comme je ne parlais que le hongrois, j’ai appelé et, chose incroyable – mais pas pour Dieu ! –, la personne qui se trouvait à la réception ce jour-là était Hongroise ! Peux-tu croire ça ? Les chances que je tombe, en France, sur une personne qui parle le hongrois étaient tout à fait improbables ! »

Mélanie poursuit : « Je n’avais pas porté attention à Viktor ; j’étais certaine qu’il était religieux, genre célibataire consacré. Donc, j’étais à l’atelier de la roseraie, et c’était lui qui enseignait. Il expliquait les choses avec une telle bonté et une telle douceur. Ça m’a saisi. Et là, quelqu’un m’a dit qu’il attendait la femme de sa vie depuis 10 ans. Mon cœur a chaviré. Tout d’un coup, je n’étais plus si certaine de vouloir être religieuse ! »

Chaque jour, Mélanie « testait » Viktor. Chaque fois qu’elle lui proposait de prier le chapelet, il disait oui. « Je voyais que je pourrais vivre dans une communauté religieuse, tout en étant mariée. J’étais bouleversée. »

Comme elle ne voulait pas refaire les erreurs du passé, elle retourne au Québec pour prendre un temps de discernement. « Dieu m’a donné le texte de David et Abigaël (1 S 25). Je comprenais que David appréciait Abigaël ; elle avait un passé qui lui donnait une sagesse. Je suis retournée à Hautecombe et je l’ai “testé” avec une vingtaine de chapelets ! »

Viktor prend la balle au bond : « Un jour, elle a fait toute la relecture de notre amitié et m’a demandé si on pouvait faire un bout de chemin ensemble. Ce qu’elle ignorait, c’est que deux semaines plus tôt, après une confession, le prêtre avait reçu une image pour moi : quatre chemins qui se croisent à un carrefour ; le Seigneur dit que quoi que je choisisse, il sera avec moi. Crois-le ou non, Mélanie était la quatrième fille en l’espace de deux semaines qui me faisait sa proposition ! Rien pendant dix ans, et quatre en deux semaines ? Dieu agissait ! »

« Quand j’ai su qu’il avait eu trois autres demandes, je n’en revenais pas ! Il m’a dit qu’il avait besoin de prier cinq minutes avant de me répondre. Je peux te dire que ç’a été les cinq minutes les plus longues de ma vie ! »

– Comment as-tu fait ton choix ?

« J’ai dit : Seigneur, je fais mon choix dans le grand mystère de la liberté que tu me donnes. Si je fais le bon choix, confirme-moi. Puis, dans mon cœur, j’ai choisi Mélanie. Tout de suite, j’ai ressenti une grande paix. »

En donnant son « oui » à Mélanie, Viktor se retrouvait à donner trois « non ». Ensemble, ils sont allés annoncer la nouvelle aux trois femmes. « On a prié pour elles, et elles pour nous. Les amitiés ont été préservées. Ça aussi, c’était l’œuvre du Seigneur. »

Mélanie Viktor
Photo : Ioana V. Bezman.

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Thérèse Allard et Gilles Delisle sont mariés depuis le 13 juillet 1968. Ils ont trois enfants et deux petits-enfants.

Mélanie Séguin et Viktor Koo sont mariés depuis le 6 septembre 2008 et ont cinq enfants. 

Photos de couverture : Ioana V. Bezman.

Brigitte Bédard

D’abord journaliste indépendante au tournant du siècle, Brigitte met maintenant son amour de l’écriture et des rencontres au service de la mission du Verbe médias. Après J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée (2019, Artège), elle a fait paraitre Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit saint m’a emportée (Artège) en 2022.

Ioana Bezman

Ioana est enseignante spécialiste en arts plastiques, artiste photographe, maman et candidate à la maitrise en arts visuels et médiatiques, concentration recherche intervention. Elle s’intéresse au portrait sensible comme forme de dialogue.