Ricardo, au centre de la photo (photos: courtoisie Séminaire Redemptoris Mater).
Ricardo, au centre de la photo (photos: courtoisie Séminaire Redemptoris Mater).

J’ai vu mourir un chrétien

d’après une entrevue d’Antoine Malenfant.

La croix de Ricardo Corea Cruz

 

On l’avait vue venir. La mort de Ricardo, ce n’était pas une surprise. Il n’y a pas de scoop ici, désolé. Quelques jours avant de passer au Père, Ricardo a accepté de nous parler de sa santé… Et il était parfaitement conscient qu’au moment où notre numéro serait publié il serait déjà parti. Sérénité déconcertante.

Chez lui, au Honduras, Ricardo étudiait la médecine. Un jour, il a senti l’appel de Dieu. Sa grand-mère, tranquillement, l’a alors initié à la foi. Ricardo a entrepris un cheminement spirituel en paroisse. Plus tard, c’était l’appel total : consacrer sa vie à Dieu dans le sacerdoce. Il a abandonné ses études de médecine et a été admis au Séminaire Redemptoris Mater, d’où on l’a envoyé à Québec, chez nous, à l’automne 2009, pour ses études.

À Québec, tout va bien. Il est heureux avec ses frères du Séminaire, avec son groupe de prière où la fraternité et la ferveur se vivent au quotidien. Une authentique vie de chrétien, quoi !
Puis, à l’automne 2010, le rhabdomyosarcome chambarde sa vie.

Il s’agit d’une tumeur maligne et très agressive qu’on appelle aussi « le cancer des enfants » – assez rare chez un jeune homme de 20 ans.

Ricardo suit le protocole : 54 semaines de chimiothérapie, 6 semaines intensives de radiothérapie et trois autres mois de chimio.

« Sur le coup, raconte Ricardo, j’étais surpris de ma réaction. J’étais en grande paix. Je me disais que peut-être je n’arrivais pas à réaliser la chose. Mais non. Avec le temps, j’ai constaté que la paix restait là… Elle demeurait… J’ai bien vu que ce n’était pas ma paix, mais que c’était celle de Dieu. C’était lui qui me donnait sa paix. Malgré tout ce qui se passait dans mon corps, je vivais ma vie dans une grande paix. Tout le monde était surpris de me voir ainsi… et moi aussi ! »

Toi aussi ? « Oui. Je ne suis pas comme ça. Ma réaction normale aurait été de frapper le médecin ou bien de tomber en dépression. Quelque chose du genre. Mais rien de tout ça n’est arrivé. J’ai accepté ma croix, et Dieu m’a donné la grâce de voir la situation comme ça, comme une croix. Il m’a donné la grâce de prendre et d’embrasser ma croix. »

Le portement de croix

Comme on le fait avec toute personne atteinte de cancer, on lui suggère un suivi auprès d’un psychologue. Ricardo affirme ne pas en avoir besoin. On lui suggère également des antidépresseurs, comme on le fait à toute personne suivant un traitement de chimio. Encore là, pas besoin.

Avec le temps, les infirmières ainsi que tout le personnel de l’hôpital se rendent compte que Ricardo est un patient un peu spécial.

« Le personnel se questionnait beaucoup… Ce n’était pas normal pour eux. On me demandait comment j’arrivais à vivre ma maladie avec autant de paix et de joie. Un étranger, seul, loin de sa famille et de son pays… J’avais toutes les raisons d’être déprimé ou de souffrir de détresse psychologique !

« Chaque fois que les infirmières me posaient des questions à ce sujet, je leur répondais simplement que c’était Dieu. Que c’était grâce à lui. Que c’était lui qui me soutenait. Il m’envoyait des gens jour et nuit. Je n’étais pas seul. Des gens de mon groupe de prière, des séminaristes, des amis, des formateurs… J’ai toujours eu quelqu’un avec moi, jour et nuit. Je n’ai jamais été seul.

« Les infirmières étaient surprises. Elles se demandaient comment il était possible qu’un étranger ait plus de visites qu’un Québécois. Bien des gens sont seuls ici. Plusieurs fois, elles ont dû faire attendre un groupe dans le corridor pour donner du temps à un autre groupe dans ma chambre. Elles ont mis bien du monde à la porte de ma chambre en leur disant que je devais me reposer, tu sais… »

La via dolorosa

En août 2012, après deux longues années de lutte, Ricardo apprend que le cancer est incurable. On lui dit qu’il lui reste à peine trois mois à vivre. Humainement, il n’y a plus rien à faire.
Pourquoi cette douleur ? Et pourquoi si longue ? Tout le monde veut savoir : pourquoi, Ricardo ? Pourquoi Dieu permet-il que tu souffres ? Parce que tu souffres… je sais que tu souffres… hein ?

« Oui. Premièrement, je crois qu’il permet ça pour me sauver, moi, personnellement, Ricardo, parce que j’ai besoin de ça pour être sauvé. Je crois que c’est par amour pour moi… et je ne blague pas quand je dis ça… je n’exagère pas. J’ai vu ! J’ai vu comment Dieu a transformé ma vie à partir de cette maladie-là. J’ai vu comment Dieu a guéri les blessures de mon histoire.
« J’ai vu comment il m’a conduit à devenir un meilleur chrétien ; ma prière a plus de sens, ma vie a plus de sens. Je suis obligé de vivre un jour à la fois. Comme si c’était toujours le dernier.

« Deuxièmement, il y a la mission dans cette maladie-là. Et la mission commence à porter des fruits. Ce n’est pas Ricardo qui est le superhéros. Ce n’est pas Ricardo qui agit. Pas du tout. C’est Dieu qui agit par la croix qu’il m’a donnée lui-même et qu’il m’a donné d’accepter.

« Des exemples ? La conversion de ma mère athée. Elle est venue ici et elle a vu quelque chose de différent dans la façon dont je vivais la maladie… Elle a vu comment la foi me soutenait au moment où elle aurait dû s’attendre à ce que je sois totalement détruit – car ma mère connaît mon caractère. C’est ce qui a amené ma mère à devenir catholique. J’ai une belle relation avec elle ; avant, je n’en avais pas ! Mais je te dirais que la plus grande partie de ma souffrance, c’est de penser à elle qui souffre… Elle souffre plus que moi.

« Mon frère. Lui aussi s’est converti. Puis, il y a l’entourage. Mes frères séminaristes et ceux de mon groupe de prière… Ils sont mes Simon de Cyrène… Ils ne me regardent pas en tant que malade ; ils vivent la maladie avec moi. Ils m’aident à porter ma croix.

« Les gens voient quelqu’un qui a une grâce – j’insiste pour dire que ce n’est pas moi, mais bien la grâce de Dieu. J’ai eu la grâce de prendre la croix. Je pourrais ne pas la prendre. Je peux choisir de ne pas la prendre… ou de la prendre… et de goûter au Ciel ! »

Admission

Certains jours sont plus difficiles. On ne voudrait pas de cette croix. Mais Ricardo continue à dire que Dieu le permet « pour purifier… car… je me rends compte, après l’événement qui a provoqué la crise, que ça venait chercher quelque chose en moi… une blessure. Alors, ce n’était pas en vain ! »

Quelle est ton espérance, Ricardo ?

La réponse fuse : « La vie éternelle ! »

Puis, un long silence.

« Dieu est maître de la vie. Maître de tout. Il peut faire un miracle s’il le veut… Mais… le miracle est déjà fait, Antoine… Le miracle, c’est que je sois en paix. Je m’en vais vers l’Amour. L’espérance, c’est que ce n’est pas la fin, mais le début de quelque chose de plus grand. J’ai eu la grâce de bien me préparer. Si le cancer a duré si longtemps, c’était pour me préparer. Bien des gens n’ont pas cette grâce. Je suis très reconnaissant. »

Raconte-moi un peu ce qui va se passer en fin de semaine, Ricardo.

« Hein ? Ahhh… oui… »

Ça va ? Tu tiens le coup ? Es-tu trop fatigué ? C’est ma dernière question. Promis.

« Oui… oui… ça va… c’est que j’ai la bouche tellement sèche… Eh bien… il y aura le rite de l’admission, au cours duquel je vais recevoir les ministères du lectorat et de l’acolytat. À partir de là, l’Église me reçoit officiellement comme séminariste ; je serai admissible aux ordres majeurs du diaconat et du sacerdoce… Je suis content… inquiet… c’est un moment important… l’Église m’accueille au moment où n’importe qui pourrait me refuser… Je me sens aimé par l’Église. »

***

Ricardo a endossé l’habit noir et le col romain du séminariste officiel. Le mercredi suivant cette brève entrevue, trois jours après avoir reçu les deux ministères, Ricardo Corea Cruz est mort, entouré de sa mère, de son recteur et de ses deux grands amis séminaristes.

C’était le 24 octobre 2012.

En apprenant sa mort, son groupe de prière a lancé une chaîne téléphonique. Tout le monde s’est retrouvé à la chapelle du séminaire avec les frères séminaristes. Ricardo y fut déposé et veillé en chapelle ardente jusqu’au lendemain matin.

Laurent, présent à son chevet au moment du décès, n’avait qu’une chose à dire : « Ce soir, j’ai vu mourir un chrétien. »

Un autre ami raconte : « Ricardo a eu ses moments de révolte par rapport à sa maladie. Mais chaque fois qu’il tombait, il se relevait avec l’aide du Christ et de l’Église pour continuer à se battre… non pas contre la maladie, comme on dit dans le “ monde ”, mais contre celui qui voulait le perdre dans cette épreuve. Le Christ a vaincu la mort et a donné à Ricardo la grâce de mourir avec la ferme espérance de la vie éternelle ! »

Sans jamais avoir connu Ricardo, et juste à entendre l’enregistrement de son entrevue avec Antoine, moi, je peux dire que j’ai vu un chrétien. ◊

Brigitte Bédard

D’abord journaliste indépendante au tournant du siècle, Brigitte met maintenant son amour de l’écriture et des rencontres au service de la mission du Verbe médias. Après J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée (2019, Artège), elle a fait paraitre Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit saint m’a emportée (Artège) en 2022.