Allons chrétiens, allons voir en Sicile
Ce que nos yeux n’ont jamais découvert ;
Nous trouverons dans cette fameuse ile
Au bout d’un bois, un rocher entrouvert
Dans ce réduit, nous verrons Rosalie.
Tout éperdue en Dieu, comme un Élie.
– Cantique à sainte Rosalie
C’est aujourd’hui la fête de sainte Rosalie. En Sicile, on la célèbre par des processions importantes et populaires. Portrait d’une princesse et d’une sainte aux vertus bien utiles en temps de pandémie.
Depuis quelques semaines, emprisonnée dans mon bureau, je perds plusieurs minutes par jour à contempler la reproduction d’un tableau achetée en Sicile, durant mon voyage de noces. Mon mari et moi, un peu par hasard, étions allés voir à Palerme une exposition sur sainte Rosalie, intitulée « Rosalia erit patronna in peste » (Rosalie était patronne dans la peste).
J’aimais le tableau. Pour me faire plaisir, mon mari a décidé d’en acheter une petite reproduction. Mais aujourd’hui, en ce temps de coronavirus, j’avoue qu’il me parait complètement nouveau. Le tableau semble plus profond, plus parlant.
La supplication des êtres humains qu’on y trouve m’apparait plus vraie, plus éminente. Il faut dire que je comprends mieux maintenant le sentiment de désarroi face à une épidémie…
Une princesse
À force de contempler mon tableau, j’ai eu envie de faire quelques recherches sur sainte Rosalie, qui aurait, selon la légende, libéré Palerme de deux épidémies de peste (1575-1576 et 1624).
Tant bien que mal, et malgré la fermeture des bibliothèques, j’ai réussi à trouver en format numérique une vieille biographie sur la sainte[1].
Son cœur, pourtant, la portait sans cesse ailleurs. Ainsi rapporte-t-on qu’elle quittait fréquemment les célébrations royales pour prier seule, dans la chapelle du palais.
Première surprise : Rosalie est née bien avant les deux épidémies de Palerme. La sainte a en fait vécu au milieu du 12e siècle.
Elle était la nièce du comte de Sicile (Roger 1er) et était considérée par le fait même comme une princesse. Adorée par sa famille, elle vivait heureuse dans un palais splendide, au milieu des richesses et des banquets.
Son cœur, pourtant, la portait sans cesse ailleurs. Ainsi rapporte-t-on qu’elle quittait fréquemment les célébrations royales pour prier seule, dans la chapelle du palais.
Un appel
La légende rapporte que, quelques jours avant le mariage arrangé qu’avait prévu pour elle sa famille, elle vit, en se regardant dans le miroir, le visage du Christ crucifié. (Certains vont jusqu’à assurer que cela se produisait toutes les fois qu’elle s’observait dans la glace.)
Motivée par l’appel du Seigneur et préoccupée par les vices de plus en plus fréquents du roi, elle décide d’abandonner son palais, pour entrer dans un couvent.
Là, elle n’y trouve cependant pas toute la solitude et la vie de sacrifice dont elle rêve. Ainsi quitte-t-elle le couvent et Palerme, pour aller s’installer, seule, dans une grotte près de Monreale, toujours en Sicile.
Elle vécut ainsi tout le reste de sa vie dans la précarité et la solitude, inscrivant sur les murs d’une grotte qui fut sa demeure : « Moi Rosalie de Sinibaldi, fille du Seigneur du domaine de Quisquina et des roses, par amour pour mon Seigneur Jésus-Christ, j’ai résolu de demeurer en cette caverne. »
Elle mourut seule, dans sa grotte, un 4 septembre. Et son corps ne fut retrouvé que cinq siècles plus tard.
Patronne dans la peste
Rosalie, après sa mort, fut déclarée sainte et patronne de Palerme.
Et ses mérites, croit-on, ne se réduisent pas à ses exploits terrestres. Car bien après sa mort, elle a, rapporte-t-on, par ses prières et ses invocations, libéré plusieurs fois les gens de Palerme (et aussi d’autres peuples ailleurs) de la maladie et des épidémies.
Mes amis italiens m’ont assuré, à ce propos, que la fête de sainte Rosalie en Sicile est un évènement d’envergure, presque « démentiel ». Des feux d’artifice, des parades, des reproductions géantes de la sainte trainées sur des chars allégoriques… Les célébrations pour Rosalie, en Sicile, égalent presque celles pascales !
En ces jours de coronavirus, certains édifices de Palerme affichent même sur leur devanture la figure de la sainte, accoutrée d’un masque, symbole de la pandémie actuelle.
Mais qu’est-ce donc qui la rend si exceptionnelle ? Et pourquoi y voir une figure privilégiée contre les pandémies ?
Pureté et charité
Deux vertus ressortent quand on lit la biographie de sainte Rosalie : pureté et charité.
Pureté, parce qu’elle est une jeune fille innocente, qui décide de quitter son palais, non pas pour expier ses propres péchés, mais pour expier en quelque sorte ceux des gens qu’elle aime.
Pureté aussi parce que, très tôt, elle abandonne l’esprit du monde. Même sur terre, elle vit déjà dans une autre réalité, pourrait-on dire.
En ce temps de pandémie, il y a là probablement une leçon précieuse pour tous : ce monde n’est pas le dernier, ni même le principal. Le bouleversement de nos routines lève le voile sur cette vérité profonde, me semble-t-il.
Charité, parce que Rosalie, se sentant profondément aimée par le Seigneur, souhaite ardemment aimer les autres comme Lui.
C’est le visage du Christ qu’elle voit dans la glace au lieu du sien. Et c’est la vie de sacrifice de Celui-ci qu’elle veut imiter. Ainsi, comme le Christ s’est donné pour les péchés de tous, de même s’offre-t-elle pour le monde entier.
Sans doute ce fort esprit de charité explique-t-il qu’elle soit une sainte privilégiée à évoquer en temps de faiblesse et de peur. Rosalie est visiblement une sainte pleine de compassion.
Demandons-lui, donc, pureté et charité, en ces temps de bouleversement.
Sainte Rosalie, priez pour nous !
[1] J. Lovell, Ste Rosalie patronne de Palerme : notice et neuvaine, Montréal : J. Lovell, 1874, 128 p.