Photo: courtoisie Pontifex
Photo: courtoisie Pontifex

Rap de prêtre


Si ce n’était pas de la chemise noire et du col blanc qui ceinture son cou, le « Father » Claude Burns, alias Pontifex, pourrait aisément se faire passer pour un bucheron. Barbe fournie, tempe rasée et chevelure courte soigneusement peignée, il a plus les allures d’un hipster que d’un homme d’Église…

Pourtant, lorsqu’on lui demande laquelle de ses identités vient avant, le rappeur ou le prêtre, sa réponse est instantanée. « Le prêtre, évidemment. C’est ce que je suis d’abord et avant tout. »

Get catholic or die tryin

Né en 1972 à Evansville, une petite métropole dans le sud de l’état d’Indiana, c’est à la fin de son cursus universitaire que Claude Burns ressent fortement pour la première fois l’appel de la prêtrise. « Je venais de terminer des études en psychologie à l’University of Southern Indiana. C’est arrivé rapidement. Je suis rentré en aout de la même année au séminaire. J’avais 25 ans. »

En plus des messes et des devoirs qui le lient à sa paroisse chaque fin de semaine, le prêtre est souvent sollicité pour venir partager sur la foi, l’Église et la religion. Des conférences durant lesquelles il en profite pour s’adonner à ses autres passions: les mots et la musique.

« C’est une autre composante de ma foi, mais parfois ça rend l’organisation de mon horaire très complexe. L’an passé par exemple, j’ai pris un vol pour New York afin d’assister à un évènement de Theology on Tap (des évènements où les jeunes adultes sont invités à échanger sur la foi autour d’un repas ou d’un verre). J’étais de retour en 48 heures pour donner la messe du samedi. Heureusement, avec l’avènement d’internet et la force des réseaux sociaux, ça me permet de rejoindre beaucoup plus de personnes. »

Au-delà des dogmes

Père Claude Burns ne se fait pas d’idée lorsqu’on lui pointe la baisse de fréquentations des églises et le déclin de la religion chez les jeunes. La solution selon lui ? Une nouvelle évangélisation.

Regardez le pape François, il n’a pas eu peur de parler et d’aller vers les gens. Il faut redire ce message, sortir de nos barrières si on veut ramener les gens à se tourner de nouveau vers l’Église.

« On ne peut pas simplement répéter les mêmes choses en espérant qu’elles changent, ça ne fonctionne pas. Jésus voulait que nous soyons près des gens. Et bien, moi, je crois qu’il faut que nous soyons radicaux dans l’amour que nous portons envers les autres ».

Si certains voient d’un mauvais œil l’approche que préconise le prêtre, la plupart, selon lui, sont réceptifs au travail qu’il fait. « Quand je reçois le témoignage de quelqu’un qui a écouté un de mes albums et qu’il me dit qu’il a arrêté la drogue pour se tourner vers le Christ, ça suffit à me rendre heureux. Bien sûr, il y a des gens pour qui la conception des devoirs d’un prêtre se limite à donner les messes et donc c’est dur pour eux de comprendre mon travail. »

L’Église a fait l’objet de nombreuses critiques dans les dernières années lorsqu’elle s’est prononcée sur des sujets comme le mariage gai, l’ordination des femmes ou encore la contraception. Sur ces questions, Père Claude Burns est lucide. « L’Église ne changera pas. Cela ne veut pas dire cependant que nous devons être dogmatiques et mettre notre poing sur la table. Nous devons garder ouvert ce dialogue, essayer de comprendre les souffrances qui peuvent affliger nos frères et sœurs qui vivent cette situation et ne pas oublier que l’Église est la plus grande défenseure de la dignité humaine. Il faut honorer cette tradition. »

Le bâtisseur de ponts

Pour composer ses chansons, Pontifex fait appel régulièrement à un de ses collaborateurs qui vit en Allemagne. « Il m’envoie des “beats” et je les écoute. Si je ressens quelque chose au bout de quelques minutes, je sais que je peux en tirer quelque chose et à partir de ce moment je commence mon processus de création. »

Le prêtre se dit autant inspirer par des chanteurs comme Bob Dylan, Leonard Cohen ou encore Johnny Cash que par Kanye West. « J’adore leur style, mais pour moi qui suis issu du hip-hop, le génie, c’est Kanye West. J’admire sa technique, son son et sa personnalité flamboyante. En plus, il a ce côté Midwest qui vient me chercher. »

Le prêtre se tient à l’affut des nouveautés afin de pouvoir faire évoluer son propre style musical. Dans ces moments de recherche, il écoute de tout ou presque. « Je n’ai aucun problème à écouter du ASAP Rocky ou du Drake un moment. Ce qui m’achève bien souvent, c’est leur contenu. Il ne faut pas pour autant fermer son esprit. Prenez par exemple saint Thomas d’Aquin qui n’avait pas hésité à son époque à étudier la philosophie d’Aristote alors que tout le monde en avait peur. Et bien, il a utilisé la philosophie pour façonner sa propre définition de l’Église ». Il laisse échapper un rire. « Je ne dis pas que Drake ou Kanye West soit comparable à Aristote, mais le principe est le même. »

Le plus important, pour lui, c’est de ne pas tomber dans la parodie.

Je ne voudrais pas être simplement une version catholique d’une chose. Je ne veux pas être un cliché. Je veux que ça soit authentique. »

Des projets en préparation ? « Un livre, sur l’importance du dialogue entre les cultures que j’aimerais bien entreprendre cette année. » Et pourquoi « Pontifex » ? « Un professeur du séminaire m’avait expliqué comment un prêtre était le lien entre Dieu et les personnes. Pontifex signifie bâtisseur et j’aimais bien l’idée de bâtir un nouveau pont entre l’Église et les gens. »

Jeffrey Déragon

Passionné par l’être humain et par son histoire, Jeffrey termine son baccalauréat en journalisme à l’UQAM. Quand il n’est pas dans les livres ou au cinéma, c’est à moto ou sur ses deux pattes qu’il parcourt les routes que la vie veut bien placer sur son chemin. Dans ces moments privilégiés, il aime bien partir à la rencontre de l’autre, s’immiscer un instant dans le quotidien des gens, avec son appareil photo pour compagnon.