holocauste
Illustration: Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Olivier Giroud-Fliegner: «L’Holocauste a causé plus de 50 morts dans ma famille»

Pourquoi autant de souffrance dans une vie humaine? La question est légitime, cruciale, surtout quand sa propre mère et sa grand-mère ont été persécutées et cachées injustement, au nom de leur origine juive pendant l’Holocauste. L’existence du mal a taraudé toute sa vie le pianiste et philosophe Olivier Giroud-Fliegner. Jusqu’à ce qu’il découvre la réponse à tous ses maux en une révélation, au terme d’une quête périlleuse.

La recherche de sens d’Olivier Giroud-Fliegner, 53 ans, est inscrite dans son patrimoine, au cœur de son histoire familiale. Le philosophe et pianiste d’origine française aujourd’hui établi à Montréal me raconte un périple qui dépasse les frontières et remonte loin dans le temps.

Les sévices de la Seconde Guerre mondiale affectent directement ses propres parents. Né d’une mère juive ayant connu les camps de concentration et d’un père français ayant subi l’Occupation, il a été habité par les secousses d’une haine destructrice et, par ricochet, du rejet de Dieu.

Rescapés de la guerre

Son père traverse une enfance douloureuse. Sa sœur ainée meurt en bas âge, une perte qui mine le moral des parents. Enfant, son père ne reçoit pas l’affection dont il aurait besoin. Puis la guerre éclate:

«En 1939, mon père avait 11 ans. À cet âge, on comprend beaucoup de choses. Il a vu l’effondrement du monde. Il voulait s’engager dans la Résistance, mais sa mère s’accrochait à ses pieds en lui disant qu’elle n’accepterait pas la mort d’un deuxième enfant. Ça a été un grand regret pour lui.»

Pendant la guerre, le public ignore les détails de l’Holocauste. On voit des gens disparaitre, les rumeurs courent, mais la rétention d’informations ne permet pas de brosser un tableau complet de la situation dans les camps. Le procès de Nuremberg dévoile l’ignominie au grand jour. Pour le père d’Olivier, il s’ensuit une profonde blessure identitaire.

Sa mère, quant à elle, se retrouve du côté des persécutés. Juive ashkénaze originaire de la Galicie orientale (ouest de l’Ukraine), elle échappe par deux fois à une fin brutale.

«Quand les Allemands sont entrés en juin 1941, ça a été le début de l’enfer.»

«Quand les Allemands sont entrés en juin 1941, ça a été le début de l’enfer. Il y a eu plus de 50 morts dans la famille à cause de l’Holocauste. Mon grand-père a été assassiné dans le camp de Belzec, en Pologne.»

Sa mère et sa grand-mère sont enfermées dans un ghetto de la ville polonaise. Par une chance inouïe, des personnes négocient avec des nazis pour les en sortir. Avec leurs faux papiers, elles réussissent à se cacher dans une résidence à Berlin. Elles doivent en sortir durant la journée et y revenir le soir venu. Mais quelqu’un les soupçonne et les dénonce. Prise de court, la grand-mère répond mal à l’interrogatoire de l’officier allemand. Elle serait censée être la tante de la jeune fille avec elle et non la mère. Déportées dans un sous-camp de Ravensbrück situé dans les environs, elles y passent quelques mois.

Elles seront libérées une seconde fois.

«Il se trouvait quelqu’un qui n’était pas convaincu qu’elles avaient quelque chose à faire là. Il ne savait pas d’où venaient ces deux femmes là. Le physique les a beaucoup aidées: ma mère était blonde aux yeux bleus et ma grand-mère rousse, comme un tableau de Klimt vivant. Leur libération a tenu à très peu de choses.»

La quête des origines

À l’issue de la guerre, les parents d’Olivier se rencontrent sur une plage, en Bretagne, en 1956. Si l’amour entre eux est fort, les blessures communes les rapprochent tout autant: les reproches à Dieu, les séquelles de l’Holocauste.

«Naturellement, quand je suis né, mes parents ont décidé de ne pas me faire baptiser ni circoncire. Ils se sont dit: l’enfant choisira. Du coup, j’ai grandi dans un univers en apparence athée, où personne n’allait à l’église ou à la synagogue.»

Sur le fond des horreurs vécues, la foi de sa grand-mère maternelle brille comme une chandelle en pleine nuit. Son témoignage l’inspire. La pieuse dame ne déroge pas de sa foi en Dieu le Père jusqu’à sa mort. Enterrée dans un cimetière juif orthodoxe, elle l’est à la façon juive: dans un drap blanc, sur une planche, comme le fut Jésus, me fait remarquer mon interlocuteur.

Cet article est tiré de notre numéro spécial BÉATITUDES. Abonnez-vous gratuitement en cliquant sur la bannière.

Malgré ce contexte familial principalement athée, Olivier vit un éveil spirituel à l’âge de 11 ans. À ce moment, il désire s’approprier son héritage juif. Sans hésiter, il met la main sur la Torah de la bibliothèque familiale. Il dévore le récit du livre de la Genèse, il est touché de plein fouet.

«La puissance de Dieu quand il crée le monde! Il a tout créé, il a tout fait… donc il m’avait fait aussi. C’était fabuleux. Ma vie a commencé à changer à ce moment-là. J’ai décidé de faire ma bar-mitzvah [cérémonie religieuse marquant le passage à l’âge adulte] et de me faire circoncire. Mes parents ont accepté.»

Avec son grand-père adoptif – un juif allemand que sa grand-mère a épousé en secondes noces après la guerre –, Olivier apprend l’hébreu. Il célèbre avec lui la Pâque juive, fréquente la synagogue. Jusqu’à ce que la question de la souffrance finisse par le rattraper.

Le mal de vivre

À la fin de son adolescence, à partir de 1989, le sujet de la guerre refait surface plus que jamais dans la mémoire collective. La sortie du documentaire Shoah de Claude Lanzmann ravive les souvenirs vifs et douloureux par de nombreux témoignages crus qui révèlent l’infamie.

«La question de l’Holocauste devenait omniprésente. C’est là qu’on a commencé à savoir plus de choses. J’ai vu à quel point ça a été l’enfer, et ma mère l’a vu de près. J’ai le syndrome de la deuxième génération. Nous sommes des enfants de persécutés. C’est totalement imprimé en nous. C’est arrivé à un point où je ne pouvais plus vivre. J’ai commencé à perdre la foi, la relation avec Dieu le Père. Ma mère vieillissait, mais elle n’avait toujours pas de réponse. Et moi, j’avais mes propres problèmes. Je suis resté célibataire, sans enfants, mes parents ne sont pas devenus grands-parents.»

«J’ai le syndrome de la deuxième génération. Nous sommes des enfants de persécutés. C’est totalement imprimé en nous. C’est arrivé à un point où je ne pouvais plus vivre.»

Pour sauver le peu de foi qu’il lui reste, il tente le tout pour le tout. Il émigre en Israël, au début de 2001. Mais après un séjour «mi-figue mi-raisin» dans un contexte politique tendu où éclatent les bombes, Olivier ne retrouve pas sa foi originelle. En année sabbatique, l’argent lui manque. Au terme d’un séjour où il n’arrive plus à prier dans une synagogue et se contente de jouer de l’orgue dans l’église du Sépulcre de la Sainte Vierge, il décide de s’envoler vers Montréal pour rejoindre une amie. Sur la Place des Arts, il se sent mystérieusement à sa place, même si le Canada est une contrée tout à fait inconnue.

Un miroir dans une grotte

Quelques années plus tard, des amis français de passage à Montréal l’invitent à Lourdes. En tant que Juif, il ne sait pas pourquoi il se rendrait dans un lieu de pèlerinage catholique. Ses amis insistent et il accepte… pour une seule journée.

«On arrive devant la grotte de l’apparition. La statue est en haut, c’est tout petit, tu touches les murs et tu t’en vas. Je fais la queue, je rentre, et là, Marie m’attend avec un miroir. C’est métaphorique parce que je n’ai rien vu. Mais j’ai été accablé par la misère de ma condition. Je suis sorti de là en larmes, je pleurais devant tout le monde. Je dis: “Je ne sais pas ce qui s’est passé ici à l’époque, mais je vous confirme qu’il s’est passé quelque chose (rires).” Et mes amis de répondre: “C’est gentil de nous confirmer que Bernadette a bien vu Marie!”»

holocauste
Illustration: Marie-Pier LaRose/Le Verbe

Quelques mois plus tard, il trouve par terre, au milieu d’un centre commercial, une image pieuse de Marie. Un clin d’œil du Ciel qui le fortifie dans sa dévotion nouvelle. Olivier se dit toujours juif, mais Marie apparait en arrière-plan.

La descente aux enfers

La souffrance, pourtant, se fait de plus en plus vive. Sa mère tombe malade. Sa relation avec elle se détériore. Elle meurt, dans la démence et le tourment des questions en suspens. Olivier devient très affecté par le deuil de sa mère, et sa santé morale et physique fragilisée l’étiole.

«J’avais l’intention d’en finir. J’appelais à une ligne d’écoute pour le suicide à Montréal et on me disait de ne plus appeler, mais de consulter. Je ne parlais plus à Marie à ce moment-là et c’était la descente aux enfers. Ce que je trouvais difficile était le deuil que je vivais mal, les conflits non résolus et l’absence de réponses sur la souffrance qui devenait ma question maintenant.»

Olivier fait des fièvres, des lombalgies et finalement un incident cardiaque. À son travail, on lui propose d’aller à la maison Monbourquette, spécialisée dans l’accompagnement du deuil. Durant un an, il travaille sur les étapes psychologiques de son deuil. Mais toujours, il a soif de plus. Pour ses questions d’ordre religieux, on lui conseille d’aller voir un prêtre.

Un soir (pas) comme les autres

En 2017, à Noël, sa situation ne s’améliore pas. Son état de santé bat encore de l’aile et il se retrouve sans issue.

«J’ai alors demandé à Dieu qu’il me donne le signe que ça irait mieux bientôt, car je n’allais plus tenir très longtemps. Un mois après, à la fin de janvier, tout d’un coup, comme ça, dans mon appartement, ça m’est tombé dessus. Le Christ était la réponse à toutes choses. Dans mon appartement, je me suis dit: c’est lui, c’est Jésus, la réponse à la souffrance. Et quand Jésus est entré, toute l’Église est entrée avec lui, il y a des centaines de saints qui sont entrés dans les mois qui ont suivi.»

«Le Christ était la réponse à toutes choses. Dans mon appartement, je me suis dit: c’est lui, c’est Jésus, la réponse à la souffrance.»

Le lundi matin, première heure, Olivier passe un coup de téléphone à l’archidiocèse pour demander le baptême des adultes. Le lendemain, le curé de sa paroisse l’appelle pour entamer un cheminement spirituel. Les premiers mois, il se rend à l’église tous les dimanches en gardant secrète la conversion qui vient de changer sa vie. Puis l’année suivante, il reçoit le baptême, la communion et la confirmation comme une amnistie totale.

«J’ai compris par après que c’est Dieu qui nous donne la grâce. Si nous pouvons aimer autrui, c’est parce que Dieu nous en fait le don. Si nous pouvons nous convertir à Jésus, c’est parce que Dieu permet que nous le rencontrions. En 2018, j’ai été sauvé en accueillant le Christ comme réponse ultime à la souffrance. En 2019, j’ai été absout. Ça m’a fait exactement comme un condamné qui apprend qu’il est amnistié. En 2020, j’ai reçu cette guérison que je n’avais pas demandée, par rapport à toute mon histoire familiale, par l’intercession de saint Charbel. Il n’y a pas d’explication, c’est la grâce, la puissance de la grâce qui m’a sauvé.»

L’amnistie de la croix

En 2021, Olivier dit traverser une période de désert spirituel. Mais si la souffrance est pénible, il ne la décrit pas comme celles d’autrefois et qui ont torturé ses parents.

«Quand Dieu se manifeste, c’est plein de blanc. Je vis la nuit de celui qui ferme les yeux parce qu’il y a trop de lumière. De nouveau, depuis deux mois, je souffre. Je ne souffrais plus depuis trois ans, mais la souffrance est différente. C’est une souffrance que je comprends et que j’arrive à accepter. La passion du Christ m’aide à la comprendre.»

Cette fois, la nuit n’est plus opaque. La croix l’illumine.

Sarah-Christine Bourihane

Sarah-Christine Bourihane figure parmi les plus anciennes collaboratrices du Verbe médias ! Elle est formée en théologie, en philosophie et en journalisme. En 2024, elle remporte le prix international Père-Jacques-Hamel pour son travail en faveur de la paix et du dialogue.