Monique
Photo: Avec l'aimable autorisation de Monique A. Papatie

Monique A. Papatie, survivante des pensionnats

Petite valise toute neuve à la main, Monique avait cinq ans quand elle est montée dans l’autobus pour le pensionnat autochtone de Saint-Marc-de-Figuery, pas très loin d’Amos1. Son oncle lui avait aussi acheté une belle paire de chaussures, des chaussettes, et un gilet. Sa maman lui avait même confectionné, pour l’occasion, une magnifique jupe traditionnelle.

Cet automne-là serait différent de tous les autres. Monique, comme tous les enfants de la communauté de Kitcisakik, ne retournerait pas en forêt pour l’hiver.

De nomade à sédentaire 

Âgée de 69 ans, Monique A. Papatie se souvient d’avoir beaucoup pleuré à son arrivée. «Ce qui m’a marqué le plus, c’est quand les religieuses m’ont enlevé mes vêtements. On me les a rendus à la fin de l’année, mais ils étaient trop petits… Elles auraient pu au moins me laisser ma jupe, mais on ne pouvait pas, on devait porter l’uniforme. On nous a coupé les cheveux courts, comme des garçons2, raconte-t-elle, avec sa voix toujours si douce.»

La petite nomade anishnabe3devait devenir sédentaire et passer ses journées entre quatre murs. Elle était pourtant née en forêt, et dans une tente en plus! Une tente style prospecteur, doublée, faite pour l’hiver, pas plus grande que trois mètres par quatre, avec une ouverture pour le chauffage.

Son père, Louis Eusèbe Anichinapéo, chauffait au bois. Pour se protéger du froid, on isolait le tour de la tente avec de la mousse ramassée à l’automne. Puis il fallait tapisser l’intérieur avec du sapinage. Ça sentait bon.

La famille trappait et chassait tout l’hiver. Dès sa naissance, Suzanne, sa maman, la gardait au chaud dans son tikinagan(porte-bébés en bois) jusqu’à l’âge d’un an: c’est la coutume algonquine depuis toujours. Pour laisser Suzanne travailler à dépecer les castors, son père la prenait avec lui dehors, au froid, et elle le regardait travailler.

«Les bébés prenaient des forces et s’habituaient au froid. On mangeait de la viande sauvage chaque jour. Quand il ne restait plus de lait, ma mère nous préparait le bouillon d’orignal», explique Monique, qui répond avec patience à toutes nos petites questions.

Monique
Photo: Avec l’aimable autorisation de Monique A. Papatie

«Tout ce que je te raconte là, c’est ma mère qui me l’a dit. Moi, je ne savais plus rien de ma manière de vivre autochtone. C’est elle qui m’a tout appris, bien plus tard, après que j’ai fait la paix avec elle, mon passé, les religieuses et le reste.» 

À la fin de sa première année au pensionnat, à l’été 1957, de retour à la presqu’île du Grand Lac Victoria, à Kitcisakik, petit village où la communauté anishnabe se regroupe pour passer l’été, la petite Monique cherche son papa du regard. Elle apprend qu’il «est retourné au Ciel avec son Créateur». Il était décédé durant l’année, mais les autorités avaient refusé de lui transmettre la nouvelle…

Monique retrouve alors un peu sa vie anishnabe. On ne chassait plus, ni ne trappait; l’été, c’était la pêche. La plupart des familles possédaient leur propre filet. L’orignal était rare, mais si une famille en avait, elle le partageait avec les autres.

À la fin de l’été, il faut retourner au pensionnat. Cette fois, sa petite sœur Marie l’accompagne. «Je ne voulais pas y retourner, raconte Monique. Je me suis sauvée dans les bois avec ma valise, mais mon oncle m’a rattrapée et m’a remise dans l’autobus. 

– Et ta petite sœur? 

– Ah! Ce jour-là, ça me fait encore mal. L’autobus roulait et ma petite sœur pleurait en répétant ‘‘Djodjo! Djodjo!’’ (maman en anishnabe). Je l’entends encore…»

Survie en forêt

Quand on dit que Monique est une des «survivantes» des pensionnats autochtones, le mot n’est pas trop fort. Le chemin que cette femme a dû parcourir, à l’image de milliers d’autres autochtones, est digne de la survie. 

Les chefs ont dit oui à l’éducation, c’était bon, mais aucun n’avait prévu que ce serait des « écoles de réforme ». Ils ont été trompés, autant que les religieux qui ont accepté de diriger les écoles»

– Soeur Renelle Lasalle

Il y a d’abord eu la colère et l’incompréhension des enfants envers leurs propres parents.4Monique, comme tous les enfants du monde, aurait souhaité que ses parents agissent autrement, qu’ils se battent pour elle. 

Ce n’est que bien plus tard, alors que la vérité sortait au compte-gouttes, qu’on a compris que les parents ne pouvaient rien faire.

«Le gouvernement canadien s’était allié certains chefs pour convaincre les autres de l’importance de l’éducation. Les chefs ont dit oui à l’éducation, c’était bon, mais aucun n’avait prévu que ce serait des « écoles de réforme ». Ils ont été trompés, autant que les religieux qui ont accepté de diriger les écoles», nous explique sœur Renelle Lasalle, s.s.c.j.m., qui a été missionnaire à Kitcisakik et au Lac-Simon pendant douze ans.

Dès 1933, des agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) avaient été nommés «agents de surveillance» par la Loi sur les indiens, pour pouvoir contraindre les enfants à fréquenter les pensionnats et y ramener les fugueurs5. Après l’ouverture du Pensionnat Saint-Marc, la GRC venait en bateau et en avion pour prendre les enfants.

«Des parents se sauvaient dans les bois avec leurs enfants, poursuit Monique. C’était difficile pour la police de prendre les enfants dans la forêt, mais comme le curé connaissait tous les enfants, c’était facile de savoir qui manquait… Nous, on était restés à Kitcisakik. Ça a été facile de nous prendre.»

Le gouvernement promettait un chèque de 8$ par mois par enfant. L’argent a pris trois ans à venir. Devenue veuve, Suzanne, la mère de Monique, devait assumer seule la subsistance de sa famille. Elle offrait des services ménagers en échange de farine et de patates et fabriquait des mocassins pour la Compagnie de la Baie d’Hudson.

Pendant deux ans, elle a travaillé dans un poulailler aux États-Unis. Elle se consolait en se disant qu’au moins, ses filles étaient au chaud et mangeaient tous les jours.

…Et au pensionnat

Au pensionnat, la langue anishnabe était interdite; on le parlait en cachette pendant la récréation. Quand une sœur venait à passer, on se mettait au français.

Monique
Photo: Avec l’aimable autorisation de Monique A. Papatie

«Quand une sœur me parlait, je la regardais sans rien dire, se rappelle Monique. Je ne comprenais rien. C’est ma cousine qui m’a aidée. J’étais très malade la première année; je ne mangeais pas, ma mère me manquait. Grâce à ma cousine, j’ai retrouvé le gout de vivre, et l’appétit.»

Les sœurs surveillaient tout. «Des vraies gendarmes!, me lance Monique en riant. Elles surveillaient si on avait tout mangé, si on avait mis nos bottes, si on avait brossé nos dents (en nous ouvrant tout grand la bouche). Elles restaient plantées à la porte des lavabos pour voir si on se lavait bien… Jamais de câlins, jamais de tendresse… Il y en a eu, des sœurs gentilles, mais ces sœurs-là, elles étaient vite renvoyées.» 

Monsieur Garon, le concierge, lui était venu en aide. «J’avais trop faim, alors j’avais volé du pain. J’avais été punie à rester trois heures à genoux dans le corridor sans dormir. Si on s’endormait, on devait reprendre nos heures manquées le lendemain. Je m’étais endormie, et Monsieur Garon m’avait dit: ‘‘Eh! Remets-toi à genoux! Si la sœur te voit couchée, ce ne sera pas drôle pour toi!’’»

Les enfants goutaient à la règle régulièrement. Pas Monique, mais les autres, très souvent. On n’a pas besoin d’avoir subi une maltraitance pour être traumatisé; il suffit d’en avoir été témoin. 

La paix d’une brave

Si Monique n’avait pas placé le pardon au cœur de son cheminement, elle le dit elle-même, elle n’aurait pas survécu. 

À la fin du primaire, Monique et Marie décident de poursuivre leurs études au secondaire à Amos.

«Ma mère nous a encouragées, car elle ne voulait pas qu’on finisse comme elle, dans la misère. De fait, nous sommes devenues enseignantes! Nous avons été placées en famille d’accueil, chez madame Rioux, une Québécoise, très gentille. J’ai aimé ma famille d’accueil. On avait le haut de la maison pour nous toutes seules, avec deux autres autochtones qui venaient des environs.»

Après ses études au Collège Manitou à La Macaza, puis à l’université de Chicoutimi, Monique épouse Éloi Papatie et le couple s’installe au Lac-Simon. Alors qu’ils roulent en voiture, survient un accident. Le couple s’en sort indemne, mais le bébé que Monique portait n’a pas survécu. Ils n’ont jamais pu avoir d’autres enfants; Éloi, soudainement, tombe malade. Diagnostic: cancer des os. 

Monique enseignait à l’école primaire du Lac-Simon le jour et prenait soin de son mari la nuit.

«Il souffrait le martyre. La nuit, je marchais un peu avec lui dans la maison; ça le soulageait. J’arrivais en retard à l’école, la direction me tombait dessus, je dormais sur mon bureau. J’avais 25 ans! Comment j’ai fait? J’ai pu surmonter tout ça parce qu’il y avait quelqu’un qui marchait avec moi… À cette époque, j’avais peu de foi, mais Dieu était là quand même! Souvent, je témoigne de ça au gens découragés par la maladie dans leur famille.»

À la mort d’Éloi, après neuf ans de mariage, Monique se jette à corps perdu dans l’alcool. La mort de son mari, «c’était la fin du monde». Elle buvait du vendredi soir jusqu’au dimanche après-midi, mais le lundi matin, elle était au travail.

C’est alors qu’elle fait une journée de ressourcement, à Rouyn-Noranda.

«J’ai prié Kateri Tekakwitha de tout mon cœur. À la confession, j’ai raconté au prêtre pendant 30 minutes tout ce que je faisais de pas correct! Il m’a touché au front en priant, et pow! je suis tombée par terre! J’ai senti la présence de Dieu. Extraordinaire! J’ai été en thérapie, j’ai cessé de boire, et j’ai commencé à prier beaucoup.»

Un chemin de réconciliation s’ouvrait pour Monique, à commencer par sa mère à qui elle devait pardonner de l’avoir envoyée au pensionnat. «Ma mère n’a jamais critiqué personne. Elle m’a expliqué comment les choses se sont passées. Je comprenais mieux. Elle m’a appris à pardonner. Elle disait: « Au moment de la mort, les agresseurs vont tous se retrouver devant le même Créateur que moi. » Tout ça m’a ouverte au pardon.»

Retour aux sources

À 50 ans, Monique voulait aller plus loin. Elle décide de prendre sa retraite et de partir vivre en forêt avec sa mère pendant un an.

«Je voulais vivre ce que ma mère avait vécu. Elle m’a tout appris sur ma culture autochtone: comment dépecer le castor, plumer les perdrix, faire le bouillon d’orignal, les vertus des plantes médicinales, poser les collets; toutes les connaissances que j’avais perdues en allant au pensionnat. J’ai adoré vivre cette expérience. Ça m’a revalorisée.» 

Après la mort de sa mère, Monique a poursuivi ses connaissances avec sa belle-sœur Mani, toujours en forêt. Sa vie? C’était parcourir la forêt en motoneige pour poser ses pièges, trapper le castor, le rat musqué, le vison, le lièvre, le renard et le lynx, et laver son linge avec de la neige fondue.

En 2008, le conseil de bande du Lac-Simon lui a demandé d’enseigner aux enfants en forêt. Avec joie, elle les y entrainait une journée par semaine: botanique, pain banique, raquette, pose de collets, chasse, sirop et tire d’érable. «En vivant au village, on perd tout ça, explique Monique. Je ne peux plus faire ça à mon âge. Ce sont les jeunes qui enseignent maintenant.»

Monique
Photo: Avec l’aimable autorisation de Monique A. Papatie

Mais même si elle n’a plus la forme pour ces ateliers de transmission, l’énergie ne semble pas manquer pour s’engager autrement dans sa communauté. Après le départ des Oblats en 2011, les prêtres de Val d’Or avaient pris la relève du ministère, mais depuis deux ans (et une pandémie), les prêtres ne sont plus disponibles; ils viennent sur demande pour les baptêmes, les funérailles et les mariages. C’est donc Monique qui a pris en charge la vie de foi de sa communauté.

Chaque été, elle se rend au Grand Lac Victoria comme animatrice de pastorale, mandatée par l’évêque de Rouyn-Noranda. Elle anime la prière dans la petite église Sainte-Clotilde6. L’église se remplie de catholiques «traditionnels» et de pentecôtistes. «On a un grand respect pour les aînés catholiques; on ne jouera pas le tambour dans l’église. Le son du tambour doit résonner dans tout l’univers, par respect pour notre Créateur et sa Création.»

Malgré le contre témoignage odieux des prêtres et des religieuses de l’époque, Monique croit toujours. «La prière, la foi, ça vient de ma grand-mère. C’était là avant le pensionnat. On se mettait à genoux en famille tous les jours pour prier. Mon père chantait des cantiques à l’église, et il enseignait l’évangile. Il nous racontait la vie de Jésus.»

Identité et réconciliation

En partageant son histoire et en se réappropriant son identité, avec l’aide des anciens anishnabek, Monique a une réflexion apaisée.

En 2013, à Val d’Or, quand elle a témoigné pour la Commission Vérité et Réconciliation, elle a tenu à le faire en compagnie de sœur Renelle Lasalle, devenue une vraie amie. Elle voulait montrer que les sœurs, les religieux, les tigoji (hommes blancs), ne sont pas tous également responsables.

«Il faut faire la différence, dit-elle. Ce n’est pas sœur Renelle qui m’a fait du mal; ce sont d’autres religieuses. Les anciens le répètent: de la maltraitance, il y en avait partout. Bien des petits enfants blancs, placés dans des hôpitaux ou des pensionnats, ont subi des sévices, et sont même disparus.»

«Les chefs ont expliqué que ce n’était pas « l’Église » le problème, et que ça faisait très longtemps tout ça, que les temps avaient changés, que la vengeance empirait les choses.»

Quand on brulait les églises au Canada au printemps 2021, en réaction à la découverte d’images radar suggérant la présence de 215 corps d’enfants sur les terrains du pensionnat de Kamloops en Colombie-Britannique, un jeune de Lac-Simon en colère a voulu bruler l’église aussi.

«Les chefs ont expliqué que ce n’était pas « l’Église » le problème, et que ça faisait très longtemps tout ça, que les temps avaient changés, que la vengeance empirait les choses.»

Monique est retournée sur les lieux du pensionnat. À genoux, elle a prié pour que Dieu accorde son pardon à tous, sans exception. 

Elle vit au jour le jour, au gré des saisons, dans sa maison du Lac-Simon. Les fins de semaines, elle va dormir en forêt dans son camp de bois-ronds. Elle se passionne pour la couture. Elle y met tout son cœur.

Monique confectionne de magnifiques jupes traditionnelles.

Brigitte Bédard

D’abord journaliste indépendante au tournant du siècle, Brigitte met maintenant son amour de l’écriture et des rencontres au service de la mission du Verbe médias. Après J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée (2019, Artège), elle a fait paraitre Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit saint m’a emportée (Artège) en 2022.