Mes parents se sont séparés quand j’avais quatre ans. Je n’ai aucun souvenir d’eux avant leur séparation. Je ne sais pas comment ils étaient ensemble.
Je me souviens confusément de l’annonce de leur séparation. Je me rappelle avoir pleuré. Beaucoup. Je me souviens avoir senti un vide immense se creuser dans mon cœur. Un trou en apparence impossible à remplir de nouveau.
Je me souviens avoir pensé que n’importe qui peut nous abandonner n’importe quand.
J’ai pensé que je devais être une grande fille. M’occuper de moi-même et de mes affaires. « Tu es seule maintenant », ai-je murmuré dans mon cœur.
Partout, on m’a rassuré en affirmant que leur séparation était normale. « C’est pour ton bien. Tu ne voudrais pas voir tes parents se chicaner tout le temps. »
Selon cette optique, j’aurais été injuste de leur en vouloir, d’être en colère.
Encore l’autre jour, je lisais dans La Presse une super professeure d’université nous assurer qu’on sait aujourd’hui que la séparation n’engendre pas nécessairement d’impact négatif sur les enfants. Je me demande bien qui se cache derrière ce « on sait »…
Ne pas s’attacher
Avoir des parents séparés, ça m’a donné l’impression durant longtemps d’être plus forte émotionnellement que les autres enfants. Je me rappelle d’avoir un peu méprisé une de mes amies, incapable de passer une nuit à l’extérieur de chez elle sans appeler sa mère et sans pleurer.
Je me souviens ne pas avoir compris toutes les autres petites filles au camp de vacances avec moi l’été, qui écrivaient de longues lettres à leurs parents, après seulement une semaine à l’extérieur. Moi, j’aurais en fait voulu passer l’été au camp de vacances…
Je vivais […] avec l’impression que je serais un jour ou l’autre abandonnée.
Je ne m’ennuyais jamais vraiment de mes parents. J’étais habituée à toujours vivre sans l’un ou l’autre.
J’aimais mes parents. Vraiment. Mais pas comme des parents à part entière. Ils étaient séparés et vivaient comme des moitiés indépendantes. Confusément, dans mon cœur, ils étaient donc aussi en un sens des moitiés de parents, des moitiés indépendantes. Comme s’il manquait quelque chose.
Une prise de conscience
C’est seulement au Cégep, en me convertissant à la foi chrétienne, que j’ai compris combien je souffrais de ce vieil évènement, vécu à quatre ans.
J’ai compris que je vivais toujours avec l’impression que je serais un jour ou l’autre abandonnée. Avec l’impression que tout le monde s’en va un jour et que l’amour éternel est impossible.
J’ai compris que je ne m’attachais jamais non plus complètement aux autres. Comme un atome qui croise un autre atome.
La séparation et notre société
Mes parents m’ont aimé, m’ont donné tout ce dont j’avais besoin. Ils sont venus me voir jouer au soccer, m’ont encouragée dans mes études, m’ont acheté de nombreux livres…
Ils ne m’ont pas battue. N’ont rien fait de mal contre moi. Ils ont respecté tout ce que la société d’aujourd’hui demande à de bons parents. Mes parents m’ont même laissé m’habiller en petit gars jusqu’à 12 ans, par respect pour ma liberté.
Ils ne se sont simplement pas aimés assez pour demeurer ensemble. Et la société soutient que c’est normal. Pas souhaitable, mais normal. « Ça arrive. On ne contrôle pas tout dans la vie ! » dit-on.
« On s’est aimé comme on se quitte, tout simplement sans penser à demain. » Cette chanson de Joe Dassin me fait toujours penser à mes parents. Et au monde d’aujourd’hui.
L’amour familial trinitaire
Et pourtant, quand on y pense, rien ne réjouit plus le cœur d’un enfant que l’amour de ses parents l’un pour l’autre.
« Quoi donc procure plus de joie et de sécurité à l’enfant, sinon l’amour de ses parents l’un envers l’autre ? Cet amour compte plus pour lui, inconsciemment, que d’être aimé par eux. Le père et la mère peuvent aimer, séparément, autant qu’ils veulent leur enfant. Mais s’ils ne s’aiment pas entre eux, rien ne pourra empêcher l’enfant d’être, dans le profond de son cœur, malheureux et inquiet de leur amour. L’enfant ne veut pas être aimé d’un amour différent et à part, mais veut être admis à l’amour avec lequel son père et sa mère s’aiment entre eux, conscient qu’il tire de cet amour même son origine. » (Raniero Cantalamessa, La vita in Cristo, p. 22, ma traduction)
J’ai été adoptée
Heureusement, désormais, je ne me sens plus orpheline. J’ai été adoptée.
J’ai un père spirituel, qui m’aime plus que je n’ai jamais été aimée.
J’ai aussi une famille dans l’Église. Des amis extraordinaires, sur qui compter.
Puis j’ai un mari qui m’a promis fidélité, dans le bonheur, comme dans le malheur. Dans la santé, comme dans la maladie.
Et j’ai un Père dans les Cieux, de qui provient toute paternité et de qui je ne serai jamais séparée.
« J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abimes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur. » (Rm, 8, 38-39)
Et ma foi me permet même aujourd’hui de pardonner mes parents. De les retrouver, sous un nouveau visage.