Petit prophète du Centre-Sud
Daniel Paradis (photo par Yves Casgrain)

Le petit prophète du Centre-Sud

En 1997, tel un pèlerin qui prend la route sans trop savoir vers où Dieu le guide, Daniel Paradis est venu vers la grande ville, vers Montréal, lieu riche en possibilités de toutes sortes. Comme seul bagage, un appel: l’appel prophétique à travailler auprès des exclus du rêve américain « made in Quebec ». Près de vingt ans plus tard, Daniel se retrouve à la tête de Présence Compassion, une organisation catholique qui intervient auprès des gens de la rue du secteur Centre-Sud.

Nous sommes jeudi. Il fait beau. La température est douce. Le soleil est au rendez-vous et répand sa chaleur sur le parc Émilie-Gamelin situé à proximité du métro Berri-UQAM.

Récemment revampé, ce parc attire une nouvelle faune urbaine, plus jeune, plus branchée. J’ai rendez-vous avec Daniel à 14 h. J’ai quinze minutes d’avance. La musique enveloppe le parc. Le casse-croute haut de gamme fait sentir sa présence. Les passants ne se doutent de rien, mais dans quelques minutes, une petite brigade, constituée d’un sexologue, d’une religieuse, d’une novice, de séminaristes, d’une policière, d’un gardien de sécurité, de travailleurs de rue, de stagiaires en criminologie et de bénévoles, va prendre d’assaut la petite place.

Les voilà qui arrivent. En un éclair, ils montent leurs tables et les décorent de ballons multicolores. Ils ont à peine le temps de terminer leur petit aménagement qu’une dizaine de personnes, sorties de nulle part, se mettent en rang afin de recevoir des pâtisseries, une tisane et des conseils.

L’ambiance est calme, fraternelle. Daniel me confie qu’il ne faut pas se fier aux apparences.

Bien des groupes sont venus ici en même temps que nous. Ils n’ont pas résisté. Les gens de la rue peuvent vivre des crises très violentes. Il faut savoir comment intervenir.

Lors de notre passage, un jeune aux prises avec la schizophrénie erre au milieu de la foule. Il se parle à lui-même, perdu dans son monde intérieur.

Je regarde la troupe d’intervenants. Je perçois la vaste expérience du groupe. Au cours des années, il a réussi à tisser des liens avec les diverses autorités de la ville. Toutefois, à l’image du parcours de son fondateur, celui de Présence Compassion n’a pas été un long fleuve tranquille.

Remontons dans le temps.

Une vocation

La veille, mercredi après-midi, Daniel m’a parlé de sa vie, intimement liée à l’histoire de Présence Compassion.

Né à Palmarolle, un petit village situé en Abitibi, il ressent très fortement l’appel du Seigneur dès l’âge de quatre ans. «Le soir avant de m’endormir, je ressentais une grande chaleur dans la région du cœur. Je savais que quelque chose m’habitait. C’était invisible, mais bien présent. Mon premier livre de chevet a été la Bible. J’avais six ans. Déjà, je me demandais si je devais aller vers la prêtrise. Mon entourage se doutait de quelque chose, mais je vivais cela dans le secret de mon cœur et de ma conscience.»

Petit à petit, la vocation de Daniel s’est précisée. Il est devenu clair que le Seigneur le voulait pour son Église comme laïc. Dès 16 ans, comme les prophètes bibliques, il veut partir pour la grande ville afin de travailler auprès des personnes de la rue. Son directeur spirituel le convainc de se former avant d’entreprendre sa mission. Sagement, il accepte de se soumettre à sa volonté.

À la fin de ses études, il se dirige enfin vers Montréal. «Je suis parti avec mon sac à dos. Je ne savais pas si j’allais pouvoir me trouver un emploi. Seule une parole m’habitait: “Cherchez d’abord le Royaume de Cieux et le reste vous sera donné.” J’ai appliqué cette parole. Je l’ai vécue. J’ai renoncé à beaucoup, mais j’ai reçu beaucoup aussi.»

J’ai vécu dans une certaine pauvreté. J’ai fait appel à l’aide sociale. Je louais un appartement.

La propriétaire lui trouvait des assiettes et des ustensiles afin qu’il puisse manger! «J’ai commencé très simplement. Sans trop de craintes. Je me sentais à ma place.»

Même si les besoins sont grands dans le domaine communautaire, il tarde à se trouver un emploi. Il souhaitait travailler pour une organisation chrétienne. Il considère même l’idée de repartir en Abitibi, où un poste d’intervenant s’offre à lui. Il prend la décision de rester à Montréal. Après quelque temps, en 1999, il devient agent de pastorale dans deux écoles primaires dans le Centre-Sud.

« Sur de verts pâturages… »

Après avoir travaillé avec l’abbé Christian Beaulieu comme intervenant au centre d’accueil Le Pharillon et au Souffle de vie, il quitte son emploi pour enfin accomplir sa mission: travailler dans la rue. Il se retrouve pour un temps auprès du père Pops, fondateur de Le Bon Dieu dans la rue. Victime de coupes budgétaires, l’organisme le congédie.

Finalement, par l’intermédiaire d’un ami, il rencontre le curé de la paroisse Notre-Dame-de-Montréal, qui cherchait une personne pour s’occuper des gens de la rue.

Il cherchait depuis dix ans. Moi, j’attendais depuis tout ce temps!

Grâce à ce prêtre, il a créé Présence Compassion, qui travaille auprès des itinérants et d’anciens prisonniers depuis déjà 15 ans.

Parmi les exclus qu’il rencontre, il croise des personnes vivant avec des problèmes de santé mentale. «Lorsqu’ils prennent leurs médicaments, ils vont bien. Quand ils ne les prennent plus, nous voyons la même personne, mais avec une autre personnalité. Lorsqu’ils vivent une crise psychotique, certains font des délires religieux. J’en ai rencontré un qui écrivait des passages bibliques sur sa veste en denim. Il me l’a donnée après une de ses crises.»


Ce texte est tiré du numéro spécial d’automne 2016 Vulnérabilité de la revue Le Verbe. Cliquez ici pour consulter la version originale.


Daniel s’interrompt afin de me montrer cette veste, véritable artéfact. Je distingue une phrase: «Sur de verts pâturages, tu me fais reposer.»

Lorsqu’il les rencontre dans la rue, il parle avec eux, les écoute. Avec certains, il agit comme guide spirituel. «Mon travail est le même qu’un travailleur de rue embauché par un CLSC, mais il y a ce petit plus qui est la spiritualité! (Rires) Pour moi, c’est non négociable. C’est pourquoi j’ai fondé Présence Compassion. Aujourd’hui, je me sens tellement près du pape François, compris par lui! Il est un baume qui atténue le sentiment de solitude qui nous habite parfois dans ce combat pour la justice et la compassion. Que j’aimerais le rencontrer!»

*

Comme les prophètes bibliques dont il s’inspire, Daniel poursuit sa mission. Marié, il est père d’un enfant de 10 ans, Ézéchiel. Sa femme, Judith, est son adjointe à Présence Compassion. C’est avec sa petite Église domestique, entourée de sa troupe d’intervenants, qu’il poursuit désormais sa mission auprès des exclus d’une ville qui s’apprête à célébrer en grand le 375e anniversaire de ses premiers pas chancelants, réalisés grâce à l’appui de prophètes qui ont donné leur vie pour les pauvres, ces préférés du Royaume.

Yves Casgrain

Yves est un missionnaire dans l’âme, spécialiste de renom des sectes et de leurs effets. Journaliste depuis plus de vingt-cinq ans, il aime entrer en dialogue avec les athées, les indifférents et ceux qui adhèrent à une foi différente de la sienne.