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Gamer, fan de métal et prêtre

Alors qu’il grandit dans une famille chrétienne bien rangée, père Bertrand Monnier se découvre de nouveaux centres d’intérêt au début de l’adolescence : Guns N’ Roses, puis les jeux vidéos. Aujourd’hui, à 45 ans, ce sont ces trois passions qui font de lui un prêtre hors norme, un fan de métal et un gamer redoutable. Rencontre avec le pasteur des geeks.

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L’ainé d’une famille de sept enfants nait à Bar-le-Duc, une petite ville de campagne dans le sud de la Meuse en France, dans une maison sans télévision où l’on vouvoie les parents et où l’on n’écoute que du classique. Servant de messe à six ans, il se voit déjà prêtre. Quand il commence à écouter du métal et à jouer à des jeux vidéos, il ne voit aucune contradiction.

Surnommé le « curé geek » ou le « curé métalleux », père Bertrand se tient loin des étiquettes : « Je suis un gars de mon époque, avec les passions et la culture de ma génération, voilà tout. »

Catéchèse et jeux vidéos

Curé à Verdun, père Bertrand commence à mettre sa passion pour les jeux vidéos au service de Dieu. Si le Tout-Puissant lui donne ce gout pour le 10e art, le jeune prêtre doit mettre le second au service du premier.

Sa catéchèse se donne sous forme de jeux de rôle, phénomène en vogue chez les jeunes, qui fait le pont entre les jeux vidéos et le cinéma. « C’est une approche nouvelle qui surprend. Les parents râlent au début parce que c’est un univers symbolique – une dimension initiatique immense – auquel ils n’accèdent pas en majorité. C’est une culture qui leur est étrangère, alors ils ont peur. Et quand on a peur, on rejette, on juge. »

Devant les critiques de nombreux parents, il finit par créer un document qu’il leur distribue lors des catéchèses. Avec les années, ce document devient un livre : Les 10 commandements des jeux vidéo (Salvator, 2022). Son but ? Démontrer que les jeux vidéos sont un phénomène culturel incontournable auquel les parents et les éducateurs en général doivent s’intéresser plutôt que de le condamner.

Les deux premiers commandements s’adressent aux parents : 1) jouer aux jeux vidéos, et 2) décrisper. « C’est fait pour les paroissiens, les gens dans l’Église, mais aussi pour tous les parents, croyants ou non, qui ignorent tout de la culture du jeu vidéo. Il sert de carrefour, d’articulation entre la culture et la foi, de lieu d’échange autour de cette question, sans militantisme pour ou contre. Le jeu vidéo touche énormément de gens. On ne peut pas se contenter de l’ignorer ou de le rejeter. Il faut s’y intéresser! » clame le curé.

Depuis 2020, l’industrie du jeu vidéo surpasse celle du cinéma. Pour bien des critiques, le jeu vidéo devrait être reconnu comme le 10e art. Pour le curé, c’est une évidence : « C’est un art multiple. On y trouve du visuel, de l’auditif et du narratif. C’est un lieu de grande créativité quand on sort des poncifs industriels. »

Dans son presbytère, une pièce est consacrée au gaming. Les jeunes, liés à la catéchèse ou non, viennent jouer en ligne. À côté, une salle de cinéma compte plus de 3000 DVD.

Le titulaire d’une maitrise en théologie et sciences religieuses portant sur l’influence biblique dans la littérature de Tolkien s’étonne qu’on puisse lever le nez sur la culture actuelle des jeunes. « L’Église a toujours utilisé les arts pour exprimer sa foi. Je trouve étrange, et même parfois hypocrite, de la part de certains de nos contemporains engagés dans leur foi, de passer à côté du principal vecteur culturel de leur siècle en l’ignorant, voire en le fustigeant – sans rien en connaitre, pour la plupart. Je pense donc que nous avons nettement intérêt à faire du jeu vidéo un lieu d’échange, de partage et de culture plutôt qu’un nouveau lieu de croisade », écrit-il en introduction à son livre.

Sens et sacré

Le père Bertrand Monnier décrit l’univers des jeux vidéos comme un monde hautement symbolique, rempli d’anges et de démons, de combats épiques, de quêtes mythiques et mystiques, parsemé de grandes amours romantiques. Toutes ces choses, les jeunes ne les retrouvent malheureusement plus dans la religion, qui a pourtant toujours été présente pour donner du sens à la vie.

Le jeu vidéo étanche la soif de sens et de sacré par sa mythologie, son monde fantaisiste et fantastique. « Les jeunes désirent se plonger dans un monde réenchanté, où ils peuvent avoir accès à “l’être”, dans une société qui est strictement basée sur le “faire”, la performance et la consommation », explique-t-il.

« Avant de penser à la dépendance, il faut se demander si le jeune joue pour s’évader ou pour fuir sa réalité. Si mon jeune joue pour fuir sa réalité, eh bien, c’est au parent de voir quel est le problème! »

Le vide religieux et spirituel actuel provoque une soif de sens et de sacré. Les jeunes vont là où l’on répond à leurs questionnements. Plusieurs dimensions de la vie spirituelle sont présentes dans les jeux vidéos : la découverte d’un nouveau monde, un code et un langage propres, l’appartenance à une fraternité ou à une communauté et des lois et règles à respecter.

Les jeux vidéos sont en quelque sorte une échappatoire, une façon pour les jeunes de s’évader, l’espace d’un instant, d’un train de vie effréné où règne l’individualisme et la surconsommation, le rejet des valeurs intellectuelles au profit du « ressenti », et d’une société de plus en plus complexe où les médias, omniprésents, oppriment l’être tout en valorisant le narcissisme. Le curé Monnier remarque que l’univers nocturne, la violence ainsi que l’absurde qu’on retrouve dans tous les jeux vidéos sont des composantes essentielles de l’univers dans lequel grandissent les jeunes depuis la fin des années 1990.

Pour lui, le personnage du zombie et le genre dystopique illustrent parfaitement tout cela. Le zombie représente le consumérisme dans lequel baignent les jeunes; même s’il est mort, il n’a qu’une seule activité : déambuler dans le but de manger le cerveau des humains qui réfléchissent encore, afin de créer plus de zombies. « Cette violence, explique-t-il, loin d’être gratuite, permet une certaine catharsis de la part des jeunes : le zombie est comme le consommateur qui ne réfléchit pas, comme toute notre société où la consommation à outrance, immédiate et irréfléchie, est devenue une convenance sociale, reconnue et encouragée. »

La dystopie serait le genre le plus prisé des jeunes, que ce soit dans les jeux vidéos ou au cinéma. Pensons à Hunger Games, à Labyrinthe ou à Divergence, qui révèlent tout l’absurde de notre monde et la bêtise humaine qui l’a laissé devenir ce qu’il est : pollué, insignifiant et insensé. Un monde où Dieu n’existe pas, ignorant tout du passé et totalement indifférent face à l’avenir.

Fuite et escapade

Et la dépendance dans tout ça ? N’est-ce pas le nerf de la guerre, la grande peur des parents ? Père Bertrand Monnier n’est pas tendre : « Avant de penser à la dépendance, il faut se demander si le jeune joue pour s’évader ou pour fuir sa réalité. Si mon jeune joue pour fuir sa réalité, eh bien, c’est au parent de voir quel est le problème ! La dépendance est un symptôme d’une souffrance, d’un vide existentiel. Beaucoup de parents, en accusant la dépendance aux jeux vidéos, se dédouanent carrément. »

Plusieurs trucs sont donnés, dans l’ouvrage de père Monnier, aux parents et aux jeunes afin que ces derniers apprennent à gérer leur temps, leur sommeil et leur caractère.

Si le jeu sert d’escapade, c’est autre chose, soutient le curé passionné de jeux vidéos, qui soutient avoir fait le tour de la question de la dépendance. « Jouer est une expérience qui se vit de l’intérieur. Par exemple, si je regarde des moines bouddhistes méditer pendant quatre heures, je ne sais pas ce qu’ils peuvent vivre. Je regarde de l’extérieur, mais je ne vis pas leur expérience spirituelle, voire mystique. Il faut faire l’expérience au lieu de juger de l’extérieur. Personnellement, jouer m’aère les neurones entre des funérailles très pénibles et une catéchèse à animer 30 minutes plus tard. »

« Le jeu vidéo est devenu une caverne qui permet de s’isoler de cette société angoissante. Le pire est certainement que des parents non seulement ignorent tout de cette caverne – refuge favori de leur enfant –, mais refusent d’y porter le moindre intérêt. Si le parent s’intéresse au jeu auquel son enfant joue ces temps-ci, alors s’ouvre une porte, un lieu où l’on peut échanger. Un temps où, justement, on peut dire que le monde n’est facile pour personne. L’activité ludique du jeu vidéo sera l’occasion d’un dialogue et non d’une dispute », écrit-il dans un chapitre consacré à la dépendance.

Pour lui, les parents, comme éducateurs, doivent accompagner les jeunes, sans tomber dans le piège facile des clichés par rapport aux jeux vidéos. Plusieurs études démontrent que les jeux aident au développement de nouvelles capacités cognitives qui permettront aux enfants d’aujourd’hui d’être équipés pour demain. « Un enfant de huit ans, par exemple, peut se retrouver chef de guilde dans Clash of Clans. Il sera même le chef des adultes qui jouent en ligne avec lui ! Les jeux sont très diversifiés et ils parlent de la personnalité du joueur. On peut apprendre beaucoup sur un jeune simplement par la façon dont il élabore son avatar. »

En d’autres mots : dis-moi à quoi et comment tu joues, je te dirai qui tu es.

Brigitte Bédard

D’abord journaliste indépendante au tournant du siècle, Brigitte met maintenant son amour de l’écriture et des rencontres au service de la mission du Verbe médias. Après J’étais incapable d’aimer. Le Christ m’a libérée (2019, Artège), elle a fait paraitre Je me suis laissé aimer. Et l’Esprit saint m’a emportée (Artège) en 2022.